Environnement : Le Québec coupé en deux

2018/11/30 | Par Pierre Dubuc

Le Pacte pour la transition énergétique, initié par Dominic Champagne, a été un révélateur de la présence de deux Québec, celui des villes versus celui des banlieues et des régions, qui se reflète dans deux cultures médiatiques, celle de Radio-Canada/La Presse versus celle de TVA/Le Journal de Montréal et de Québec. 

Pendant que tout le Québec s’entredéchire sur le Pacte, des événements méritent notre attention. À Calgary et sur Bay Street, à Toronto, les pétrolières demandent 3 milliards $ aux gouvernements pour l’achat de wagons-citernes pour transporter les stocks de pétrole des sables bitumineux qui s’accumulent par manque de pipelines. En France, plus de 300 000 « gilets jaunes » ont bloqué la circulation aux quatre coins du pays pour protester contre une taxe écologique sur l’essence.

Aux élections de mi-mandat aux États-Unis, des référendums sur l’environnement étaient inscrits sur les bulletins de vote dans plusieurs États. Mais il n’y a pas eu de vague verte. Au contraire. Dans l’État de Washington, 56 % des électeurs ont rejeté une taxe sur le carbone, soutenue par 250 organisations. En Arizona, 69 % des électeurs ont voté contre une proposition exigeant un plus grand recours aux énergies propres. Au Colorado, 60 % de l’électorat a rejeté une proposition d’interdire la fracturation pour l’exploitation du gaz de schiste à proximité des habitations, des écoles, des parcs et des cours d’eau.

Sans surprise, l’argent des pétrolières a pesé lourd dans la balance. Dans l’État de Washington, BP a dépensé, à elle seule, 12,9 millions $ pour influencer le vote. Au Colorado, les pétrolières ont investi 37 millions $ pour atteindre le même objectif. Mais il serait inapproprié de résumer l’insuccès des écologistes aux seuls lobbies pétroliers. Après tout, en Amérique du Nord, les électeurs ont élu Donald Trump, Doug Ford et François Legault, dont les programmes sont anti-environnement ou, au mieux, silencieux sur cette question.

 

L’automobile a créé la banlieue

La question n’est pas simple. En France, les « gilets jaunes » ont fait valoir qu’en l’absence de moyens de transport en commun dans leur région, ils n’avaient d’autre choix que l’utilisation de leur voiture. Auparavant, la France avait un système de transport ferroviaire intercités et régional ultra performant, mais les lignes ont été progressivement jugées non rentables et abandonnées pour permettre le financement des trains à grande vitesse (TGV), reliant les grands centres. Au Québec, il y a belle lurette que le service ferroviaire en région a disparu, suivi, plus récemment, par la fin de plusieurs liaisons par autobus.

Il ne faut pas non plus oublier que les banlieues sont une création de l’automobile. Autrefois, les travailleurs habitaient dans les villes, généralement près de leur lieu de travail. Dans un de ses premiers monologues, Yvon Deschamps questionnait l’engouement pour les banlieues : « Quossa donne de rester loin d’où tu travailles? »

Pour populariser ce nouveau « way of life », les pétrolières et les fabricants de voitures ont mis Hollywood à contribution et, au cas où cela n’aurait pas suffi, se sont portés acquéreurs des compagnies d’autobus, de chemin de fer et de tramways pour les démanteler.

Des milliers de livres ont décrit comment les firmes publicitaires ont fait de l’automobile le principal instrument de la liberté individuelle dans nos sociétés et elles ont façonné, tels des « ingénieurs de l’âme », cet « homme nouveau », le banlieusard avec sa mentalité de petit propriétaire, avec sa maison unifamiliale et sa (ses) voiture(s). En région, il peut arriver qu'un même individu possède, en plus de sa voiture, un « pick-up », voire même un véhicule tout terrain, une motoneige ou une motomarine.

Aujourd’hui, à cause de la congestion routière, le banlieusard évite, autant que faire se peut, la ville, à moins d’y travailler. Il fait ses courses dans les centres commerciaux et, de plus en plus, les salles de cinéma et de spectacles, récemment construites en banlieue, répondent à ses besoins culturels. Dans tous ces cas, la voiture est indispensable.

