Le manifeste artistique

2018/11/30 | Par Tanya Millette

Deux expositions majeures sont actuellement en vigueur au Musée d'art contemporain de Montréal. C'est le 19 octobre dernier que s'est tenu le vernissage de la rétrospective Françoise Sullivan et de Julian Rosefeldt : Manifesto, expositions toutes deux accessibles jusqu'au 20 janvier 2019.

La première souligne la contribution majeure de Françoise Sullivan à l'histoire de l'art moderne et contemporain québécois. Plus d'une cinquantaine d'œuvres y sont présentées, réalisées depuis ses débuts en 1940 jusqu'à nos jours. La visite débute par la carrière de danseuse et le volet chorégraphique assumé par l'artiste. Il en est ainsi afin de faire référence au 70e anniversaire de la parution du manifeste Refus global, publié en 1948, dont elle est une des cosignataires, avec son texte fondateur pour la danse moderne et contemporaine « La danse et l'espoir », présenté au départ comme conférence. L'exposition, échelonnée sur plusieurs décennies, témoigne de la polyvalence et de la profondeur de la personnalité de l'artiste en révélant aux spectateurs sa capacité d'absorber et de façonner son époque. « En effet, Sullivan dédiera sa carrière à la recherche de nouvelles manières d'être à la fois de son temps et d'exprimer une intériorité atemporelle, un nouvel universalisme motivé par le désir d'aller au-delà de soi. » (Lanctôt, 2018, p.5) D'ailleurs, le format de ses œuvres abonde en ce sens puisque le spectateur se trouve plongé dans celles-ci. Évidemment, l'ensemble de l'exposition aborde les différentes disciplines explorées par l'artiste, comme la sculpture d'acier et de plexiglas, ses premiers pas liés à l'art conceptuel, un retour à la peinture avec ses tondos matiéristes, en se terminant par sa longue exploration de la peinture abstraite qui se poursuit jusqu'à ce jour.

Françoise Sullivan est née à Montréal en 1923. Elle formera, accompagnée d'autres artistes québécois tel Paul-Émile Borduas, le groupe des Automatistes aux débuts des années 40. Elle a enseigné à la Faculté des beaux-arts de l'Université Concordia de 1977 à 2009. Grande artiste québécoise, elle est lauréate du Prix Paul-Émile-Borduas, de l'Ordre du Canada et est Chevalière de l'Ordre du Québec. Elle remportait, en 2005, le Prix du Gouverneur général en arts visuels, ainsi que le prix Gershon Iskowitz, en 2008.

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La seconde exposition, rendue possible grâce à l'appui du Goethe-Institut Montréal, est une installation vidéo immersive à treize canaux, réalisée par Julian Rosefeldt, qui s'intitule Manifesto (2015), présentée pour la deuxième fois en Amérique du Nord, la première ayant eu lieu à New York.

Il s'agit d'une œuvre « qui se situe au carrefour entre le cinéma, la performance et l'installation » (MAC Montréal, 2018), dans laquelle l'actrice australienne Cate Blanchett incarne 12 personnages récitant des extraits d'une cinquantaine de manifestes artistiques des 150 dernières années, présentés sous forme de monologue. « L'œuvre s'ouvre sur un prologue – le seul film dans lequel Blanchett n'apparaît pas – où l'on peut entendre la phrase "all that is solid melts into air" [tout ce qui est solide se dissout dans l'air], tirée du Manifeste du parti communiste écrit en 1848 par Karl Marx et Friedrich Engels. Rosefeldt met ainsi en lumière l'origine révolutionnaire, prolétarienne et politique du manifeste, une forme reprise par les artistes au début du XXe siècle. » (Johnstone, 2018, p.7)

L'œuvre, truffée de références cinématographiques, est diffusée en anglais, sans sous-titres. Cela dit, l'expérience immersive ne s'en trouve pas pour le moins diminuée. Il faut simplement prendre le temps de lire la traduction des différents extraits pris dans les différents manifestes, tels que les Futuristes, les dadaïstes, le Dogme 95 et dans les différentes propositions d'artistes, d'architectes, de danseurs et de cinéastes tels que Yvonne Rainer, André Breton et Sol LeWitt, avant de pénétrer dans la salle de projection. Une fois à l'intérieur, une cacophonie déstabilise le spectateur puisque les vidéos, d'une durée de 10 minutes et demie chacune, sont diffusées simultanément. Il faut certes prendre un moment pour s'accoutumer à cet effet. Vient ensuite une synchronicité inattendue mettant fin temporairement à cette cacophonie, pendant que l'actrice décroche de son personnage pour s'adresser directement au spectateur, en récitant les manifestes d'une voix rituelle.

Julian Rosefeldt est un artiste allemand, né à Munich et maintenant installé à Berlin. Il est professeur en médias numériques et temporels [Digital and Time-based Media] à l'Académie des beaux-arts de Munich. Il est renommé à travers le monde pour le format de ses oeuvres. « […] Rosefeldt se sert de métaphores cinématographiques pour emmener le regardeur dans des royaumes surréels et théâtraux dont les habitants sont absorbés par les rituels de la vie quotidienne. » (MAC Montréal, 2018)

Le Musée d'art contemporain, de son côté, a établi un pont entre les deux expositions par l'entremise d'une dernière salle où l'exposition Partitions permet aux spectateurs d'observer des originaux de la plupart des grands manifestes présentés dans les œuvres des deux salles précédentes.