Les Couche-tard versus Tout le monde en parle (1)

2018/09/24 | Par Claude G. Charron

Les cinq textes qui, en cette dernière semaine de la campagne électorale, paraîtront chaque jour sous ma signature dans L’AUT’JOURNAL, ont comme objectif premier de collectivement nous sensibiliser du danger qui menace notre peuple à ne pas trop s’intéresser au rôle manifeste qu’a joué la télévision dans nos vies, et à ne pas non plus voir que, depuis 1969, cette dite télévision a été strictement soumise aux exigences de la Loi sur la Radio-télévision canadienne.

Au fil des années, cette loi semble avoir atteint l’objectif que Pierre Elliott Trudeau lui avait au départ fixé, celui de faire croire aux Québécoises et aux Québécois que l’indépendance du Québec était un objectif inatteignable.

Au moment des négociation entre les États-Unis et le Canada sur l’ALÉNA, une telle situation risque de provoquer l’effondrement de tout notre « star système » tellement la question de l’exception culturelle semble de plus en plus disparaître des discussions, et cela, au profit de l’industrie automobile ontarienne. 

Voici donc mon premier texte de cette série de cinq.
 

1 - L’évolution des mentalités grâce à la télé

Rassurez-vous chers lectrices et lecteurs, cette série de textes ayant comme super-titre LES COUCHE-TARD VERSUS TOUT LE MONDE EN PARLE ne cherche aucunement à faire croire qu’il y aurait un recours judiciaire présentement intenté par la très connue chaîne québécoise de dépanneurs contre le très également connu Tout le monde en parle, la populaire émission de télévision diffusée tous les dimanche soir de la saison à Radio-Canada.   

Les Couche-tard, dont il sera plutôt question, a également été une très populaire émission de télévision. À l’antenne dans les années soixante, elle avait comme objectif d’atteindre un vaste public.

Pour ce faire, la direction de Radio-Canada l’avait placée immédiatement après la fin du match de hockey diffusé tous les samedis soir en direct du Forum.   D’une durée de trente minutes, elle se voulait une émission de divertissement tout en abordant les sujets de l’actualité culturelle et politique du moment.  Elle teint l’antenne pendant neuf ans, du 8 févier 1961 au 30 mai 1970.  

Il importe de placer côte-à côte ces deux émissions phares de notre patrimoine médiatique parce qu’un tel rapprochement va permettre de démontrer l’immense rupture d’une société en pleine expansion qu’a provoquée en 1968 l’accession au pouvoir de Pierre-Elliott Trudeau. Et dont cette année est le triste cinquantième anniversaire.
 

La « normalisation » de Pierre-Elliott Trudeau

L’histoire des peuples nous démontre que quand une armée réussit un coup d’État, sa préoccupation première est d’investir les studios de télévision et d’y placer des gens n’ayant aucune envie de résister au nouveau pouvoir. Même préoccupation de la part de toute armée étrangère envahissant un pays souverain, mais avec cependant la particularité qu’elle a rarement l’appui de la population.    

Au Québec et au Canada, quoique moins grave en répercussions de toutes sortes, Octobre 1970 s’apparente à e qui s’est passé en Hongrie en 1956 et en Tchécoslovaquie en 1968, une apparenté facilement détectée lors de ces trois évènements puisqu’il y eut chaque fois, de la part de l’envahisseur, un net refus d’accepter l’évolution de la démocratie telle que le peuple assiégé tentait à réaliser.

On sait que les séquestrations du diplomate James-Richard Cross et du ministre Pierre Laporte au Québec furent le prétexte tant recherché par Trudeau afin de casser une fois pour toutes un mouvement d’émancipation des Québécois ayant pris à son goût trop d’ampleur.

S’il est vrai que n’avions pas eu à subir la menace des blindés fonçant sur les foules, il reste que près de quatre-cent-cinquante militants ont vécu la frayeur de voir des gens d’armes entrer en pleine nuit dans leur domicile afin de les arrêter et de les détenir pendant plusieurs jours à partir du motif qu’ils et elles eurent comme unique tort d’avoir tenté de faire bouger les choses au Québec.

Mais ce qui différentie les deux événements européens du nôtre est le fait qu’il n’y eut aucune invasion de nos studios de télé au Québec. Elle ne fut aucunement nécessaire parce que cette « normalisation » avait précisément débuté le 20 avril 1968 quand Trudeau fut assermenté premier ministre.

