Incohérents Macron & Trudeau

2018/12/14 | Par Pierre Jasmin

Photo par Axios.com

Ces deux chefs de gouvernement souriants doivent être félicités d’avoir signé le Pacte mondial sur les migrations de l’ONU, appelé aussi pacte de Marrakech. On peut présumer que le pacte est l’œuvre du Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, un Portugais qui parle un français impeccable et occupait, avant sa fonction prestigieuse, celle de responsable du Haut-Commissariat des Réfugiés. Il en a amélioré le fonctionnement critique, car les réfugiés atteignent les 68.5 millions de victimes cette année.

Et les signatures de MM Trudeau et Macron sont d’autant plus méritoires que les États-Unis, représentés par le grognon Donald Trump sur la photo, ont fédéré 17 autres pays en opposition au pacte : Autriche, Australie, Bulgarie, Chili, Croatie, Danemark, Estonie, Israël, Hongrie, Lettonie, Pays-Bas, Pologne, République dominicaine, Serbie, Slovaquie, Slovénie et Tchéquie. Si l’Italie et la Suisse réservent leur jugement probablement négatif, sachons que le Premier ministre belge l’a signé sans en avoir l’autorité, vu l’opposition au pacte des députés flamands démissionnaires du gouvernement. Selon la Canadienne Louise Arbour, représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies pour la migration internationale, ils n’ont pas compris la nature non-contraignante du pacte dont les nationalités signataires ont toute liberté de moduler les effets selon, par exemple, leur taux de chômage, tout en sachant que le Liban, la Grèce et la Jordanie ont ouvert leurs portes d’urgence, sans avoir ce luxe.

Trudeau et Macron voient leurs façades pro-ONU lézardées par leurs complicités avec les États-Unis et l’OTAN, ainsi que par leurs adhésions au nucléaire et au pétrole.

 

NUCLÉAIRE MILITAIRE ET CIVIL

Si nos deux lascars sont si persuadés que l’ONU leur indique par le pacte le bon chemin, pourquoi font-ils la guerre au Traité d’interdiction de l’arme nucléaire, dont l’introduction en assemblée générale de l’ONU par l’ambassadrice du Costa Rica, un pays sans armée, a été appuyée par le Secrétaire général et par 122 pays le 7 juillet 2017[1] ? Pourquoi adhèrent-ils à l’OTAN qui a forcé ses 28 états membres à voter contre ce traité, a entreposé des armes nucléaires en Turquie à quelques kilomètres de DAECH et cherche, avec M. Trump, à augmenter les dépenses militaires absurdes, par exemple, les chasseurs-bombardiers qui en Afghanistan, au Moyen-Orient et en Libye ont créé des millions de réfugiés et des centaines de terroristes?

Pourquoi Macron, qui cherche désespérément à couper ses dépenses, continue ses investissements ruineux dans « la glorieuse force de frappe nucléaire » à bord de ses sous-marins et porte-avions, et sauve Areva (déficit de 4,8 milliards d'euros, en 2014 seulement) de la faillite technique en avalisant sa récupération par EDF (Électricité de France) ?

Pourquoi le Canada arrête-t-il madame Weng Manzhou[2] accusée de commercer, légalement selon le Traité nucléaire signé par Obama et le Canada avec l’Iran[3], sinon pour obéir à Trump[4] qui l’a déchiré par complicité belliqueuse avec Israël et surtout l’Arabie Saoudite, à qui le Canada et la France vendent par dizaines de milliards de $ leurs équipements militaires qui mettent le Yémen à feu et à sang ?

Le lobby nucléaire, que Trudeau a maintenu intégralement en place tel qu’il était sous Harper, tient à ce que le Premier ministre de l’Ontario Doug Ford investisse des dizaines de milliards de $ dans la réfection problématique de ses vieilles centrales nucléaires, où un accident moindre que ceux de Tchernobyl et de Fukushima irradierait pour des milliers d’années l’approvisionnement en eau de la majorité des villes québécoises. Pourquoi Trudeau fait-il la sourde oreille au Premier ministre du Québec qui a proposé sa solution ?

