Le ministre de l’Éducation, tel que vu par le président de son ancien syndicat

2018/11/14 | Par Pierre Dubuc

Éric Gingras, le président du Syndicat de Champlain (CSQ), connaît bien Jean-François Roberge, le nouveau ministre de l’Éducation. Pendant ses dix-sept années à titre d’enseignant au primaire, Jean-François Roberge était membre du Syndicat de Champlain et il a été élu en 2014 député de la circonscription de Chambly, dont le territoire recouvre une des commissions scolaires représentées par le Syndicat.

« Comme député, il a toujours manifesté beaucoup d’ouverture », reconnaît Éric Gingras, qui a entretenu un dialogue suivi avec celui qui était le critique de la CAQ en matière d’éducation et qui a été membre de la Commission de l’enseignement primaire du Conseil supérieur de l'éducation.

Jean-François Roberge est familier avec le monde syndical. Étudiant, il a été membre du conseil d’administration de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ). Par la suite, il s’est colletaillé avec la CSQ. Avec Force Jeunesse (qu’il a présidé) et l’Association de défense des jeunes enseignants du Québec, il a mené la lutte contre le gel d’avancement d’échelon d’un an dans la convention collective de 1997, adopté dans le cadre du Déficit zéro. Le caractère discriminatoire de la clause a été reconnu et les jeunes enseignants ont remporté une victoire partielle.

Mais la grande cause défendue par l’enseignant Jean-François Roberge a été la création d’un ordre professionnel. Dans son livre « Et si on réinventait l’école ? » (Québec Amérique), il date l’origine de cette préoccupation du temps où, étudiant en troisième secondaire, il avait été scandalisé qu’un enseignant ayant un problème d’alcool, connu de tous, ait pu continuer à sévir sans que le directeur prenne les mesures nécessaires.

« Nous nous sommes opposés à plusieurs reprises sur la question de l’ordre professionnel, rappelle Éric Gingras. Pendant la campagne électorale, nous avons organisé un débat public, retransmis par vidéo, auquel il a participé. Je retiens de ce débat qu’il s’est engagé à ne pas imposer d’ordre professionnel sans l’accord des enseignants », tient-il à souligner, en rappelant que le Syndicat de Champlain a organisé, il y a quelques années, sur ce sujet un vaste débat auprès de ses membres, auquel a participé activement Jean-François Roberge. Un référendum a tranché : 72,3 % des membres se sont prononcés contre l’ordre professionnel avec un taux de participation de 92,5 %.
 

Les maternelles 4 ans

Éric Gingras applaudit le projet de la CAQ d’implanter des maternelles 4 ans en milieux défavorisés. Contrairement à tous ceux qui mettent en doute sa faisabilité à cause d’un manque de locaux et d’enseignants, il pense que « le béton n’est pas un problème ».   Par contre, une rumeur qui circule l’amène à émettre un sérieux bémol sur le recrutement des futurs enseignants. « Il ne faudrait pas que, pour faire des économies, on crée une nouvelle classe d’emploi, avec de supposés super-éducateurs, détenteurs d’une formation en service de garde ‘‘enrichi’’ d’un certificat en pédagogie. On ne veut pas de mini-enseignants. »

Si on veut attirer de nouveaux enseignants, le ministre doit s’en tenir à son approche de bonification de la profession. « Son idée d’augmenter de 8 000 $ le salaire de base en supprimant les six premiers paliers de l’échelle salariale est excellente. Mais les mesures d’attraction doivent s’accompagner de mesures de rétention. Si la tâche est trop lourde, comme c’est le cas actuellement, les profs vont continuer à décrocher », précise Éric Gingras.

À cet égard, il prend acte de la volonté du ministre d’augmenter le nombre de classes spéciales. « C’est une mesure bien accueillie dans le milieu. Cependant, le parcours pour y arriver est rempli d’obstacles. Des directions d'école ne veulent pas identifier les élèves et des parents ont déjà eu recours aux tribunaux pour forcer l’intégration de leurs enfants dans les classes ordinaires. »

D’autres mesures touchant les professionnels et les employés de soutien suscitent également l’adhésion du président de Champlain. « Jean-François Roberge a parlé, au cours de la campagne électorale, de l’instauration d’un plancher de services, une mesure intéressante pour les professionnels, et il s’est prononcé contre le recours à la sous-traitance pour le soutien scolaire. Reste maintenant à connaître son plan pour valoriser le rôle du personnel de soutien. »
 

Le dogmatisme antisyndical de la CAQ

Le président de Champlain a relevé que, dans son livre, Jean-François Roberge s’élève « contre les dogmes ». Il dit espérer qu’il appliquera cette ligne de conduite dans ses relations avec les syndicats et qu’il ne se fera pas le défenseur de l’attitude dogmatique et antisyndicale de la CAQ. Des propos récemment entendus l’inquiètent.

« Le ministre nous dit qu’il sera à l’écoute des gens du milieu et qu’il ne cédera pas devant les lobbies et les groupes de pression. Il ne faudrait pas qu’il range les syndicats dans ces catégories. Après tout, c'est nous qui représentons les ‘‘gens du milieu’’, du moins une partie significative d’entre eux : les enseignants, les employés de soutien et les professionnels. »

La question risque de devenir un sujet de discorde quand le ministre voudra remplacer les commissions scolaires par des centres de service. « Le ministre prévoit que des représentants des enseignants, des employés de soutien et des professionnels siègeront sur le conseil d’administration de la nouvelle structure. Comment vont-ils être nommés? Seront-ils élus? Qui va les élire? Leurs pairs? Va-t-on essayer de les mettre en opposition à leurs syndicats? Si c’est le cas, ça ne passera pas ! »

Autre sujet d’inquiétude à propos de cette nouvelle structure : la profession de foi envers la décentralisation, un autre dogme de la CAQ. « Déjà, les directions d’établissements affirment qu’ils ont trop de travail. Qu’arrivera-t-il lorsqu’ils ne pourront plus s’appuyer sur le personnel de la commission scolaire pour accomplir certaines tâches? Va-t-on nommer des directeurs adjoints dans les établissements pour remplacer les postes supprimés dans les commissions scolaires? »

En somme, Éric Gingras salue la nomination d’un ministre de l’Éducation venant du milieu scolaire et dont il a pu apprécier l’attachement sincère à l’éducation, malgré certains désaccords importants. Cependant, il n’oublie pas un seul instant qu’il a été élu sous la bannière de la CAQ.