Lettre ouverte au ministre Marc Garneau à propos du Pont de Québec

2018/09/18 | Par Anne-Marie Saint-Cerny

L’auteure a publié Mégantic, une tragédie annoncée, Éditions Écosociété, 2018.

Honorable Marc Garneau
Ministre
Transport Canada

Lettre #2 - OBJET : PONT DE QUÉBEC –
Avec respect mais fermement, ceci est désormais un ultimatum.                 

Monsieur le ministre,

Dans la foulée de l’effondrement du pont de Gênes, je vous ai fait parvenir une première lettre vous demandant de dévoiler les rapports d’inspection de Transport Canada au sujet du pont de Québec appartenant au CN. Votre réponse est assourdissante. Or, ce silence sur l’état réel de ce pont n’est plus acceptable. Les propos vaseux d’un vague porte-parole de Transport Canada (TC) non plus. Le Rapport d’inspection du ministère des Transports du Québec publié dans les derniers jours est dévastateur. Citons un exemple : «Corrosion très importante (…) jusqu'à la perforation au niveau de l'âme. Défauts de matériaux pouvant réduire de façon appréciable la capacité de (l’élément) à supporter les charges.»

Réduire la capacité à supporter des charges, une phrase qui se répète, élément après élément, sur près de 500 pages. Dur à entendre, dans le cas d’un pont. Monsieur le ministre, vous êtes ingénieur, le calcul des charges et son importance, vous connaissez. Le poids des trains, dans les 10 dernières années, est passé de 4000 à plus de 10 000 tonnes. Celui de Mégantic pesait 10 290 tonnes, long d’un kilomètre. Le centenaire Pont de Québec a-t-il été conçu pour ces nouveaux poids?  Additionné de sa charge automobile ? Si oui, vous devez nous le prouver. Nous sommes les cobayes de la solidité de ce pont

La charge du pont du CN a donc récemment augmenté de façon exponentielle. Le transport des matières dangereuses aussi. Le pont est très mal entretenu. Les locomotives, citernes et rails, à peu près non inspectés faute d’inspecteurs à Transport Canada, sont sujets aux bris. Les citernes, comme les DOT 111 sur le pont de Québec, trop fragiles pour le pétrole, éclatent à l’impact.

Et surtout, surtout… Seul le CN sait si son pont est sécuritaire… Transport Canada se fie entièrement à sa parole… lors de rencontres trois fois par année ! Voyez-vous où cette litanie de feux rouges nous amène ?

Oui, à Mégantic. Monsieur le ministre, à peu près toutes les cases précurseures de la tragédie de Mégantic sont cochées dans le cas du Pont de Québec. Ne reste, possiblement, à survenir que l’élément déclencheur, un vent trop violent – 11 tornades le 18 juin 2017, par exemple – , un incident qui déclenche un déraillement – Saint-Polycarpe cet été –, un accident violent, pour amorcer la funeste série « tout ce qui pouvait aller mal …»

Monsieur le ministre, avec respect mais néanmoins fermeté, c’est un ultimatum que l’on vous lance aujourd’hui. Nous sommes rendus là. Vous devez extirper – de force s’il le faut – les rapports du CN. Nous vous avons délégué pour 4 ans le pouvoir de nous protéger. Pas de protéger les richissimes compagnies ferroviaires.

Quelles basses tractations ont lieu en ce moment derrière les portes closes de votre Ministère ? Que demande le CN pour être conciliant ? Ne pliez pas, pour une fois. La population n’a plus de patience pour les faux-fuyants, les cachettes, les porte-paroles de relations publiques, les cover-up comme à Mégantic. Agissez. La responsabilité de ce qui se produira éventuellement, bien ou tragique, est entièrement la vôtre.

 

Anne-Marie Saint-Cerny
Auteure, Mégantic, une tragédie annoncée, Éditions Écosociété, 2018. Pour le compte-rendu livre par l’aut’journal, cliquez ici.