Retour sur le débat en anglais et ses suites

2018/09/24 | Par Frédéric Lacroix

Le consternant et « historique » débat en anglais tenu récemment a suscité plusieurs réactions. La recension la plus juste de cet évènement nous est venue de M. Tremblay de Montréal, qui a qualifié simplement la chose de « diner de cons », les cons étant bien sûrs les Québécois à qui on a tenté de faire croire pendant cette heure et demi que les anglophones étaient une minorité opprimée, de véritables « second-class citizens ». Comme le dit M. Tremblay : «Pendant l’heure et demie qu’a duré ce débat, la communauté politique québécoise a perdu de vue ses intérêts, et surtout la réalité géopolitique du Québec qui n’est pas un pays et où cette position majoritaire des francophones est en réalité une fiction de l’esprit».

Si une grande partie de notre soi-disant élite semble acquiescer à ce recul, cela n’est pas le cas de Lise Bissonnette, ex-directrice du Devoir et de la Grande Bibliothèque. Celle-ci a plutôt utilisé la tribune qui lui était offerte sur les ondes fédérales pour qualifier le débat en anglais de « test oral en anglais maintenant nécessaire pour devenir premier ministre ».

Les plus vieux se délecteront à cette référence indirecte au célèbre « discours du Centaur » de 1996, prononcé par Lucien Bouchard, mais signé par Jean-François Lisée. M. Bouchard affirmait que les anglophones qui se rendaient à l’hôpital avaient besoin d’un « blood test, not a language test », manière de dire que qu’il allait enterrer toute mesure pour renforcer le français, dont on pouvait pourtant déjà percevoir les premiers signes d’essoufflement à Montréal. Un discours qui signait donc l’acte de reddition de M. Bouchard sur le front linguistique. Nous avons compris plus tard que sa reddition sur le front linguistique préfigurait et englobait aussi sa reddition sur le front indépendantiste.

Mme Bissonnette ajoute judicieusement qu’«avec ce débat, on est en train d’imposer l’anglais comme langue officielle ». Voilà précisément ce que j’affirmais dans une chronique parue au mois d’août. Notons que Québec Solidaire, toujours en avance sur son temps, semble d’ores et déjà considérer l’anglais comme une langue officielle.

Même The Gazette s’est mise de la partie en soulignant que si M. Lisée s’est attiré quelques compliments pour sa « fluence » en anglais, cela ne se traduirait pas par des votes. La chose était pourtant prévisible. Les nombreux débats en anglais auxquels a participé Gilles Duceppe, alors chef du Bloc Québécois, lors des campagnes électorales fédérales ont-ils convaincu le moindre anglophone et allophone anglicisé de voter Bloc? Malgré des performances époustouflantes de M. Duceppe? Malgré une maitrise de la langue anglaise souvent supérieure à celle de ses adversaires anglophones? Malgré l’absence totale de la souveraineté comme « boulet »? Que nenni.

Mario Dumont a enfoncé le clou : « Nous avons vécu une première : un débat des chefs en anglais. Je ne comprends toujours pas pourquoi les chefs ont accepté ce débat, dans ce Québec où la langue commune est le français ». Il pose ensuite la question : « pour qui ce débat en anglais? » Et de répondre : « Au centre-ville de Montréal comme dans les centres commerciaux de Laval, on entend la vie se dérouler de plus en plus en anglais autour de nous. Ce ne sont pas les gens avec des noms britanniques ou écossais qui ont davantage d’enfants. Ce sont des Néo-Québécois, globalement bien intégrés, mais en anglais. ».

Pour vous faire une idée de la véracité aiguë de ces propos, je vous suggère d’aller lire les travaux du chercheur Pierre Serré. Celui-ci a calculé quelle fraction de la « communauté anglophone du Québec » provenait effectivement de descendants d’anglophones nés au Canada et quelle fraction était en fait des immigrants allophones ou des francophones anglicisés. Les résultats sont tout à fait saisissants.