 

PÉTROLE

Macron devrait méditer l’ouvrage d’Alain Deneault « de quoi Total est-elle la somme [5]». En se penchant sur le cas d’école de la multinationale Total, active dans plus de 130 pays, Deneault montre comment l’état du droit et la complicité des États ont permis à une firme, légalement, de comploter sur la fixation des cours du pétrole ou le partage des marchés, de coloniser l’Afrique à des fins d’exploitation, de collaborer avec des régimes politiques officiellement racistes, de corrompre des dictateurs et des représentants politiques, de conquérir des territoires à la faveur d’interventions militaires, de délocaliser des actifs dans des paradis fiscaux ainsi que des infrastructures dans des zones franches, de pressurer des régimes oligarchiques en tirant profit de dettes odieuses, de polluer de vastes territoires au point de menacer la santé publique, de vassaliser des régimes politiques pourtant souverains en théorie, de nier des assertions de façon à épuiser des adversaires judiciaires, d’asservir des populations et de régir des processus de consultation. Chacun de ces verbes fait l’objet d’un chapitre. Ils représentent une série d’actions sidérantes que l’ordre politique actuel ou récent a permis à des multinationales de mener en toute impunité, indépendamment des textes législatifs et des institutions judiciaires, voire grâce à eux. Comme Noam Chomsky, Deneault qualifie ce capitalisme du XXIe siècle de totalitarisme pervers, par la démonstration magistrale du seul cas de la multinationale d’origine française Total.

Quant à M. Trudeau, il a acheté le vieil oléoduc TransMountain pour $4.5 milliards en voulant l’agrandir au coût projeté de $9 milliards[6] afin d’acheminer le pétrole le plus sale de la planète vers le détroit de Vancouver, déjà encombré de pétroliers qui risquent l’accident fatal. Pourquoi ne favorise-t-il pas plutôt à un coût près de mille fois inférieur, tel que lui a demandé le Premier ministre Legault vendredi dernier, l’acheminement de « la propre [7]» hydroélectricité québécoise et terre-neuvienne vers l’Ontario ? L’exploitation du pétrole des sables bitumineux, le plus grand facteur mondial de dégradation climatique, fait exploser au Canada les cibles que Trudeau et sa ministre de l’Environnement Catherine McKenna avaient élaborées en décembre 2015 (COP21-ONU). On les avait alors chaleureusement applaudis, loin de la réception logiquement très négative de Mme McKenna par les pays actuellement rassemblés en Pologne pour la COP24.

 

CONCLUSION

Trudeau et Macron préfèrent paralyser leurs principes de justice, d’humanité et de respect de la vie environnementale, en obéissant aux banques, aux lobbys des multinationales et du complexe militaro-industriel et à la sacro-sainte loi de la croissance capitaliste.

Si en France les gilets jaunes se déchaînent, Trudeau a un peu plus de temps que Macron pour choisir son camp et nous le pressons de joindre l’alliance écologiste entre le Bloc québécois, le NPD et le Parti Vert. En attendant, des mairies et non les moindres se prononcent pacifiquement pour la DÉCLARATION D’URGENCE CLIMATIQUE[8]. Par idéalisme ? Non, par simple pragmatisme basé sur la science, pour sauver la planète.

 

[4] l’affaire HUAWEI sur le site des APLP http://www.artistespourlapaix.org/?p=15639

[5] Éditions ÉCOSOCIÉTÉ; en France, aux éditions rue de l’Échiquier

[6] http://lautjournal.info/20180608/trudeau-soumis-aux-petrolieres avec la collaboration du journaliste Bruce Livesey et du professeur Dorval Brunelle (UQAM).

[7] À relativiser, en se référant notamment au projet éolien innu d’Apuiat avorté par M. Legault.