Si le banlieusard a besoin de sa voiture pour aller acheter un litre de lait, le citadin montréalais, lui, peut se déplacer sans posséder de voiture. Il a même le choix entre le métro, l’autobus, le taxi, Communauto, Car2go, le Bixi et la marche. S’il veut voyager en dehors de la ville, il peut louer une voiture.

 

La démagogie à l’oeuvre

La critique du Pacte pour la transition par les chroniqueurs du Journal de Montréal a de forts accents populistes et démagogiques. Mais les promoteurs du Pacte leur ont fourni les verges pour se faire fouetter en mettant en évidence un Guy Laliberté, dont la mise en orbite autour de la Terre a nécessité des millions de litres de carburant; une Véronique Cloutier, qui présente ses nouvelles émissions dans un jet privé; et un Guillaume Lemay-Thivierge, propriétaire d’une école de parachutisme et annonceur de publicités automobiles.

L’approche de Radio-Canada et La Presse n’est pas non plus dépourvue de démagogie. Ainsi, pour ne prendre qu’un seul exemple, les deux médias propagent l’image d’une jeunesse gagnée d’avance à la protection de l’environnement, dont les autres attributs seraient d’être cosmopolite, ouverte sur le monde, multiculturaliste et membre de Québec Solidaire !

Ce portrait de la jeunesse est biaisé. Prenons l’exemple de l’« ouverture au monde ». Au cours d’un semestre, à peine 3 % des étudiants universitaires vivent ce qu’on appelle, dans le jargon officiel, « une expérience de mobilité internationale » (des échanges, des stages, des programmes de travail-études, ou du bénévolat). Un « constat troublant » que « les étudiants québécois n’ont pas une grande culture de mobilité », affirment les responsables de ces programmes. Autre constat : Selon les données du sondage Vox Pop Labs, publiées sur le site de Radio-Canada, un plus grand nombre de jeunes de la tranche d’âge 18-35 ans ont voté pour la CAQ que pour QS !

 

Cibler les vrais responsables

Le défi pour les écologistes est d’amener les populations de la ville, de la banlieue et des régions à faire cause commune pour l’environnement. Plutôt que de culpabiliser les utilisateurs de voitures, vaudrait mieux cibler les véritables responsables. Au premier chef, les fabricants de voitures et les pétrolières qui, depuis des décennies, ont uni leurs efforts pour mettre sous clef toutes les découvertes scientifiques qui auraient permis une réduction significative de la consommation d’essence au kilomètre parcouru par les véhicules.

Les écologistes doivent également se trouver des porte-parole crédibles autant aux yeux du public de Radio-Canada/La Presse que de celui de TVA/Le Journal. Peu de personnages politiques ont réuni ces qualités au cours de notre histoire. L’exemple le plus illustre est René Lévesque, ex-journaliste de Radio-Canada, qui tenait une chronique dans les pages du Journal de Montréal. D’autres en étaient exclus d’emblée aux yeux du public TVA/Le Journal : André Boisclair, Pauline Marois, Jean-François Lisée et, évidemment, Pierre Karl Péladeau, aux yeux du public Radio-Canada/La Presse.

La transition énergétique va exiger des modifications fondamentales à notre mode de vie (moyens de transport, aménagement du territoire, consommation, etc.). Des recherches devront être effectuées, des modèles proposés et analysés avant de les traduire dans des programmes politiques. Mais, à court terme, les signataires du Pacte peuvent déjà faire œuvre utile en signant et faisant signer la pétition des citoyens de Mégantic qui réclament une commission d’enquête publique et indépendante sur la tragédie qui a entraîné la mort de 47 personnes. Une action qui braque les projecteurs sur les vrais responsables au moment où les compagnies pétrolières et ferroviaires s’activent, avec la bénédiction du gouvernement de Justin Trudeau, à mettre davantage de longs convois de wagons-citernes, impropres au transport du pétrole, sur des voies ferrées vétustes, non entretenues, dont la surveillance est confiée à ces mêmes entreprises.

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Nous vous invitons à imprimer la pétition pour une commission d’enquête publique sur la tragédie ferroviaire de Lac-Mégantic et la faire signer dans votre entourage. Pour avoir accès à la pétition, cliquez ici