Pour bien comprendre ce qui a tant bouleversé notre destinée collective avec cette rapide ascension politique de celui qui faisait partie des trois colombes venues à Ottawa « afin de rétablir un meilleur équilibre entre les pouvoirs provincial et fédéral », il est nécessaire de remonter à l’automne 1952 avec l’arrivée de la télévision au Québec.   


L’arrivée de la télé en 1952  

Ce fut un évènement majeur dans notre histoire.  Les gens de ma génération se rappelleront de tous ces voyeurs se postant devant les vitrines des magasins où on y avait placé un récepteur cherchant ainsi à inciter le plus possible de gens à entrer dans la boutique afin d’y en faire l’achat.  

La réponse ne s’était pas fait attendre. En quelques mois, chaque maison possédait son récepteur et ce fut alors toute la société québécoise qui, en très peu d’années, a été chamboulée, la parole ayant été donnée à des personnes véhiculant un discours différent de celui que, tant à l’école qu’à l’église, le gros de la population avait été habitué à entendre pendant plus d’un siècle.

Quand, le 1er octobre 1950, seulement quelques mois après avoir été nommé évêque de Montréal, Paul-Émile Léger avait débuté à CKAC la récitation du chapelet en famille, c’était comme s’il avait appréhendé les changements de mentalité que, deux ans plus tard, la télévision allait provoquer.  Comme s’il avait voulu freiner d’avance ce que notre futur cardinal ressentait déjà comme une « périlleuse dérive ».     

La radio avait encore devant elle quelques bonnes années de grande écoute dues au fait que cela devait prendre quelque temps avant que notre télé soit en mesure de vraiment concurrencer les émissions de télé étasuniennes.  On devait tout faire : former des techniciens, des artisans, des créateurs, tout ce beau monde capable d’affronter le nouveau défi.  Et comme la France était également à ses premiers balbutiements en la matière, il ne fallait aucunement compter sur elle pour nous épauler dans l’aventure.

C’est donc uniquement au Québec que devront se trouver les premiers idéateurs de notre télévision. Jean-Paul Ladouceur en fut le premier en proposant à la direction de Radio-Canada une émission pour les tout-petits ayant comme simple décor un castelet derrière lequel s’animeraient différentes marionnettes à gaines.   

La direction a d’emblée accepté sa proposition et, dès le 7 septembre 1952, le premier épisode de Pépinot et Capucine» apparaissait sur les petits écrans. Dans l’épisode placé ici en hyperlien, on se rend vite compte du rôle que cherche déjà à jouer Radio-Canada dans le cas d’émissions s’adressant à un jeune public. Elle se donnait comme mission de divertir tout en éduquant.  Exemple ici : Pépinot et Capucine sont de sages petits enfants tentant de redresser un Pan Pan ayant toujours un mauvais tour dans son sac. Mais le petit espiègle est à la fin toujours démasqué et donc redevenu impuissant à recrier « Pan Pan toujours vainqueur ».         


Instruire tout en divertissant  

Sauf pour le grand père interprété par André Cailloux, peu de comédiens eurent la chance de se faire connaître et de performer avec l’émission Le grenier aux images dont le premier épisode eut lieu en novembre 1952.   

Leur possibilité de se faire enfin valoir arriva quatre ans plus tard lors des premières diffusion de La boîte à Surprise, une émission qui tiendra l’antenne jusqu’en 1972 et qui laissera une empreinte indélébile dans la vie de beaucoup d’enfants.  

Wikipédia nous apprend que, pendant les seize années de son existence, pas moins de 90 comédiens y ont fait leurs armes en y incarnant, de très colorés personnages au gré de la débordante imagination de chacun de ces artistes. De ces moulte personnages est sorti du lot le très grand Sol. Créé et incarné par Marc Favreau, celui-ci est loin d’avoir été le seul à atteindre une grande notoriété. Pensons spécifiquement Picolo de Paul Buissonneau, au pirate Maboule de Jacques Létourneau et surtout à la pimpante poupée Fanfreluche de Kim Yaroshevskaya.

Il y a ici deux questions à se poser. 1 – Cette univers sur le monde proposé aux enfants, était-ce un complément d’avec ce que bon nombre de parents souhaitaient pour leurs enfants ?  2 – Si oui, une telle complémentarité était-elle en phase avec les options d’un régime scolaire qui, à l’époque, était très et exclusivement catholique, du moins pour les enfants de ceux qu’on appelait encore « les Canadiens français »?       


Un supplément laïc à une école ultramontaine

On peut constater que, pour tous ces enfants de ces premières années de télé, ce fut un vent de fraîcheur les frappant chaque soir de la semaine à 17 heures. Davantage qu’un complément, c’était un supplément à l’école que leur apportait cette émission tant par sa haute fantaisie que par son ouverture sur le monde.  

