Macron aux Gilets jaunes : Je vous hais compris !

2019/01/07 | Par Pierre Dubuc

Dans son allocution du Nouvel An du 31 décembre, le président français Emmanuel Macron est passé à la contre-offensive, effectuant un virage à 180 degrés après son acte de contrition du 10 décembre où il prenait sa « part de responsabilité » dans la « colère » et « l’indignation », qui s’exprimaient à la suite d'« une quarantaine d’années de malaises ». Il avait alors jeté du lest avec des concessions de 10 milliards d’euros pour conjurer la révolte des gilets jaunes.
 

Macron guillotiné et décapité

De toute évidence, Emmanuel Macron a été profondément ébranlé par la détestation dont il fait l’objet. Au début de sa présidence, il s’était proclamé président « jupitérien » – le dieu romain qui gouverne la terre, le ciel et tous les autres dieux et en a le caractère impérieux, dominateur – et déplorait l’absence de la figure du roi dans la vie politique française. Les gilets jaunes l’ont pris au mot. Ils ont décapité à la hache une effigie du chef de l’État à Angoulême et installé des guillotines pour lui couper la tête sur les ronds-points qu’ils occupent. Toute la « haine de classe » dont parlait un commentateur politique s’est concentrée sur la figure du président de la République française.

À Noël, Macron s’était contenté d’un bref tweet pour offrir ses vœux aux Français et avait tenu secrète sa destination pour le congé des Fêtes. Mais, le 31 décembre, la repentance était chose du passé. Debout devant la caméra – dans le but manifeste de se conformer à l’image de l’expression populaire « droit dans ses bottes », comme l’ont relevé les médias français – le président Macron indiquait son intention d’aller de l’avant avec son plan de réformes néolibérales de la société française. Il a rappelé qu’il avait réalisé les réformes jugées « impossibles » du Code du travail et des chemins de fer, malgré l’opposition syndicale, il annonçait du même souffle qu’il mettrait en chantier les réformes de l’assurance-chômage, des retraites, de la fonction publique avec la promesse de l’abolition de 120 000 postes.

Tablant sur l’affaiblissement progressif de la mobilisation des « gilets jaunes » au cours des semaines précédentes – elle est de nouveau en hausse le 5 janvier –, Macron a réduit ses porte-parole, sans jamais utiliser l’expression « gilets jaunes », au rôle de « porte-voix d’une foule haineuse », qui s’en prend « aux élus, aux forces de l’ordre, aux journalistes, aux juifs, aux étrangers, aux homosexuels ». Quelques jours plus tard, son porte-parole, Benjamin Griveaux, accusait les gilets jaunes d’être des « agitateurs qui veulent l’insurrection » pour renverser le gouvernement.

L’attitude d’assiégé de Macron n’est pas sans rappeler celle de Robert Bourassa, lors de la Crise d’Octobre 1970. Atterré, accablé, reclus, il s’était écrasé devant Pierre Elliot Trudeau en invoquant l’imminence d’une « insurrection appréhendée » pour réclamer la proclamation de la Loi des mesures de guerre et l’envoi de l’armée.
 

Grand Débat national et référendum

Dans son discours du Nouvel An, le président Macron a fixé deux échéances : le Grand Débat national de la mi-janvier et les élections européennes du 26 mai 2019.

Macron a promis une lettre aux Français pour expliquer les modalités du Grand Débat national. Déjà, on en connaît les thèmes : la transition écologique, les services publics, la fiscalité, l’évolution du débat démocratique. Quelques heures après l’annonce de ces thèmes à la mi-décembre, le gouvernement avait ajouté le thème explosif de l’immigration, avant de le retirer, puis de le remettre au jeu comme sous-thème du débat démocratique.

Quelle sera la conclusion de ce Grand Débat? Tout semble s’orienter vers la tenue d’un référendum.

Déjà, l’idée du référendum d’initiative citoyenne (RIC) a émergé comme la revendication politique phare des gilets jaunes. Le gouvernement a laissé entendre qu’il accepterait l’organisation d’un référendum au terme du Grand Débat national.

En fait, Macron va chercher à récupérer l’idée du référendum à ses propres fins. Il s’est fait élire en promettant une réforme des institutions politiques comprenant, entre autres, une dose de proportionnelle (15%), la diminution du nombre de circonscriptions de 577 à 340, une baisse de 30% du nombre de parlementaires, l'interdiction pour un élu d'effectuer un même mandat plus de trois fois de suite. En déclarant dans son message du 31 décembre que « nos institutions doivent continuer à évoluer », il signifie son intention d’aller de l’avant avec sa réforme constitutionnelle, qui nécessite la tenue d’un référendum.

Mais il a d’emblée exclu que le référendum puisse porter sur la révocation du chef de l’État, alors que c’est précisément pour destituer Macron que les gilets jaunes revendiquent le RIC.

