Lac-Mégantic : Après le train et les démolitions, la ligne d’Hydro-Québec

2018/11/26 | Par Anne-Marie Saint-Cerny

Auteure du livre Mégantic. Une tragédie annoncée (Écosociété) et lauréate du Prix Pierre-Vadeboncoeur

Dans un communiqué paru inopinément, le samedi 3 novembre 2018, Hydro-Québec annonce qu’elle retire son projet d’une ligne électrique dans le corridor controversé de la voie de contournement ferroviaire à Lac-Mégantic. Selon un document daté du début 2018, ce tracé – vers les États-Unis – était pourtant priorisé et retenu par HQ, une information confirmée par une source proche du dossier. Les Méganticois l’ignoraient. Pourquoi ?

« Que nous cache-t-on ?», s’exclamait déjà Yolande Boulanger en juillet dernier à Lac-Mégantic. Il y a cinq ans, madame Boulanger, son mari et leur fille Isabelle perdaient leurs fils et petit-fils de 19 ans, Frédéric, dans la tragédie. Après avoir ensuite subi la démolition de leur centre-ville par les autorités municipales, ils font aujourd’hui face à une expropriation imminente qui morcellerait leur terre ancestrale, située sur le tracé direct de la voie de contournement ferroviaire. Mais sans le savoir, ils étaient aussi, jusqu’au 3 novembre, sur le tracé de la future ligne d’HQ. Épuisés, ils se battent encore. Mais contre qui ?

 

3e foudre à Lac-Mégantic

Le dossier de la ligne d’Hydro-Québec est étroitement imbriqué dans celui de la voie de contournement ferroviaire. Premier élément à avoir été reconstruit après la tragédie, la voie ferrée au centre-ville de Lac-Mégantic est aujourd’hui plus dangereuse qu’avant, avec une courbe abrupte de 8 degrés. Annoncée le 11 mai 2018 par le ministre des Transports Marc Garneau, la voie de contournement déchire aujourd’hui Lac-Mégantic et ses voisines, Nantes et Frontenac.

Cette voie est, rappelons-le, entièrement payée par les fonds publics, mais appartiendra à la seule compagnie ferroviaire Central Maine & Quebec Railway (CMQR), qui en fait aussi les plans et la réalisation. Avec un tel cadeau à la compagnie, les gouvernements détenaient une position de force dans les négociations pour imposer un tracé faisant consensus.  D’ailleurs, les trois municipalités affectées étaient parvenues à un tel consensus sur un tracé de moindre impact.

Pourtant, début 2018, tout s’effondre. Le ministre Garneau s’enferre dans un entêtement aussi inexplicable qu’immuable. Un tracé a été choisi, dit-il, la porte est fermée à toute modification, même partielle. La Mairie de Mégantic, brisant l’alliance avec les municipalités voisines, s’aligne totalement sur la position ministérielle. Le gouvernement du Québec est lui-même au front pour défendre le tracé retenu.

 

Quel tracé ? Et pourquoi pas 300 mètres plus loin?

Ce n’est qu’en juillet 2017, lors d’un BAPE sur la question, et après des années de luttes, que les citoyens découvrent enfin le tracé de la voie de contournement ferroviaire privilégié. Plusieurs tracés possibles sont déposés, mais les citoyens, consternés, apprennent que les travaux sur l’un de ceux-ci ont déjà débuté. Le président du BAPE, Joseph Zayed, ne peut s’empêcher de relever l’anomalie, écrivant dans son rapport qu’il s’agissait là d’une situation pour le moins singulière.

Le tracé retenu est pourtant dans des cartons secrets depuis longtemps. Déjà, en 2014, la firme STANTEC en fait mention dans un rapport, prévenant que l’expropriation de la famille Boulanger sera délicate. En octobre 2016, une lettre de la Ville de Mégantic confirme également qu’un terrain convoité, du côté de Nantes, est situé dans le corridor de la future voie de contournement.

Pourtant une portion au moins de ce tracé est difficilement défendable. Il côtoie et empêche un ensemble résidentiel et oblige la démolition de résidences sur l’un des rangs de Mégantic. Étrangement, le déplacement de ce tronçon d’à peine 300 mètres, de l’autre côté de la route 161, ne dérangerait personne. Les propriétaires signeraient sans problème une expropriation de terrain qui ne leur sert à rien. Alors pourquoi le fédéral s’entête-t-il ?

 

Un cheval de Troie ?

La réponse pourrait se trouver dans la fameuse ligne projetée par Hydro-Québec. Le projet CENEC, une ligne de transport électrique imposante de 320 KV, servira, espère Hydro, à augmenter ses ventes d’électricité à la Nouvelle-Angleterre. Dès le début 2018, Hydro-Québec confirme, dans un document technique, son intérêt premier à « jumeler la future ligne à une ligne existante de 120kV (…). » Or cette «ligne existante», à Mégantic, longe précisément le tracé retenu de la voie de contournement. On ferait donc d’une pierre deux coups. On laisse d’abord le fédéral exproprier la voie ferrée, puis Hydro-Québec procéderait aux expropriations pour la ligne électrique. Le mal est fait, dirait-on aux citoyens. Signez ici.

Les futurs expropriés ne sont pas fous. S’il leur est moralement difficile de dire non à une  sécurité accrue, il leur est facile de refuser l’expropriation pour une simple raison de vente d’électricité. Leur cour est pleine, leur lot d’épreuves aussi. Et il est de notoriété publique qu’Hydro-Québec fait désormais face à beaucoup de résistance lorsqu’il s’agit de « vendre » ses lignes auprès de la population, comme en témoigne la saga à Saint-Adolphe-d’Howard. Surtout pour une vente à la rentabilité incertaine vers les États-Unis.

Est-il possible que l’entêtement du ministre Garneau ait eu pour raison de permettre à Hydro-Québec de passer sa ligne et ses nécessaires expropriations plus facilement auprès des citoyens, dans le cadre d’une quelconque entente avec Québec ? Est-ce qu’on a, encore une fois, voulu exploiter les Méganticois à leur insu ?

Plusieurs questions restent d’ailleurs obscures quant aux liens Ottawa-Québec dans la tragédie de Mégantic. Tel ce procès criminel mené avec acharnement par la Direction des poursuites pénales et criminelles du Québec (DPCP) envers les seuls trois employés de la Montreal Maine & Atlantic Railway (MMA), dont l’effet premier a été d’occulter totalement la responsabilité de Transport Canada dans la tragédie.

Quoi qu’il en soit, ce projet d’Hydro-Québec à Mégantic, Nantes et Frontenac, a été tenu dans un secret inexplicable, même face aux autorités des municipalités voisines de Mégantic. Dans ce climat délétère, il n’est pas étonnant d’ailleurs que plusieurs voient aujourd’hui d’un œil suspicieux la soudaine générosité d’Hydro-Québec envers Mégantic avec un projet d’investissement en innovation technologique de 9 millions de dollars pour la petite ville exsangue financièrement.

Hydro-Québec, faisant volte-face, s’est donc retirée officiellement de Mégantic en ce petit samedi gris de novembre, alors que des questions commençaient à être soulevées. Mais Hydro-Québec avait-elle vraiment besoin d’ajouter le secret aux secrets, le malheur aux malheurs ?

Les Méganticois pourront-ils un jour faire leur deuil sans se battre ?