Agir en maintenant la cohésion de l’organisation

2018/11/21 | Par Pierre Dubuc

Au mois de juin dernier, lors de son congrès triennal, la Centrale des Syndicats du Québec (CSQ) se donnait une nouvelle présidente, Sonia Éthier, pour succéder à Louise Chabot, nouvellement retraitée. Nous l’avons rencontrée dans les bureaux de la Centrale à Montréal.

Pour Sonia Éthier, les choses sont claires. Elles se déclinent en trois temps. Premièrement, le cœur de l’action syndicale est l’amélioration des conditions de travail, principalement par la négociation de la convention collective. Deuxièmement, la Centrale doit être près de ses membres. Troisièmement, il ne faut pas s’attendre à des cadeaux de l’administration Legault.

« Je me rappelle trop bien la lutte qu’il a fallu mener contre François Legault, lorsqu’il était ministre de l’Éducation, pour lui arracher l’équité salariale. Il refusait de reconnaître le nombre d’heures de travail assumé par les enseignantes et les enseignants. Il voulait ne leur accorder que 90 % du montant prévu », raconte  Sonia Éthier, qui n’a pas non plus oublié  que François Legault est responsable de l’implantation de la gestion axée sur les résultats, qui est la cause d’une surcharge de travail.

Avec un bagage de 31 années d’implication syndicale, Sonia Éthier connaît la musique. Son entrée dans la profession à titre d’enseignante en adaptation scolaire en 1982 a d’ailleurs eu lieu au moment où le gouvernement du Parti Québécois coupait de 20 % les salaires des enseignants et des autres employés de la fonction publique. 

Élue en 1987 au poste de conseillère du Syndicat de l’enseignement du Bas-Richelieu, dans la région de Sorel-Tracy, elle gravira les échelons jusqu’au poste de présidente de son syndicat avant d’occuper celui de première vice-présidente de la CSQ en 2015. « Ces trois années à la vice-présidence, où j’ai été responsable des secteurs de la petite enfance et de la santé et des services sociaux, m’ont permis d’élargir mon champ d’expertise », reconnaît-elle.

 

Être à l’heure de la solidarité

Sonia Éthier est bien consciente de l’actuel phénomène de « repli identitaire » syndical, qui s’est manifesté de façon spectaculaire au cours de la campagne de maraudage dans le secteur de la santé, à la suite de l’adoption de Loi 10, alors que plusieurs milliers de syndiqués se sont tournés vers des organisations indépendantes.

« Il y a une croyance que seuls – profession par profession, métier par métier – on va aller plus loin. Mais, au bout du compte, divisés on est plus faibles », affirme la présidente de la CSQ tout en reconnaissant la légitimité du questionnement. « Nous venons de consulter nos membres sur les alliances possibles en vue de la prochaine négo. Nous leur avons soumis un document dans lequel nous ne proposions rien, nous ne suggérions aucune piste. Nous ne voulions pas qu’ils aient l’impression qu’on leur imposait nos idées. Nous analyserons les résultats lors d’une prochaine instance à la fin du mois de novembre », explique celle qui, tout au long de l’entrevue, est revenue maintes et maintes fois sur la nécessité de consulter les membres, de les associer aux décisions, de façon à ne pas accréditer « l’idée que nous sommes loin d’eux ».

Cela ne l’empêche pas de faire valoir la nécessité que s’exerce un solide leadership, dont un des volets est de bien présenter les enjeux. « On voit que Legault prépare déjà le terrain pour la prochaine négo. Il nous dit que le surplus n’est pas de trois milliards, comme il l’a reconnu au cours de la campagne électorale. »

Face à un gouvernement dont la tactique a toujours été de « diviser pour régner », Sonia Éthier a toujours foi dans le vieux slogan à la base de toute action syndicale : l’union fait la force. « Il faut démontrer qu’il faut être en centrale pour faire changer les choses, qu’il faut être à l’heure de la solidarité. »

 

Nous avons l’expertise

Selon la présidente de la CSQ, le thème central des prochaines années doit être la nécessité d’un réinvestissement majeur dans l’éducation et les services publics. Il pourra se traduire de différentes façons selon les secteurs d’activité, mais une tournée des syndicats membres avant le congrès a fait ressortir des thèmes communs, soit la surcharge de travail et la précarité en emploi. « Il y a beaucoup de souffrance quotidienne. Il faut changer le modèle de gestion. Il faut trouver des solutions », en retient-elle.

Elle donne l’exemple de l’utilisation du numérique en éducation. Une vaste enquête effectuée auprès d’un échantillon de 9 000 membres a démontré que, bien que les trois quarts des répondants reconnaissent que son utilisation améliore la communication avec les élèves, les collègues, les parents, les ressources externes, etc., c’est dans une même proportion qu’ils constatent l’empiétement démesuré de l’utilisation des outils numériques sur leur temps personnel, avec les risques psychosociaux que cela implique.

Dans le secteur de la petite enfance, la Centrale va prendre au mot la promesse de Legault d’abolir la modulation des tarifs dans les CPE, contre laquelle elle a mené une chaude lutte. Sonia Éthier trouve également injustes les tarifs associés au guichet unique pour les responsables des services éducatifs en milieu familial, dont la CSQ représente 11 500 d’entre elles. « Les responsables de ces services sont des travailleuses autonomes. Elles doivent payer 50 $ par année pour leur inscription au guichet unique et 11 $ par enfant. Pour les médecins, le guichet unique, c’est gratuit ! C’est une injustice flagrante ! »

Elle s’interroge sur la pertinence de la création de maternelles 4 ans pour tous les enfants. « Les CPE et les services éducatifs en milieu familial ont leur raison d’être. On devrait considérer leur complémentarité avec les maternelles 4 ans », fait valoir celle qui a eu la responsabilité de ce secteur au cours des trois dernières années. « Nous sommes détenteurs, comme centrale syndicale, d’expertises dans ces secteurs et dans plusieurs autres. Il faut que le gouvernement écoute nos propositions. »

 

L’action politique

Pour une Centrale syndicale représentant des employés du secteur public, et qui négocie donc avec le gouvernement, se pose tout naturellement la question de l’action politique. « Aux dernières élections, les membres nous ont fait savoir qu’ils n’étaient pas prêts à s’impliquer. Lors du Conseil général du mois de décembre, on reprend l’exercice, afin de savoir jusqu’où on veut aller », nous confie la présidente de la Centrale.

Cependant, avant même de prendre une décision, se pose la question des limites imposées par la loi électorale. La CSQ a reçu une mise en demeure du Directeur général des élections (DGE) pour avoir contrevenu à la loi en publiant sur son site Internet un tableau comparatif des programmes des différents partis politiques accompagné d’un bilan du mandat du Parti Libéral.

Bien plus, la Fédération des syndicats des enseignants, affiliée à la CSQ, s’est vue ordonner par le DGE de retirer des affiches qui faisaient la promotion de l’école publique. « Selon le DGE, cela désavantageait un parti politique ! Promouvoir l’école publique, un joyau de notre société, est hors-la-loi !!! », s’indigne Sonia Éthier, qui y voit là une interprétation abusive de la loi et la nécessité de la moderniser.

Nul doute qu’avec Sonia Éthier, la CSQ va continuer à s’impliquer dans différentes causes sociales, mais avec toujours en tête le mandat prioritaire que sa présidente s’est donné : Maintenir la cohésion de l’organisation.