Voici des morceaux de choix :

  1. « En vertu d’un demi-million de départs d’anglophones de première langue officielle parlée (PLOP) à partir de 1966, la communauté anglo-québécoise aurait dû connaître un recul équivalent des effectifs anglophones. Cette diminution n’a pas eu lieu. La communauté anglo-québécoise a plutôt été remplacée par des centaines de milliers de « néo-anglophones », soit par des anglophones nés dans le reste du Canada (16 %), soit nés à l’étranger (10 %) ou nés de parents nés à l’étranger (19 %) ou non-citoyens (3 %), soit par des anglicisés (24 %) de langue maternelle française ou autres (i.e. des allophones), ou encore par des adeptes de l’anglais, première langue officielle (28 %). Ce remplacement s’est appuyé sur le maintien – quand ce n’est pas l’expansion – des institutions et des entreprises fonctionnant en langue anglaise, via le recrutement d’une main-d’œuvre et d’une clientèle provenant de l’extérieur de la communauté anglo-québécoise. »
     
  2. « Alors qu’elle comptait près de 650 000 recensés d’origine ethnique britannique et 800 000 de langue maternelle anglaise en 1971, la communauté anglo-québécoise n’en avait plus que 251 000 personnes en 2011. Une telle diminution du noyau britannique – à qui la Constitution canadienne avait accordé un statut particulier – aurait commandé l’adaptation conséquente des services publics. Similairement, une municipalité passant de 800 habitants à 250 habitants en 40 ans aurait perdu son école primaire, son CLSC, son bureau de poste, sa desserte de bus ou son quai, la plupart de ses services publics. Pour la communauté anglo-québécoise, dont les membres connaissent normalement le français, il ne s’agit pas de couper les services de langue anglaise, mais de revoir le financement de ceux-ci de manière conséquente avec l’évolution et la taille de la communauté ainsi qu’en accord avec les impératifs de survie de la communauté francophone. »
     
  3. « Quant aux 35 % à 40 % des circonscriptions fédérales et provinciales invariablement libérales, non sollicitées par les partis du fait du vote bloc « quasi immuable » des non-francophones, leur nombre aurait chuté sans ces 800 000 néo-anglophones. La dynamique électorale aurait été plus compétitive et la dynamique politique, plus favorable au nationalisme. En outre, les victoires libérales de 1989, 2003, 2007, 2008 et 2014 auraient été plus fragiles; certaines n’auraient jamais eu lieu. »
  1. « La disparition de la communauté anglo-québécoise – moins de la moitié de 3,5 % de la population du Québec – et son remplacement par plus de 800 000 « néo-anglophones » mettent en lumière la faiblesse du creuset culturel français qu’ont construit les gouvernements québécois successifs. Ces 800 000 Anglo-Québécois auraient dû se joindre à la majorité francophone. Au contraire, ils se sont anglicisés ou ne se sont pas francisés, vivant en anglais à même les institutions conçues pour la communauté britannique d’origine, disparue. »
  1. « À partir de la Révolution tranquille, l’État provincial a acquis une importance nouvelle, et son expansion s’est réalisée dans les deux langues, en français et en anglais. Cette expansion du réseau anglais, dans le contexte du départ des 500 000 anglophones selon la PLOP, a amené le remplacement de la communauté d’origine. Cet extraordinaire appel de main-d’œuvre parlant anglais a lancé le début d’une phase d’assimilation phénoménale vers l’anglais, la plus imposante depuis le rapport Durham et l’Acte d’Union de 1840. Cette dynamique assimilationniste favorable à l’anglais était pourtant contraire à l’évolution démographique de la communauté britannique, et contraire aux efforts de francisation. »
  1.  « À force d’entendre parler de leurs seuls succès, les francophones ont fini par croire que la francisation avait été LE phénomène le plus important des 40 dernières années. Or, il faudrait plutôt admettre que la dynamique d’anglicisation lui a été bien supérieure. »

L’immigration est le thème principal de cette campagne. Il faut cependant déplorer le traitement tout à fait superficiel qui en est fait autant par la grande majorité des journalistes que par les chefs de partis politiques. M. Dumont est le seul à avoir osé soulever un peu le voile qui masque le vrai débat qui devrait avoir lieu.

La question, en effet, n’est pas « quel volume d’immigration faut-il cibler afin que le président de Chocolats Favoris puisse continuer à payer ses employés 12$/h», mais plutôt « que faut-il faire pour que les immigrants reçus au Québec cessent d’aller grossir les rangs de la communauté anglophone»?

Que faut-il faire pour que les immigrants accueillis ici s’intègrent à 85-90% à la communauté « francophone »?

That is the question.

 

Photo : Radio-Canada