Pour une refondation du mouvement indépendantiste qui inclut la question linguistique

2018/10/23 | Par Frédéric Lacroix

La place qu’occupe l’anglais dans le système scolaire québécois ne cesse d’augmenter depuis les 15 dernières années. Au primaire, l’école a quasi basculé dans la diglossie (Utilisation de deux systèmes linguistiques ayant chacun un statut sociopolitique différent) avec « l’anglais intensif ». Au secondaire, hors de l’anglais « langue maternelle », point de salut. Au cégep, les cégeps anglophones sont pleins à craquer et l’anglicisation des cégeps francophones va bon train. À l’université, les universités francophones travaillent à élargir leur offre de cours en anglais. Ce phénomène, contrairement à ce que l’on veut bien nous faire croire, est un jeu à somme nulle : l’expansion de l’anglais se réalise bien sûr grâce à une contraction de l’espace qu’occupe le français. Le tout est facilité, évidemment, par l’appui financier et logistique d’Ottawa.

Face à cette menace existentielle, la réponse des indépendantistes a été lamentable. Elle a essentiellement consisté à faire semblant qu’il ne se passait rien. Pire, une certaine frange du mouvement tente même d’exploiter l’insécurité linguistique grandissante des Québécois en proposant d’aller encore plus loin dans l’anglicisation du système d’éducation de langue française, par exemple, en anglicisant les cégeps français.

Comment renverser la vapeur? D’abord en rétablissant une cohérence idéologique dans le domaine linguistique chez les indépendantistes. À cet égard, la notion de français langue commune, qui sous-tend toute la Charte de la langue française est la bonne. Elle doit redevenir la notion phare qui guide et oriente les indépendantistes. Ensuite, il faut repenser la question du français sur plusieurs volets.

Premièrement, il faut viser à tuer l’objectif d’Ottawa de faire des enfants québécois des petits sujets « bilingues » : pour que le français soit la langue commune, il faut qu’il soit la priorité du système d’enseignement. Une majorité d’élèves n’ont plus le français comme langue maternelle dans les écoles de Montréal : il est suicidaire d’ignorer cette nouvelle réalité. Le français ne sera pas la langue commune si l’ensemble du système d’éducation « francophone » continue à s’angliciser comme il le fait actuellement.

Deuxièmement, il faut situer les réformes à faire dans le cadre d’une volonté de mise à nu de l’hypocrisie de la Loi sur les langues officielles. Les indépendantistes doivent mettre en évidence les fourberies de la conception trudeauiste du « bilinguisme ». Celles-ci sont les suivantes.

D’abord, le libre choix est une politique mensongère basée sur l’illusion qu’il suffit de décréter une égalité juridique théorique des langues pour que cette égalité se transfère dans la réalité. Il n’en est rien. Au Canada, l’anglais est la langue dominante. Le français est dominé. L’assimilation des francophones s’accélère à Montréal. Le bilinguisme version Trudeau est en réalité un diglossisme asymétrique. C’est un piège à cons. Les indépendantistes ne doivent pas avoir peur de l’affirmer brutalement et souvent. Ils devraient d’ailleurs cesser d’employer le terme de « bilinguisme » pour désigner la néfaste politique fédérale.

Ensuite, le diglossisme asymétrique fédéral enferme les Québécois dans une vision du monde où la seule langue étrangère valable est l’anglais. Cela est une fermeture, une restriction mentale qui nous coupe de la diversité du monde et nous asphyxie. Pourquoi les jeunes Québécois seraient-ils empêchés d’apprendre une autre langue étrangère s’ils le souhaitent? Rappelons que très peu de jeunes Québécois de langue maternelle française parlent une autre langue étrangère que l’anglais (environ 2% seulement parlent espagnol).

