Les Couche-tard versus Tout le monde en parle (6)

2018/10/09 | Par Claude G. Charron

Dans une série de cinq textes ayant Les Couche-tard versus Tout le monde en parle comme titre commun, Pierre Dubuc avait gracieusement accepté que je m’affaire à les rédiger et que l’aut’journal les publie en rafale dans la semaine précédant le scrutin du 1er octobre. Il reste qu’à la suite de l’émission Tout le monde en parle du dimanche 30 septembre, je me sens maintenant grandement motivé à écrire un sixième texte, lequel complètera la série. Du moins, je l’espère.

Cette motivation m’est spontanément venue en tête quand j’ai été stupéfait dimanche dernier d’entendre une grosse fausseté dite en ondes par Chantal Hébert et corroborée par Josée Legault. Ces deux journalistes avaient spécialement été invitées à TLMEP  pour qu’avec Luc Lavoie, elles décortiquent les grands moments de la campagne électorale s’achevant.   

Il n’est pas nécessaire de s’attarder sur ce que chacune et chacun des analystes ont retenu d’important dans cette campagne.  Luc Lavoie a quand même insisté pour dire que ce fut une des plus insignifiantes qu’il ait couvert dans toute sa carrière de journaliste. Quant à Josée Legault, c’est avec beaucoup de pertinence qu’elle a signalé que tout l’attention du public avait été uniquement concentrée sur les performances des chefs plutôt que sur les idées défendues par chacun des partis.

Mais ce qui, pendant cette discussion m’a réellement dérangé fut quand Chantal Hébert a fait porter tout le poids de la défaite du Parti québécois en 2014 sur la Charte de la laïcité, et que Josée Legault ait tout de go opiné du bonnet pour ensuite donner davantage raison à sa collègue, se disant d’accord avec elle que ce fut véritablement cette charte qui aurait poussé Jacques Parizeau à déclarer que le PQ était devenu un véritable champ de ruines.

Sur le Web, je n’ai retrouvé aucun extrait de cette déclaration de l’ancien premier ministre qui aurait été faite à la fin de l’été 2014.  J’ai par contre trouvé un petit bijou. Il s’agit du dernier interview substantiel que Monsieur ait accordé à un journaliste au débute de févier 2015, donc quelques mois avant son décès. Dans le cadre de l’émission Le 21e, Jacques Parizeau avait répondu aux questions de Michel Lacombe concernant les influences de son milieu familiale qui l’a mené à être un aussi grand professeur, un important conseiller de premiers ministres, un politicien hors-pair et un grand chef d’État.

Aux plus pressés de mes lecteurs, je les invite d’aller directement à la quarante-quatrième minute de l’interview quand Lacombe rappelle à Parizeau qu’il avait déclaré durant l’été que la souveraineté n’allait pas et qu’elle était même devenue un champ de ruines, vous sembliez dire, lui dit Lacombe, que le PQ n’est plus un instrument utile pour les gens que vous venez de décrire (les chansonniers qui ont fait la Révolution tranquille). Parizeau lui répond que « c’est la question que l’on doit se poser, à savoir si le PQ est encore le bon véhicule » (pour en arriver à la souveraineté du Québec).

 L’ex-premier ministre ajoute qu’avec le PQ, la souveraineté a perdu son âme car on y manque de vision et d’enthousiasme. « On s’égare dans des discussions byzantines. À quelle date un référendum? On va à la télévision pour dire que ce ne sera pas dans le premier mandat. Ça sera peut-être dans le deuxième. Ce n’est pas de cela que les gens ont besoin mais on s’en fout. »

 En aucun moment dans ce long interview de 55 minutes, Jacques Parizeau a invoqué la Charte des valeurs comme ayant été la pierre d’achoppement qui aurait fait tellement trébucher le PQ qu’il serait tombé en plein champ de ruines.  Je me rappelle qu’Anne-Marie Dussault a eu l’occasion de l’interviewé au 24/60 sur ladite Charte des valeurs et qu’il s’était montré critique à son sujet, mais delà à tout rejeter du projet de loi… Il faut également se rappeler qu’en un autre soir au 24/60, le sociologue Guy Rocher est venu dire qu’il était en accord avec la Charte. Comment croire alors que les discussions byzantines dont parle Parizeau aient quelque rapport avec le projet de loi de Bernard Drainville en 2014?

Ce qui est grinchant avec une émission comme Tout le monde en parle c’est le flou qui persiste quand l’équipe se mêle à inviter des journalistes pour entretenir la population sur d’importants sujets d’actualité. Il peut y avoir déséquilibre dans les opinions que débitent ces journalistes sur certaines questions importantes divisant la société. Or, ce dimanche 30 septembre, deux des trois journalistes invités ont déclaré que, s’appuyant à tort sur Jaques Parizeau, ce fut à cause de la Charte des valeurs que le Parti québécois a subi la défaite 2014.  Quant à Luc Lavoie, on sait où il loge.  

Il faut savoir que si, à la place de Josée Legault, Louise Beaudoin avait été choisie comme analyste indépendantiste, l’ex-députée de Rosemont n’aurait sûrement pas opiné du bonnet quand Chantal Hébert a délivré son boniment sur la Charte des valeurs. Les gens du Saint-Office à Ottawa ont dû être enchantés du choix des trois invités fait par l’équipe de TLMEP afin de traiter de la campagne électorale en son dernier souffle.

Pourquoi ne le seraient-ils pas quand on sait que, durant le débat sur la Charte des valeurs à l’hiver 2014, l’émission Les coulisses du pouvoir nous a présenté nos trois habituels analystes, les Chantal Hébert, Alex Castonguay et Michel G. Auger fustiger en chœur la Charte des valeurs?  Une unanimité dérangeante ici et qui entache profondément la réputation du Service de l’information de Radio-Canada.  

À peine deux jours après cet historique scrutin du 1er octobre 2018, la dure réalité s’est faite jour.  Bien des gens ordinaires ont toujours su que ce n’est pas tant la Charte des valeurs qui fit perdre le PQ au scrutin de 2014, mais bien le fait que le parti ait perdu son âme, dixit Parizeau. Il n’était donc pas du tout prêt à affronter l’électorat suite au point levé d’un Pierre-Karl Péladeau fin prêt quant à lui à défendre à fond l’important article un qui fait que ce parti est loin d’être mort.  Et qui reste celui qui compte le plus de membres.   

Les gens ordinaires savaient également que si, au lieu de déclencher précipitamment une élection générale, Pauline Marois avait laissé la commission parlementaire siéger, elle aurait pu apprendre qu’une vaste majorité de citoyennes et de citoyens était d’accord avec la Charte. Il aurait alors suffi qu’elle accepte les quelques amendements suggérés par la CAQ et c’aurait été le PLQ plutôt que le PQ qui aurait alors été piégé. 

Il suffit de voir comment le futur gouvernement Legault a su aussi vite s’engager à présenter une nouvelle charte à la population pour savoir que cette idée de laïcité est depuis bien longtemps ancrée dans la tête de la société québécoise.

Je sens que les événements vont se bousculer autour d’un gouvernement qui se dit prêt à utiliser la clause de dérogation de la Constitution canadienne afin que celui des juges ne s’ingère point dans sa décision de doter le Québec d’une loi sur la laïcité. Je tiens à participer à un débat remettant en cause le multiculturalisme des Trudeau père et fils. J’ai encore beaucoup à dire à ce sujet.  À la prochaine.