Immigration et Santé : Nadeau-Dubois dans les traces des Trudeau père et fils

2018/11/15 | Par Pierre Dubuc

« QS prie Ottawa d’ignorer les demandes du Québec en immigration », titre Le Devoir de ce matin, 15 novembre 2018. L’article nous apprend que Gabriel Nadeau-Dubois, le porte-parole de Québec solidaire, « invite Ottawa à ne pas tenir compte des appels du gouvernement caquiste à collaborer afin de réduire, de 52 000 à 40 000 ». GND appelle « le gouvernement fédéral à accueillir autant de réfugiés et de proches de personnes déjà établies au pays qu’il l’entend pour demeurer un ‘‘leader’’ mondial ».

Le porte-parole de QS essaie d’éviter le débat constitutionnel en affirmant que son parti ne s’est pas rangé « du côté d’Ottawa », mais bien « du côté des êtres humains qui choisissent le Québec pour y construire leur vie ».

 

Plus fédéraliste que le PLQ !

GND a bien le droit d’être en désaccord avec le gouvernement Legault sur les seuils d’immigration, mais son appui ouvert au gouvernement Trudeau est lourd de sens au point de vue politique. Pour en prendre la mesure, il suffit de mentionner que la porte-parole du Parti Libéral en matière d’immigration, Dominique Anglade, a refusé de prendre le parti du gouvernement fédéral, malgré son opposition à la réduction du nombre d’immigrants admis au Québec. « C’est au gouvernement du Québec de décider ce qu’il veut faire », a-t-elle affirmé. Le Parti libéral est plus respectueux de l’autonomie du Québec que ne l’est Québec solidaire !

Bien sûr, la Loi constitutionnelle de 1867 affirme, bien que l’immigration soit une compétence partagée entre Ottawa et le Québec, la primauté du pouvoir du gouvernement fédéral sur celui des provinces.

Cependant, à partir des années 1970, les gouvernements québécois successifs ont mené de rudes batailles pour arracher à Ottawa des ententes, qui permettaient au Québec de détenir davantage de pouvoirs en matière d’immigration, en considérant que cette question était vitale pour le Québec.

Autrement dit, le Québec a réussi à élargir son espace de juridiction, ce qui constitue une illustration de l’application de son droit à l’autodétermination.

Prendre position pour Ottawa dans ce débat, comme le fait GND, est une négation du droit à l’autodétermination du Québec. C’est bien beau de se proclamer indépendantiste en période électorale, mais faire appel au grand frère fédéral à la première occasion, c’est renier son engagement premier!

 

Plus fédéraliste que La Presse

La même approche semble se dessiner en matière de santé. Réagissant à la lettre de la ministre fédérale de la Santé Ginette Petitpas Taylor, qui menace de réduire les transferts en santé si le Québec maintient un système où les patients doivent payer pour des soins dans le secteur privé, Nadeau-Dubois s’empresse de réagir en disant que « sur le fond », Ottawa a raison !

En fait, « sur le fond » constitutionnel, Ottawa a tort et Nadeau-Dubois est une nouvelle fois dans le champ! Cette fois-ci, contrairement à l’immigration, la santé n’est pas une compétence partagée. Elle est clairement de juridiction provinciale. Ottawa est intervenu dans ce champ en vertu de son pouvoir de dépenser des sommes dans des sphères d’activités de son choix sans respecter le partage des compétences entre le fédéral et les provinces.

Cette pratique est dénoncée, depuis des lustres, non seulement par les souverainistes, mais également par les fédéralistes québécois. Dans un texte paru dans Le Devoir (Pouvoir fédéral de dépenser : des effets pervers, 10 décembre 2016), l’ex-ministre libéral Benoit Pelletier rappelait que « la Loi de 1867 ne parle pas du pouvoir de dépenser ». Toutefois, ajoute-t-il, la Cour suprême « semble encline à autoriser l’exercice du pouvoir fédéral de dépenser dans les champs de compétence provinciale », mais en y imposant une limite : « Il ne doit pas équivaloir à une tentative de légiférer dans les champs de compétence de l’autre ordre de gouvernement ni de régir ou réglementer ces derniers. »

C’est exactement ce que fait la ministre Petitpas Taylor et c’est précisément ce que dénonce l’éditorialiste Ariane Krol de La Presse lorsqu’elle rappelle que « les transferts fédéraux, qui financent à peine 25% du système québécois, ne donnent pas le droit à Ottawa de téléguider l’organisation des soins » (15 novembre 2018).

La Loi canadienne sur la santé illustre parfaitement les « effets pervers » du pouvoir fédéral de dépenser. Lors de son adoption, en 1984, Ottawa s’était engagé à rembourser 50% de la facture. Aujourd’hui, ce n’est plus que 25%. La Loi sur la santé est une  illustration parfaite du déséquilibre fiscal entre Ottawa et Québec que dénoncent depuis des années les souverainistes québécois.
 

Combien d’immigrants au Québec? 75 000 ?

Sur la question de l’immigration, il serait important de savoir quelle est exactement la position de Nadeau-Dubois quand il invite « le gouvernement fédéral à accueillir autant de réfugiés et de proches de personnes déjà établies au pays qu’il l’entend pour demeurer un ‘‘leader’’ mondial ».

Particulièrement, lorsqu’on sait que le nombre « qu’il l’entend » a été déterminé dans le Rapport Barton qui recommandait, en 2016, d’augmenter de 50% le nombre d’immigrants au Canada, en faisant passer le seuil de 300 000 à 450 000 annuellement, soit 75 000 au Québec.

Le Rapport Barton, intitulé Attirer les talents dont le Canada a besoin grâce à la l’immigration est une production du Comité consultatif en matière de croissance économique, créé par le gouvernement Trudeau.

Le Comité est présidé par Dominic Barton, directeur général de la firme de consultation McKinsey & Company. Elle comprend 25 000 employés avec des bureaux dans 80 pays et un chiffre d’affaires de plus de 10 milliards $ en 2015. Elle est qualifiée dans certains milieux d’« éminence grise du capitalisme ». Avouons que Nadeau-Dubois se trouve en bien drôle de compagnie !

S’il était conséquent avec son mandat « indépendantiste », Nadeau-Dubois défenderait, avec les véritables indépendantistes, les pouvoirs du Québec contre l’ingérence fédérale, son droit à l’autodétermination qui ne se limite pas à un droit à l’accession à l’indépendance, mais également à la défense de ses juridictions constitutionnelles dans le cadre actuel du Canada.

Si Nadeau-Dubois est mécontent des politiques caquistes, qu’il s’organise pour prendre le pouvoir au prochain rendez-vous électoral, plutôt que prendre l’approche de Trudeau père qui, dans son opposition à l’Union nationale de Maurice Duplessis, ne voyait d’autre avenue que le recours à Ottawa.

Enfin, les militantes et les militants d’Option nationale doivent aujourd’hui se demander s’ils n’ont pas été dupés par les professions de foi indépendantistes de Nadeau-Dubois et de QS.

Il est maintenant à se demander si, lors du prochain scrutin fédéral, QS appuiera le Bloc Québécois indépendantiste ou le très fédéraliste NPD, un succédané du Parti Libéral, car « sur le fond »…