Troisièmement, les indépendantistes doivent passer à l’offensive. Voici quelques propositions pour le système d’éducation: faire sauter le monopole de l’anglais et offrir le « libre choix » de la langue seconde. Cette mesure serait d’une grande portée psychologique : d’un seul coup, l’on mettrait aux poubelles la soumission du système d’éducation québécois à la Loi sur les langues officielles.

Il faudrait aussi introduire une deuxième, voire une troisième langue seconde au primaire et secondaire. Que les jeunes Québécois puissent devenir bilingues dans le vrai sens du terme, c’est-à-dire parlant français-espagnol, français-anglais, français-mandarin (par exemple), ou même trilingues, aurait de nombreux avantages. Le français deviendrait le pivot de ce multilinguisme (alors que l’anglais joue ce rôle actuellement), ce qui donnerait tout son sens à la notion de langue commune.

Économiquement, la proposition serait forte : certains commentateurs médiatiques qui cachent leur soumission au Canada derrière « l’économie » seraient bien mal pris de s’opposer à ce que les entreprises disposent d’une main-d’œuvre polyglotte.

Nous devrions dégager le premier et le deuxième cycle du primaire (au minimum) des cours d’anglais afin de rétablir la « prédominance » du français au primaire. Le premier cours de langue du cycle primaire devrait être un cours d’introduction à la diversité des langues dans le monde. Cela aurait l’avantage de marquer l’imaginaire des enfants dès le départ au lieu de les enfermer dans l’idée que l’anglais est la seule langue qui vaille.

Des notions de langues autochtones du Québec pourraient être introduites dans ce cours, ce qui aurait plusieurs avantages, dont celui de tisser des liens avec les nations autochtones présentes au Québec (ex. : Algonquin en Abitibi, Innu sur la Côte-Nord, Attikamek en Mauricie, etc.) et de développer la conscience du territoire chez les jeunes. On pourrait imaginer que l’école initie les enfants à la langue des nations autochtones de leur région : Le rapprochement serait réel.  

La faiblesse actuelle du statut du français au Québec fait en sorte que certains parents paniquent à l’idée que leur progéniture ne parle pas parfaitement anglais dès le plus jeune âge. Il faut les comprendre : au Québec, l’anglais est exigé hystériquement pour tous les postes à tous les niveaux, qu’il soit nécessaire, qu’il soit utile ou non. La panique des parents est aussi liée à une insécurité culturelle grandissante chez les francophones ainsi qu’à la notion fausse, mais martelée médiatiquement, que l’apprentissage d’une langue doit absolument se faire le plus tôt possible (alors que cela est moins efficace qu’un apprentissage fait plus tard).

Pour parer à l’opposition éventuelle de cette cohorte à des changements structurels importants, une mesure simple pourrait être d’introduire de substantiels crédits d’impôt pour leur permettre d’envoyer leur enfant faire une immersion linguistique dans un camp de vacances l’été. Cela aurait l’avantage de déplacer une partie de la charge d’anglicisation hors du système scolaire.

Il faut pleinement intégrer le fait qu’une page vient d’être tournée avec les élections d’octobre. La stratégie qui était celle des indépendantistes depuis 1996, soit ne rien faire, continuer comme si de rien n’était, a vécu. Cette stratégie a permis à Ottawa d’avancer à sa guise et a placé les indépendantistes devant un champ de ruines. Pour remobiliser, il faudra changer de stratégie, faire preuve d’une véritable audace et, surtout, avoir les idées claires.

Le chantier qui s’ouvre maintenant est celui de la refonte de la stratégie du mouvement indépendantiste. Cette refonte doit, à mon avis, absolument intégrer la question linguistique. L’errance, l’incohérence, les « tirs amis » qui ont caractérisé les vingt dernières années doivent cesser. Le mouvement indépendantiste doit réintégrer pleinement le concept de français langue commune et en faire le pivot de son action. Il lui faut mettre de l’avant des propositions structurantes qui ont comme objectif de briser l’emprise de Loi sur les langues officielles et d’un ordre des choses qui vise à nous asphyxier.