Inspirons-nous de Bernard Landry, le rénovateur du Parti Québécois

2018/11/09 | Par Marc Laviolette et Pierre Dubuc

Les auteurs sont respectivement président et secrétaire du SPQ Libre

Dans la multitude de commentaires qui ont suivi le décès de Bernard Landry, la « grande oubliée » est la « Saison des idées », une démarche audacieuse faisant appel à la base militante indépendantiste pour rénover de fond en comble le Parti Québécois, après la défaite de 2003.

Lors du débat des chefs de l’élection de 2003, Bernard avait été victime d’un coup fourré du journal La Presse et du Parti Libéral, qui lui avait fait perdre le débat et possiblement l’élection. Jean Charest lui avait demandé, à répétition, de commenter une supposée déclaration de Jacques Parizeau, prononcée l’après-midi même à Trois-Rivières, reprenant ses propos du soir du référendum de 1995 sur le « vote ethnique ». Tenu dans l’ignorance du contenu de cette déclaration, Landry n’avait eu d’autre choix que de se replier sur la formule, devenue célèbre, « audi alteram partem » (écouter l’autre partie). Il en avait tiré la conclusion que, pour contrer une presse fédéraliste hostile, il n’y avait qu’une solution : un puissant parti de masse, bien implanté dans tous les milieux. 


Reconstruire la grande coalition indépendantiste

C’est dans le contexte de cette « Saison des idées » que nous nous sommes investis au Parti Québécois avec un groupe de syndicalistes et de progressistes. Réalisant que l’avènement à court terme d’une réforme du mode de scrutin instaurant des éléments de proportionnelle était illusoire, nous avons proposé à Bernard Landry une représentation proportionnelle des tendances au sein du Parti Québécois sous la forme de clubs politiques, en nous inspirant des pratiques en cours dans le Parti socialiste français.

Nous voulions renouer avec l’esprit du Parti Québécois des années 1970 et son large éventail de courants idéologiques,  de la gauche syndicale aux créditistes. Nous étions conscients que nombre de progressistes avaient rompu avec le parti au lendemain des négociations conflictuelles du secteur public au début des années 1980 et qu’ils n’y étaient pas revenus, même lors du référendum de 1995. L’alliance avec les progressistes avait alors eu lieu à l’extérieur du Parti Québécois, dans le cadre des Partenaires pour la souveraineté.

Nous étions aussi conscients que Bernard Landry était associé aux politiques du Déficit Zéro et que nous avions été dans des camps opposés à propos du libre-échange.  Par contre, nous avions aussi de meilleurs souvenirs, comme son implication dans le sauvetage de l’usine Paccar à Ste-Thérèse.

Malgré ces réserves, nous considérions toujours comme pertinente l’analyse développée par Pierre Vallières dans L’urgence de choisir (1971), selon laquelle le Parti Québécois, à cause de son caractère de masse, demeurait « la principale force politique stratégique du mouvement indépendantiste ». Cependant, le retour significatif d’une gauche au Parti Québécois ne pouvait se réaliser sans garanties formelles dans les structures mêmes du parti.

Bernard Landry l’a reconnu. Il a piloté des modifications aux statuts du parti permettant la reconnaissance de clubs politiques  ayant pour mandat de « mettre en évidence et promouvoir l’expression politique d’une perspective spécifique » et leur représentation dans les différentes instances du parti. Pour envoyer un message clair aux militantes et militants du parti, M. Landry a appuyé la candidature de la présidente du SPQ Libre, Monique Richard, à la présidence du Parti Québécois.

Rapidement, plus de 400 personnes ont adhéré au SPQ Libre et 75 d’entre elles feront partie de la délégation de leur circonscription au congrès de 2005. À cette occasion, les congressistes ont adopté un des programmes parmi les plus progressistes de l’histoire du Parti Québécois : réforme du Code du travail, plein emploi, fin des subventions publiques aux écoles privées, élargissement du mandat de Télé-Québec, mégapropositions sur l’eau et la langue. Le congrès a aussi adopté un plan détaillé d’accession à l’indépendance avec la tenue d’un référendum « le plus rapidement possible », pour profiter du fait que les sondages donnaient une majorité de voix en faveur de l’indépendance.

Malheureusement, la décision malencontreuse de M. Landry de démissionner, malgré un vote de confiance de 76,2 %, est venue tout remettre en question. À ce sujet, il faut rappeler les manœuvres en coulisses de François Legault et Pauline Marois pour saper le leadership de M. Landry. Tout aussi inexcusable a été l’attitude de militants de la langue, dont des membres du SPQ Libre, qui ont privé M. Landry de son objectif de 80% parce qu’il avait combattu leur proposition d’étendre les dispositions de la Loi 101 aux cégeps.

Nous avions pourtant convenu avec M. Landry une entente que nous résumions ainsi : le PQ acceptait la présence de points de vue minoritaires et nous nous engagions, en échange, à ne pas déchirer notre chemise sur la place publique lorsqu’une de nos propositions serait battue. Ironie du sort, M. Landry s’est rallié publiquement, quelques années plus tard, à la proposition d’étendre les dispositions de la Loi 101 aux cégeps, ce qui a contribué à son adoption, parrainée par Pierre Curzi, au congrès de  2011.


Rendre hommage à Bernard Landry

M. Landry adhérait avec grand enthousiasme au concept des clubs politiques. Il y voyait un potentiel extraordinaire pour régénérer le Parti Québécois, en faire à nouveau la grande coalition indépendantiste de ses origines, reléguant aux marges de la vie politique les tiers partis. Il avait lui-même approché des gens du monde des affaires pour créer un club politique les représentant. Des clubs politiques de militantes et militantes des communautés ethniques et des milieux environnementalistes étaient aussi en gestation.

Le projet aurait toujours pu aller de l’avant après sa démission. Mais ni André Boisclair, ni Pauline Marois n’y croyaient. À l’époque deux interprétations diamétralement opposées de la défaite de 2003 s’affrontaient. Un premier courant, dont nous faisons partie avec M. Landry, attribuait la défaite à l’abstentionnisme.  En 2003, comme en 1985 et 1989, les défaites coïncidaient avec des taux de participation faibles, alors que les victoires de 1976, 1981, 1994 et 1998 correspondaient à des taux de participation élevés. Nous soutenions que le PQ devait se camper résolument à gauche pour rallier les abstentionnistes.

Un autre courant, animé, entre autres, par Joseph Facal et André Boisclair, prônait plutôt une rupture avec le discours social-démocrate dans le but de conquérir l’électorat adéquiste. On connaît le résultat. Avec André Boisclair, le PQ a été relégué au rang de deuxième opposition avec 28% des suffrages, lors d’une élection caractérisée par un faible taux de participation. Débutait alors la longue descente aux enfers qui nous amène à la situation actuelle, malgré un certain redressement au dernier congrès.

Aujourd’hui, le Parti Québécois doit à nouveau se redéfinir. La solution ne réside pas dans des modifications superficielles de « rebranding » – comme changer le nom du parti – mais plutôt dans une nouvelle « Saison des idées ». Ce serait le plus bel hommage que les membres du Parti Québécois pourraient rendre à Bernard Landry.