Vive le Pacte

2018/11/19 | Par Pierre Jasmin et Anaïs Barbeau-Lavalette

Le pacte (à signer sur https://www.lepacte.ca) subit des attaques à droite et à gauche. Voici des exemples de ce bitchage :

 

1- Le pacte est attaqué par des formes diverses de la droite populiste.

Bombardier accuse aussi Champagne de «fondamentalisme » et « d’insignifiance », Durocher traite les artistes d’«enfants gâtés», Lise Ravary d’«élite écolo», Richard Martineau de « clergé vert », comme Mathieu Bock-Côté, et Joseph Facal, lui, dénonce carrément un extrémisme « apocalyptique », sans bien sûr citer ni le GIEC ni le Secrétaire général des Nations unies qui ont inspiré le cri d’alarme du pacte.

Notre ami Karel Mayrand a perdu patience sur Facebook : « Nos amis artistes, qui se sont mis courageusement au service du Pacte, se font présentement attaquer par des hordes de trolls menés par les radios poubelles et les chroniqueurs de Québecor ».

J’ai moi-même riposté par un article de l’Aut’Journal : http://lautjournal.info/20181115/des-quebecois-au-secours-de-la-planete.

Mais l’artiste pour la paix que je prétends être ne peut que devenir très humble face à l’émouvante lettre dans Le Devoir par Anaïs Barbeau-Lavalette. Elle répond à un chipotage intellectuel : une opinion par Yves-Marie Abraham ayant reçu une place de choix dans le Devoir pour évoquer un « mieux »  (on peut certes en partager bien des éléments), mais en commettant l’erreur de diviser la cause en se campant comme « ennemi du bien », du pacte. Ne ratez surtout pas la réponse d’Anaïs Barbeau-Lavalette, qui se trouvait au fin fond d’une opinion des lecteurs.


2- Lutte écologique et lutte contre l’injustice sociale

Yves-Marie Abraham Professeur à HEC Montréal10 novembre 2018

Il est tentant de se demander ce que Guy Laliberté va faire de son île polynésienne et de son jet privé maintenant qu’il a signé ce « Pacte pour la transition » qui circule au Québec depuis peu. Cela ne va pas être simple pour notre cracheur de feu milliardaire de réduire son empreinte carbone à un niveau considéré comme compatible avec les limites biophysiques planétaires. Toutefois, puisque le pacte en question autorise l’achat de crédits carbone compensatoires (ces permis de détruire offerts à un prix dérisoire aux plus offrants), il devrait s’en sortir sans trop de mal et avec bonne conscience. On peut s’inquiéter en revanche de la manière dont cet appel lancé par 400 personnalités québécoises sera reçu par celles et ceux dont le niveau de vie est à l’opposé de celui de monsieur Laliberté et que l’invitation à signer ce « pacte » semble exclure.

Comment en effet s’engager à utiliser moins sa voiture ou à acheter une automobile électrique quand on dispose à peine de quoi se payer une carte mensuelle d’autobus (ou quand il n’existe pas d’autobus) ? Comment promettre de prendre l’avion moins souvent quand l’idée même de pouvoir monter un jour dans l’une de ces machines constitue un rêve impossible ? Comment penser à améliorer « la performance écoénergétique » de son logement quand on loue un appartement vétuste à un « marchand de sommeil » ? Comment se préoccuper de désinvestir son épargne du secteur des énergies fossiles quand on gagne trop peu d’argent pour mettre un seul sou de côté ? Comment jurer de consommer autant que possible bio et local quand on parvient tout juste en fin de mois à s’acheter un Kraft Dinner au dépanneur du coin, en plein désert alimentaire ?


Une affaire de riches ?

La plupart de ces femmes et de ces hommes à qui notre société ne garantit pas des conditions matérielles d’existence décentes vont sans doute ignorer cet appel — ils ont bien d’autres chats à fouetter. Mais il est probable que certaines et certains d’entre eux le jugeront indécent et qu’ils en concluront que l’écologie est décidément une affaire de riches (citadins). Ils n’auront pas tout à fait tort. Après d’autres, Hervé Kempf a bien montré Comment les riches détruisent la planète (Seuil, 2007). Et les voilà aujourd’hui, ces membres de l’élite, exhortant le peuple à adopter des comportements plus « écologiques » qui ne vont pas leur coûter grand-chose sur le plan matériel et leur rapporter éventuellement quelques bénéfices sur le plan symbolique. Il est donc bien tentant de les envoyer au diable et de vaquer à ses occupations quotidiennes.