Dans les années cinquante, l’école d’ici était grandement teintée par un catholicisme ultramontain.  Pendant les neuf années de l’éducation primaire, du moins dans les milieux ouvriers, les apprentissages de la lecture, de l’écriture et de l’arithmétique avaient d’abord comme objectif d’assurer un emploi pour les jeunes garçons, tout en préparant les filles à pouvoir un jour s’affairer aux tâches domestiques de la maison.

Mais l’autre priorité de l’école catholique était d’assurer le salut de l’âme des enfants sous sa garde, d’où l’importance accordée à l’enseignement du catéchisme.  S’ajoutait à cet enseignement la prière au début de la classe.  Des heures supplémentaires d’enseignement religieux étaient prévues en première années pour faire en sorte que les tout-petits puissent être bien préparés à recevoir le sacrement de la confirmation et pour également faire leur première communion. À ajouter à cette liste, les allez et retours à l’église chaque premier jeudi du mois afin que chacun et chacune puissent aller confesser ses petits et gros péchés.   


Les causes de notre parenthèse ultramontaine 

Il est tout-à-fait légitime de croire que si les Patriotes de 1838 avaient plutôt gagné que perdu leur bataille contre le gouvernement britannique, ces valeureux républicains auraient refusé que soit ainsi installé chez-nous un régime scolaire aussi peu inclusif.  La philosophie même qui sous-tendait leurs 92 résolutions supposait la création d’un ministère de l’éducation au Bas-Canada.

Les Patriotes ayant perdu, ce furent deux régimes scolaires différents qui ont été mis en place dès les premières années du Canada-Est et qui s’est perpétué avec le BNA Act de 1867.  A donc été établi presqu’à perpétuité deux régimes scolaires différents :  l’un pour les catholiques, totalement dirigé par les évêques, l’autre géré par des personnalités influentes de la société civile anglo-protestante.  

Londres avait enfin compris que les évêques étaient leurs meilleurs alliés pour que la population ne soit plus entrainée par les idées par trop voltairiennes et républicaines qui l’avait fortement teinté lors de l’invasion américaine de 1776-1777. Des idées qui avaient à nouveau fortement été véhiculées durant les quarante-deux années d’existence de la Chambre d’assemblée.

L’Union de 1840 a été le premier geste de la part de Londres dans sa décision de minoriser ceux que l’on devait dorénavant appeler les « Canadiens français », le but étant tout autant de les paupériser.

Un tel régime ne pouvait entrainer que de l’iniquité entre les sommes perçues en taxes scolaires sur les propriétés de protestants plus riches et celles de catholiques plus pauvres.   Une telle iniquité fit en sorte que les écoles catholiques furent moins bien équipées et leurs enseignants moins bien payés.

Avec un tel régime, l’école catholique n’a pu survivre que grâce à l’apport des diverses communautés religieuses dont les membres fuyaient une France frappée par un vent de républicanisme et de laïcité.  Mais un tel apport ne fit que renforcer davantage la domination des évêques sur le régime d’enseignement au Québec.


Un changement qui frappe d’abord les tout-petits

Ce régime est au sommet de sa puissance quand la télévision entre en force dans nos chaumières, une télévision qui bouscule en premier lieu l’univers des tout-petits grâce à ce qu’ils voient et entendent à La Boîte à surprise.  Et le grand changement est le fait que cette émission est éducative tout autant que divertissante.

 Mais le plus grand des changements est ailleurs. Il est du fait que La Boîte était produite et diffusée par une instance paraétatique tel qu’était et est encore Radio-Canada, scripteurs, réalisateurs et artisans de l’émission avaient un devoir de refléter devant leurs jeunes téléspectateurs une grande neutralité face aux questions religieuses.    

 La Révolution tranquille est alors en germe dans la tête de ces petits bambins et elle commencera également à germer chez les plus grands grâce à l’esprit légèrement désinvolte du père Gédéon dans La Famille Plouffe.  

Avec la première diffusion de La famille Plouffe qui eut lieu le 4 novembre 1953, la population a tout de suite été conquise.  Riches comme pauvres, les gens se sont complus avec des personnages à fois stéréotypés et caricaturaux. 

C’était surtout celui du père Gédéon avec son langage libertin et hors normes qui se dégagea plus que tous les autres personnages. Celui du cousin de la campagne plein d’entrain semblait être libéré des nombreux tabous véhiculés par la société de l’époque. Il préfigurait les Québécois et Québécoises à venir.

