P comme dans Pauline J. et pasionaria

2018/10/01 | Par Pierre Jasmin

L’auteur est artiste pour la paix

Basé sur ses archives personnelles livrées par sa fille née d’un premier mariage avec le comédien Jacques Galipeau, le documentaire Pauline Julien, intime et politique de la réalisatrice Pascale Ferland a remporté il y a un mois le Prix du public, décerné lors du Festival de cinéma de la ville de Québec (FCVQ). Portant sur la vie de la chanteuse québécoise, morte il y a vingt ans un 1er octobre, cette œuvre de l’Office National du Film a pour principal mérite la rareté des témoignages de commentateurs (un seul, Alan Glass), au profit d’une multiplicité des paroles et chansons directes de l’héroïne.

Il est particulièrement révélateur de la voir avant son retour au Québec à Paris, ambassadrice de Gilles Vigneault, notamment, avant qu’il séduise à son tour les Français. Car c’est la caractéristique de plusieurs grands artistes ayant laissé leur marque sur le pays d’avoir séjourné longtemps à l’étranger et de jouir ainsi d’une perspective de recul qu’on pourrait qualifier d’extime : Paul-Émile Borduas, Jean-Paul Riopelle, Marcelle Ferron, Lise Payette, les APLP Raymond Lévesque, Armand Vaillancourt, Jean-Louis Roux, Antonine Maillet, Anaïs Barbeau-Lavalette et Pascale Montpetit. Il en est aussi de plus marginaux, comme Pâquerette Villeneuve, morte le 24 août dernier : une trentaine de ses amis se sont rassemblés récemment pour rendre hommage à cette écrivaine trop directe, amie de Marie Saint-Pierre, ainsi que de Michel Tremblay, René Viau et Marc Séguin qui ont tous trois pris une parole émue. Son œuvre publiée chez Leméac, entre autres Retour 1 et 2 : journal d’émotions dont j’avais trouvé le titre, témoigne de la difficulté du ré-enracinement pour les artistes longtemps exilés. Fin de cet aparté qui souligne un aspect méconnu de Pauline.

Pauline Julien aura d’abord une carrière comme comédienne et ses talents de chanteuse en profitent immensément : diction parfaite et articulée, émotion du texte rendue dans et par la musique, présence scénique admirable, car elle sait bouger et marquer d’un port de tête de défi, d’un cabrement du corps entier ou d’un pas de danse esquissé, chaque aspect du texte qu’elle sait rythmer, quand elle appuie de l’expression de sa propre sexualité chaque pulsation du chant. Deux sommets artistiques se dégagent du très beau film :

- la dramatique Mommy (si bien réinterprétée dans tous les sens par Émile Proulx-Cloutier dans son dernier CD marée haute), où elle gémit à la perspective d’un Canada qui pourrait, comme aux dernières élections du Nouveau-Brunswick avec le parti raciste Alliance des gens, votant du côté des conservateurs,  « réussir » à anéantir l’expression de notre langue.

- et la chanson patriotique suivante de Gilbert Langevin, inoubliable, quand elle l’anime de toute son intensité et dont on comparera le ton lyrique avec le ton baveux de Gérald Godin:

 

Poème tiré de « La voix que j’ai », Copyright VLB Éditeur, 1997.

Le temps des vivants

Que finisse le temps des victimes
passe passe le temps des abîmes
il faut surtout pour faire un mort
du sang des nerfs et quelques os

que finisse le temps des taudis
passe passe le temps des maudits
il faut du temps pour faire l'amour
et de l'argent pour les amants

vienne vienne le temps des vivants
le vrai visage de notre histoire
vienne vienne le temps des victoires
et le soleil dans nos mémoires

ce vent qui passe dans nos espaces
c'est le grand vent d'un long désir
qui ne veut vraiment pas mourir
avant d'avoir vu l'avenir

que finisse le temps des perdants
passe passe le temps inquiétant
un feu de vie chante en nos coeurs
qui brûlera tous nos malheurs

que finisse le temps des mystères
passe passe le temps des misères
les éclairs blancs de nos amours
éclateront au flanc du jour

vienne vienne le temps des passions
la liberté qu'on imagine
vienne vienne le temps du délire
et des artères qui chavirent

un sang nouveau se lève en nous
qui réunit les vieux murmures
il faut pour faire un rêve aussi
un cœur au corps et un pays

que finisse le temps des prisons
passe passe le temps des barreaux
que finisse le temps des esclaves
passe passe le temps des bourreaux

je préfère l'indépendance
à la prudence de leur troupeau
c'est fini le temps des malchances
notre espoir est un oiseau

(Gilbert Langevin) 

 

La pasionaria du Québec

Pauline Julien a été surnommée la pasionaria du Québec : rappelons, en ces temps où le communisme est évoqué dans l’actualité politique, que ce surnom fut d’abord accordé à Dolores Ibárruri, secrétaire générale du Parti communiste espagnol (PCE) entre 1942 et 1960, dont le fils mourra en défendant Stalingrad contre l’invasion nazie. Son fameux slogan anti-franquiste, ¡No Pasarán! , deviendra le titre de son autobiographie. Nous l’avons utilisé dans un de nos articles évoquant le rassemblement québécois dressé avec Diane Dufresne, une autre pasionaria québécoise, contre la folie trudeauesque de vouloir ériger à tout prix ses pipelines polluants Énergie-Est et Trans Mountain.

