Ottawa doit protéger les adolescentes, pas les proxénètes

2018/12/03 | Par Monique Pauzé

L’auteure est députée du Bloc Québécois.

La traite de personnes inquiète de plus en plus la population alors que le Grand Montréal devient une plaque tournante de l’exploitation sexuelle. On se souvient de la crise des jeunes fugueuses à Laval, manipulées, puis exploitées dans la prostitution. Ces histoires d’horreur se multiplient et impliquent de plus en plus des mineures. Or, le gouvernement fédéral refuse depuis trois ans de mettre en œuvre un projet de loi pour durcir les peines d’emprisonnement des « pimps », des proxénètes qui s’enrichissent de la prostitution d’adolescentes.

Le 20 novembre dernier, je déposais à la Chambre des communes une pétition de l’Association féminine d'éducation et d'action sociale (AFEAS), une pétition dont j’étais la marraine et qui demandait au Premier ministre de signer le décret qui permettrait l’entrée en vigueur de la loi C-452. Cette loi, votée à l’unanimité à la fois par la Chambre des communes et le Sénat, serait un atout majeur dans la lutte contre la prostitution juvénile et l’exploitation sexuelle. Depuis juin 2015, il ne manque que la signature du Premier ministre pour la rendre exécutoire. Mais celui-ci refuse. Il était pourtant chef des libéraux lorsque ceux-ci ont voté en faveur de cette loi. Pourquoi, depuis trois ans, refuse-t-il de signer ?

Le motif qu’il invoque, c’est que l’article 3 du projet de loi, qui établit des peines consécutives pour les proxénètes, pourrait aller à l’encontre des dispositions de la Charte des droits et libertés.

Qu’a fait le gouvernement Trudeau pour dissiper ces craintes ? Il n’a pas suivi les recommandations de mon confrère Rhéal Fortin, porte-parole du Bloc Québécois en matière de justice, qui lui offrait un noble compromis le printemps dernier, en proposant d’adopter immédiatement les mesures de C-452 qui font consensus, et d’envoyer l’enjeu des peines consécutives pour étude approfondie en comité.

Le Premier ministre n’a pas demandé de renvoi à la Cour suprême. Il n’a pas non plus entamé de réflexion sur des solutions de rechange qui pourraient satisfaire le Québec, alors que l’Assemblée nationale, unanime, lui demande de mettre en œuvre C-452. Bref, il n’a rien fait.

Au Québec, on s’inquiète beaucoup plus de la situation qu’à Ottawa. Anaïs Barbeau-Lavalette révélait avec une grande sensibilité le drame des jeunes femmes prises dans l’étau de la prostitution et celui de leurs familles dans son documentaire Ma fille n’est pas à vendre. On se souvient aussi de la télésérie Fugueuse, qui braquait les projecteurs sur cet enjeu.

Il faut comprendre qu’il ne s’agit malheureusement pas de cas isolés ni de situations « qui n’arrivent qu’aux autres ». L’an dernier, au Québec, on compte près de 950 fugues qui ont duré plus de 72 heures. Bien que ces situations, qui sont les plus préoccupantes, soient en baisse, ce sont tout de même autant de nos jeunes qui ont été à risque. Pourtant, le gouvernement Trudeau se permet de ne rien faire depuis trois longues années.

Au printemps dernier, le gouvernement du Québec était sans équivoque : La prévention et l’intervention ne suffisent pas en matière de fugues, et les milieux criminels continuent de voir les jeunes fugueurs et fugueuses comme des proies. D’où l’importance des peines consécutives. Actuellement, les peines de prison pour les proxénètes ne sont pas suffisamment dissuasives parce qu’elles sont purgées de façon concurrente, donc en même temps. C’est mal adapté à la réalité du proxénétisme : Un individu accusé d’avoir abusé d’une jeune femme ou de vingt subira la même sentence.   

Les Québécoises et les Québécois veulent qu’Ottawa agisse contre les proxénètes et, surtout, protège nos adolescentes. Dès les premiers mois suivant l’élection du gouvernement Trudeau, le Bloc Québécois portait cette demande au Parlement à Ottawa. L’Assemblée nationale s’est clairement exprimée à cet effet. Le Bloc est intervenu en Chambre avec l’AFEAS, la Maison de Mélanie et la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle.

Malgré cela, lorsque Rhéal Fortin, le 23 novembre dernier, a demandé une nouvelle fois au Premier ministre de signer la mise en œuvre de C-452, personne, du côté des libéraux, ne semblait même en avoir entendu parler. La leader du gouvernement, Bardish Chagger, lui a répondu, avec un rire nerveux, qu’elle allait « trouver la réponse et la transmettre au député ». Quand on vous dit que le Québec ne se fait pas entendre à Ottawa…

En laissant entièrement tomber l’enjeu des peines consécutives et en laissant tomber C-452, le fédéral abandonne les victimes et protège leurs abuseurs. Entre temps, comme le disait la documentariste Anaïs Barbeau-Lavalette, il y a d’autres filles qui tombent… Malheureusement, dans ce dossier, comme dans bien d’autres, notre statut de province nous empêche d’agir en conformité avec ce que la population attend de ses élus.