Pour le plus jeunes d’entre nous : un aperçu du personnage incarné par Doris Lussier quand il a été invité à Appelez-moi Lise en 1975. Gracieuseté de YouTube.  

Il reste que si, mises à part les Plouffe durant ces années cinquante, c’est plutôt la télé pour les enfants avec l’émission La boîte à Surprise qui emporte la palme de fantaisie et d’ouverture sur le monde. Pour le reste, du moins pendant quelques années encore, nous eûmes droit à une télé très sérieuse.  
 

Pour les plus de 18 ans, une télé plutôt sérieuse

Dans les premières années, quand les émissions pour enfants de terminaient à 18 heures, apparaissait sur les écrans, la mire de réglage avec son éternel tête d’Amérindien. Ce n’était qu’à 19 heures que reprenait la diffusion des émissions, lesquelles à part les Plouffe, étaient en général plutôt sérieuses.

Très sérieux en effet étaient tous les membres de cette petite famille bourgeoise dont l’écrivain André Giroux nous proposait chaque semaine de suivre les péripéties domestiques dans 14, rue de Galais.  Tout aussi peu hilarante était Le Nez de Cléopâtre, une émission-quiz animée par un très sérieux bonhomme appelé Roger Duhamel.  Quant à Pays et Merveilles, les invités d’André Laurendeau nous renseignaient sur les beautés de divers pays du monde, mais avec un didactisme ne se prêtant peu à la fantaisie.   

 Giroux, Duhamel et Laurendeau avaient tous trois une certaine notoriété en tant qu’intellectuels au moment même où la direction de Radio-Canada recherchait les premiers artisans devant créer une télé pour les plus de dix-huit ans. C’est justement à ces fortement éduquées personnalités qu’elle proposa de créer et d’animer les premières émissions en début, milieu et fin de soirée.  

De cette direction, Michel Chartrand dira un de ces jours de grande exaspération, qu’ils étaient tous une bande d’ex-jésuites peu compétents en la matière. Il exagérait beaucoup car, au fond de lui-même, il avait une grande admiration pour ces gens qu’il avait côtoyés au collège ou dans des soirées de rencontre de gens attirés par les mêmes petits et gros traquas de la vie. 

Chartrand se devait de reconnaître que ces personnes à la direction du Réseau français étaient tout autant préoccupées que lui par le manque de connaissance sur le plan de la culture dont souffrait la population dans son ensemble. Palier contre un tel déficit avait justifié leur choix d’hommes et de femmes à placer à la barre de notre télé naissante.

Et c’est surtout la diffusion des émissions du dimanche soir que la direction du Réseau français a voulu plus fortement investir afin de faire connaître un certain nombre des grandes œuvres de la dramaturgie mondiale ainsi que de la musique classique. 

C’est également dans la louable intention de faire connaitre au peuple les artistes de chez-nous que, dès le troisième dimanche de mai 1953, la pièce Zone a été diffusée sur les ondes de Radio-Canada. L’auteur Marcel Dubé n’avait alors que vingt-trois ans.  Le 23 janvier de la même année, sa pièce avait été une première fois mise en scène dans un petit théâtre de l’ouest du Québec.

Sa pièce décrivait la vie cahotante de trois jeunes garçons et une petite amie jouée par la jeune Monique Miller.  Au travers ces adolescents en mal d’identité, on sentait déjà la volonté de Dubé d’aider la société québécoise à se libérer de sa pesante tradition ultramontaine. Une mission que les ex-jésuites de Radio-Canada, dixit Chartrand, acceptèrent d’emblée de propager.

Un tel engouement envers l’écriture de Marcel Dubé fit qu’en très peu d’années deux de ces autres pièces, Un simple soldat en 1957 et Au retour des oies blanches en 1966, furent diffusées dans le cadre des Beaux-Dimanches.

Il est évident que, tant dans les années cinquante qu’au début des années soixante, la direction de Radio-Canada se donnait comme honorable mission de transformer la société québécoise.

En janvier 1961, cet élan a été quelque peu amorti car la toute proche arrivée d’un nouveau joueur sur les ondes hertziennes fit craindre à la direction qu’une grande partie de son auditoire change ses habitudes d’écoute et choisisse des émissions offertes par Télé-Métropole, avec une télé se voulant axée d’abord et avant tout sur le divertissement.

Texte de demain, en ce mardi 25 septembre : Pout, Pout, Pout, Les Couche-Tard chez-vous!