 

Lutte des artistes pauvres et solidaires

Pauline, cependant, réfutait le terme artiste engagée qui lui semblait trop lié à des engagements vénaux : elle revendiquait simplement le droit de réagir, avec sa totale liberté d’artiste et d’être humain, qui l’a amenée à être emprisonnée sous la loi des mesures de guerre de 1970, et d’avoir le courage, ensuite, de manifester devant Parthenais pour réclamer la libération de ses compagnons de lutte.

La liberté guidant le peuple (Marianne) une peinture de 1830 d’Eugène Delacroix.

En général, pasionaria est évoquée dans des circonstances de patriotisme ou du moins d’insurrection populaire, comme en cette peinture d’Eugène Delacroix illustrant l’héroïne du peuple, Marianne, dont le buste est présent dans chaque mairie de France.

Le malentendu d’ « engagée politique » est venu de son union avec Gérald Godin, né comme elle et Galipeau à Trois-Rivières. Et l’indépendance des femmes face à leurs conjoints n’étant pas encore affirmée il y a cinquante ans, les fédéralistes lui prêtaient les idées politiques de son mari, l’un des admirables journalistes de Québec-Presse, qu’on pourrait qualifier, d’après la teneur de ses éditoriaux, comme l’ancêtre de L’Aut’journal.

Gérald Godin devient député de Mercier (on souhaite bonne chance à Ruba Ghazal) en y délogeant en 1976 le premier ministre Robert Bourassa. Je connaissais bien la circonscription pour l’avoir sillonnée en 1973 aux bras de Hélène Le Beau, ma compagne d’avant mes études de cinq années à Vienne et à Moscou : avec les autres militants du PQ, notre porte à porte quotidien avait découvert plus d’un millier de morts inscrits sur les listes électorales. En signalant « l’erreur » au DGE (nommé par l’Union Nationale, alors le parti moribond de l’opposition), nous nous sommes heurtés à son rire gras : les morts allaient servir! En 1976, le PQ devenu l’opposition officielle, ces subterfuges sont éliminés. Que Québec Solidaire « se souvienne » de la lutte des artistes pauvres et solidaires comme Godin et Julien! Né à Téhéran, Amir Khadir sera, comme Daniel Turp du PQ, le plus digne successeur de Godin. Khadir avait d’ailleurs récité un de ses poèmes le soir de son intronisation dans Mercier en 2008. En voici un, pas piqué des vers :

Par les coquerelles de parlement 
les crosseurs d’élections 
les patineurs de fantaisie 
les tarzans du salut public 
j’ai mal à mon pays

par les écrapoutis d’assemblée nationale 
les visages de peau de fesse 
les toutounes de la finance 
les faux surpris de Mcgill 
j’ai mal à mon pays

par les plorines du Sénat 
les savates des sociétés du bon parler
la puanterie des antichambres des ministres 
les va-la-gueule de l’égalité ou l’indépendance 
j’ai mal à mon pays

par les poubelles du Canada mon pays mon profit 
par les regrattiers du peuple 
dans les pawn-shops de la patrie 
j’ai mal à mon pays

par les écartillés de l’honnêteté 
par les déviargés de la dignité 
par les déplottés de la vérité 
j’ai mal à mon pays

par les pas clair-de-nœuds 
par ceux qui ont des meubles en cadeau 
par les baveux du million mal acquis 
j’ai mal à mon pays


par les éjarrés de la vente au plus offrant 
par ceux qui nous trahissent pour du cash 
et nous chantent la pomme à crédit 
j’ai mal à mon pays

par les peddlers du fédéralisme enculatif 
et la ratatouille du pot-de-vin 
par les gras durs de radio-cadenas 
par les passeux de sapins 
les tireux de ficelles 
les zigonneux de fonds publics 
par tous ceux qui ont des taches de graisse 
sur la conscience 
j’ai mal à mon pays

par ces maudits tabarnaques 
de cinciboires de cincrèmes 
de jériboires d’hosties toastées 
de sacraments d’étoles 
de crucifix de calvaires 
de trous-de-cul 
j’ai mal à mon pays 
jusqu’à la fin des temps

(Gérald Godin, Libertés surveillées, 1975) 

PS Une des toutes dernières présences publiques de Pauline Julien fut lors de la remise du prix APLP1997 à la féministe Ginette Noiseux, à l’Espace GO le 14 février 1998. Elle m’avait fait confirmer que Jean-Louis Roux était bien à Ottawa ce jour-là, sinon elle m’avait affirmé qu’elle ne se retiendrait pas de le grafigner publiquement! Il y aurait un livre rigolo à écrire sur la difficulté de rassembler les bouillants artistes …pour la paix et la justice sociale.

En ces temps de résurrection au Rideau-Vert de la pièce Les fées ont soif de la grande Denise Boucher, rappelons que c’était le courageux Jean-Louis Roux qui avait envoyé promener les évêques voulant censurer la pièce présentée au TNM en 1978… Et voyons au sud de nos frontières l’hypocrisie de tant de sénateurs pharisiens qui croient en la pathétique et agressive défense de « l’honorable » Brett Kavanaugh, même montré les culottes baissées par l’honnête témoignage de la psychologue Ford. Espérons que les sépulcres blanchis auront bientôt fait leur temps!