Le problème est que la catastrophe écologique nous menace effectivement toutes et tous, à commencer par les moins nantis d’entre nous. L’idée d’un pacte contre la poursuite du désastre en cours n’est donc pas si mauvaise. Comment toutefois ne pas en exclure d’emblée une partie de la population québécoise, celle qui n’a pas les moyens de se payer le luxe de ces actions individuelles « vertueuses » que les signataires du pacte doivent s’engager à accomplir ? La solution n’est pas très compliquée. La destruction de notre planète et les conditions de vie indignes qui sont imposées à une partie de nos concitoyennes et concitoyens ont une même cause. Il faut commencer par la nommer : elle s’appelle « capitalisme ». Il faut ensuite que ce pacte réaffirme l’incompatibilité fondamentale entre cette forme de vie sociale et la préservation de la vie sur terre, d’une part, la justice sociale, d’autre part. Il faut enfin que les signataires n’aient à s’engager que sur une action individuelle, qui pourrait être formulée ainsi : « Je m’engage dans la mesure de mes moyens à tout mettre en œuvre pour en finir au plus vite avec le capitalisme et contribuer à bâtir des collectivités humaines soutenables, égalitaires et démocratiques. »

Évidemment, on peut faire l’hypothèse que cette reformulation du « Pacte pour la transition » lui ferait perdre quelques-uns de ses soutiens actuels… Mais elle en rallierait bien d’autres, pour qui la lutte écologique est inséparable de la lutte contre l’injustice sociale, et qui sont très impatients d’agir vraiment pour accomplir cette transformation radicale de notre société que la situation exige. On découvrirait alors sans doute qu’ils et elles sont beaucoup plus nombreux qu’on ne le pense.
 

3- Le pacte des vivants

Anaïs Barbeau-Lavalette Auteure, cinéaste et signataire du Pacte pour la transition

Une affaire de riches, donc, ce Pacte pour la transition ?

Il est utile de rappeler qu’il y est spécifié qu’il s’agit d’un appel à fournir sa juste part, en échange de laquelle les signataires demandent au gouvernement de fournir la sienne.

Sa juste part peut être, oui, de ne pas prendre l’avion cet hiver : sacrifice de riche.

Ou, comme Isabelle, d’apprendre à cuisiner, d’acheter moins emballé, d’enfiler un chandail de plus si elle a froid et… de faire appel à un organisme pouvant l’aider, gratuitement, à mieux chauffer son appartement et à payer moins cet hiver. Isabelle est née dans Hochelaga-Maisonneuve, dans une famille bancale et écorchée vive. Elle est une de ces enfants suivis depuis tout petits par le pédiatre social Gilles Julien. Isabelle a réussi à pousser droit dans une misère noire dont je vous épargne les détails, douloureux.

Quand je l’ai amenée en promenade au mont Royal, elle s’était exclamée : « Wow, c’est beau la campagne ! » Elle avait 12 ans. C’était la première fois qu’elle prenait le métro, la première fois qu’elle sortait de son quartier.

Aujourd’hui, Isabelle a 25 ans et une deuxième année du primaire. Elle vient de suivre une formation comme aide aux bénéficiaires et est employée dans un hôpital. Elle est amoureuse de Jeff, qui travaille en construction. Et elle porte leur premier enfant, qui naîtra cet hiver.

Isabelle n’a jamais pris l’avion. Elle rêve d’aller un jour en Floride avec son kid. Et je le lui souhaite.

Mais en attendant, elle a pris le temps de décrypter le Pacte pour la transition. Ça a été long parce que lire, c’est long pour elle.

Mais elle l’a lu en entier et l’a signé, parce qu’elle s’engage à être plus sensible à sa façon de traverser une journée. Plus sensible à sa façon de consommer. Plus sensible au monde dans lequel elle donnera naissance à un enfant, avec fierté, même si les grands discours annoncent maintenant que naître est une défaite.

Isabelle signe le Pacte parce qu’elle demande au gouvernement qu’elle a choisi d’être sensible à la vie.

Le Pacte pour la transition n’est pas une affaire d’élite.

Le Pacte pour la transition est une affaire de vivants, point final.