Autopsie d’une défaite annoncée

2018/10/05 | Par Pierre Dubuc

Les maisons de sondage ont eu tout faux, sauf le constat que 70 % de la population voulait se débarrasser du Parti libéral. Avec ses 74 députés, la CAQ  est devenue le parti de l’alternance au Parti Libéral – réduit au rang de Parti des Anglais –, en profitant de la déconfiture du Parti Québécois. À l’autre extrémité du spectre politique, Québec Solidaire, avec l’élection de 10 députés, a arraché au Parti Québécois et à ses 9 députés, le leadership du camp indépendantiste et progressiste. Pour expliquer un tel renversement, il faut aller au-delà des vicissitudes de la dernière campagne électorale et effectuer un retour en arrière.


Rappel historique

En réaction à la politique du Déficit Zéro du gouvernement de Lucien Bouchard, l’aut’journal publiait, en mai 1997, l’appel de Paul Cliche pour une alternative politique. Cet appel a mené à la création du Rassemblement pour une alternative politique. Par la suite, en juin 2002, la réunion de trois tiers partis (RAP, PDS et PCQ) formera l’Union des forces progressistes (UFP), qui fusionnera avec Option citoyenne, en février 2006, pour créer Québec Solidaire.

Parallèlement à l’appel pour une alternative politique, nous avons publié, en 1999, le livre de Paul Cliche Pour réduire le déficit démocratique : le scrutin proportionnel. À cette époque, Bernard Landry s’était engagé à réformer le mode de scrutin. Mais l’élection de Jean Charest en 2003 mettait un terme à ces espoirs. Il était évident que l’existence d’un tiers parti ne viendrait que diviser le vote progressiste et indépendantiste, comme cela s’est avéré en 2012 lorsque la présence de QS a empêché Mme Marois de former un gouvernement majoritaire. Faute d’une telle réforme du mode de scrutin, nous avons proposé d’instaurer au sein du Parti Québécois une « proportionnelle » en s’inspirant du Parti socialiste français avec ses courants et ses clubs politiques et nous avons créé le SPQ Libre.

À son congrès de juin 2005, le Parti Québécois reconnaissait la présence de clubs politiques en son sein. À part le SPQ Libre, plusieurs autres étaient en gestation : clubs politiques des hommes d’affaires, des communautés culturelles, des environnementalistes, etc. À ce congrès, sous l’impulsion de la délégation de 75 membres du SPQ Libre, les congressistes ont adopté un des programmes le plus progressiste de l’histoire du PQ : réforme du Code du travail, plein emploi, fin des subventions publiques aux écoles privées, élargissement du mandat de Télé-Québec, mégapropositions sur l’eau et la langue, etc., etc. À cette époque, les sondages donnaient une majorité de voix en faveur de l’indépendance.

Mais Pauline Marois et François Legault oeuvraient en coulisses à miner le leadership de Bernard Landry. Insatisfait d’un vote de confiance à 76 %, Landry démissionna. Une erreur de jugement monumentale, dont nous subissons encore les conséquences.


La lente descente aux enfers du PQ

À partir de ce moment-là, le PQ entreprend un virage à droite, qui amorce une longue descente aux enfers. André Boisclair succède à Bernard Landry. Influencé par le « New Labour » de Tony Blair, il affirme sa volonté de rompre avec le mouvement syndical. Fini les « dîners bien arrosés » avec les chefs syndicaux, proclame-t-il tout en s’engageant à « soulager le capital » et à faire du Québec « l’endroit au monde où le capital est le mieux accueilli ». L’affrontement est alors inévitable avec le SPQ Libre. À l’élection de 2007, le résultat est désastreux. Le PQ est relégué au rang de deuxième opposition avec 28 % des suffrages.

Pauline Marois, qui lui succède, reprend où Boisclair avait laissé. C’est le même discours néolibéral sur la nécessité de « créer la richesse avant de la partager » dans le but de courtiser l’électorat adéquiste de la région de Québec. Le SPQ Libre s’oppose, ce qui mène à son expulsion du parti. Mme Marois ne devra son élection, à la tête d’un gouvernement minoritaire en 2012, qu’à la faveur, à la veille de l’élection, d’un virage à 180 degrés avec, entre autres, un appui à la grève étudiante.

La dégringolade idéologique du PQ s’est poursuivie avec l’élection à la tête du parti du roi des lock-out, Pierre Karl Péladeau. Son seul legs est la création d’un institut de recherche sur l’indépendance qui n’a produit, à notre connaissance, encore aucune étude.

La descente aux enfers allait se poursuivre avec le report aux calendes grecques du référendum et le « tablettage » de l’indépendance avec Jean-François Lisée. La laïcité et la question linguistique sont aussi évacuées, au point de faire du PQ le promoteur d’un débat en anglais ! Une première !  L’éducation  est proclamée la priorité des priorités. Mais la politique la plus structurante pour mettre fin à la ségrégation sociale qui mine notre système d’éducation, soit la fin des subventions publiques aux écoles privées, est écartée du revers de la main.


L’habileté stratégique de QS

Longtemps dominé par une « aile dogmatique », dont les origines remontent aux groupes maoïstes, qui ont combattu le Oui, lors du référendum de 1980, sous le slogan « Parti Québécois, Parti Bourgeois », Québec Solidaire a effectué un tournant stratégique sous la gouverne de Manon Massé et Gabriel Nadeau-Dubois en mettant de l’avant l’indépendance et en lui donnant de la substance avec le ralliement d’Option nationale. Les victoires de Sol Zanetti et Catherine Dorion dans les circonscriptions de Jean-Lesage et Taschereau confirment que la direction de QS a su apprécier à sa juste valeur l’opinion de Jacques Parizeau, qui avait vu le potentiel d’Option nationale au point de lui accorder son appui, lors du scrutin de 2012.

De plus, face à un Parti Québécois qui proposait un programme sans aventure, rapetissant le Québec au rang de province, QS a réussi à mobiliser et enthousiasmer la jeunesse avec son virage vert, dont le radicalisme apparaissait justifié après l’été caniculaire que nous avons connu.

Enfin, la co-porte-parole Manon Massé a complètement surclassé les chefs des autres partis au cours des débats télévisés.  Jean-François Lisée, qui avait pu mesurer l’impact de Lucien Bouchard, lors du référendum de 1995, et de Jack Layton en 2011, aurait dû savoir que sa sortie contre Manon Massé, lors du deuxième débat, était vouée à l’échec. On ne peut s’en prendre avec succès à quelqu’un qui se déplace avec une canne !
 

Et maintenant ?

Tout cela ne devrait pas nous faire oublier que c’est la CAQ qui a remporté la victoire et non QS, que c’est la CAQ qui a remplacé le PQ et non QS ! Une nouvelle fois, la division du vote indépendantiste et progressiste a pavé la voie à l’accession de la droite au pouvoir.

Ceux qui croient qu’un parti politique n’est pas seulement un moyen d’exprimer un vote de protestation, mais d’accéder au pouvoir pour changer les choses, devront en tirer les leçons. À défaut d’un scrutin comportant des éléments de proportionnelle, il est impérieux que les indépendantistes et les progressistes s’unissent au sein d’un même parti. Un parti résolument progressiste et indépendantiste, qui permet l’expression de différentes tendances.  La victoire est à ce prix !

 

Photo: Valerian Mazataud