Le gouvernement semble aussi écarter que le RIC puisse porter sur l’annulation de l’impôt sur la fortune (ISF), l’autre revendication phare des gilets jaunes. Macron s’est bien gardé jusqu’ici de toucher à cette législation, qui lui a valu d’être étiqueté « président des très riches ».

Une désignation bien méritée, comme le démontre l’origine du financement de sa campagne électorale. 48% de la somme totale des dons provenait de 1,2% des donateurs, c’est-à-dire que 913 d’entre eux ont contribué pour un montant égal ou supérieur à 5 000 euros. 663 donateurs d’entre eux ont atteint le plafond légal de 7 500 euros. À noter également la provenance de ces fonds. 56 % venaient de Paris et sa proche banlieue et 14% de capitales étrangères, alors que le mouvement des gilets jaunes est essentiellement concentré dans les zones périphériques.

Un référendum, donc, pour la sortie de crise? Pas si sûr. Du côté du gouvernement, on craint que, quelle que soit la question soumise aux électeurs, le référendum se transforme en vote de confiance sur la présidence Macron.

On se rappelle que, en réponse à Mai 68, le Général de Gaulle avait appelé à un référendum sur des questions constitutionnelles et qu’il l’avait perdu, ce qui avait conduit à sa démission.
 

D’autres sorties de secours ?

Selon les premiers sondages, 60% des Français affirment ne pas avoir été convaincus par le discours du Nouvel An du président Macron. Les Français demeurent des « Gaulois réfractaires au changement », se plaisait à dire Macron. Cela ne promet rien de bon pour le Grand Débat national.

Quelles sont les avenues de sortie de crise si le Grand Débat national ne réussit pas à canaliser et « pacifier » la révolte des gilets jaunes? Si le Grand Débat déraille, comme il est fort possible, il ne restera pas beaucoup d’options au gouvernement pour rétablir son autorité.

Macron pourrait remplacer son premier ministre en lui faisant jouer le rôle de « fusible », comme l’expérience de la Ve République a déjà montré son utilité. Cependant, le premier ministre Édouard Philippe est plus populaire dans les sondages avec un taux de satisfaction de 34% contre à peine 25% pour Macron.

Une autre avenue serait la dissolution de l’Assemblée nationale et la convocation de nouvelles élections législatives. Mais l’extrême-droite pourrait rafler une large majorité des sièges, si on en croit un récent sondage qui attribue près de 35% d’appuis à l’extrême-droite (27,5% des voix au Rassemblement national de Marine Le Pen et 7% à Debout La France de son allié Nicolas Dupont-Aignan, lors de la dernière présidentielle).

La gauche, toutes tendances confondues, ne dépasserait pas 24% des suffrages, du jamais vu depuis l’institution du suffrage universel en France en 1848, rappelle Jacques Julliard dans le magazine Marianne.

Avec le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours en vigueur, l’extrême-droite pourrait rafler plus de 70% des sièges! Cela explique pourquoi les porte-parole de la gauche exhortent Macron à ne pas convoquer d’élections législatives avant d’avoir introduit des éléments de proportionnelle dans le scrutin. Mais la constitution prévoit un délai d’un an avant l’adoption de la réforme et son entrée en vigueur.
 

Les élections européennes

Une autre avenue serait d’inciter les gilets jaunes à concentrer leurs efforts à présenter une liste de candidatures aux élections européennes, qui se dérouleront le 26 mai 2019 afin d'élire les 79 députés européens représentant la France au Parlement européen. Les candidats sont élus pour cinq ans selon les règles de la représentation proportionnelle à scrutin de liste à la plus forte moyenne. Les partis ayant obtenu plus de 5% des suffrages bénéficient d’un nombre de sièges proportionnel à leur nombre de voix.

De nombreuses voix parmi les gilets jaunes s’expriment dans ce sens. De façon tout à fait machiavélique, Macron favorise une telle option, parce que les sondages montrent qu’une liste de gilets jaunes obtiendrait 11% de la faveur populaire, ce qui affecterait ses principaux opposants, le Ralliement national de Marine Le Pen et La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Diviser pour régner n’est pas l’apanage des seuls Britanniques.
 

Un air de putsch?

Et qu’arrive-t-il si le Grand Débat échoue et que les autres solutions envisagées ne réussissent pas à ramener le calme et que d’autres secteurs de la société (lycéens, ouvriers, agriculteurs) rejoignent les gilets jaunes et que le chaos s’installe?

Des voix mentionnent un appel à l’ancien chef des armées, le général Pierre de Villiers, qui a démissionné après avoir été humilié publiquement par Emmanuel Macron devant plus de 2 500 invités à la réception de l’Élysée, la veille de la fête nationale, le 13 juillet 2017. Le président avait repoussé du revers de la main ses demandes pour des budgets supplémentaires, en déclarant que c’était lui, Emmanuel Macron, qui était le chef des armées.

Le général de Villiers a déjà publié un livre intitulé Servir, ce qui démontre sa disponibilité. Il fait actuellement la tournée des plateaux de télévision et accorde des entrevues aux médias pour la promotion de son nouveau livre, intitulé avec encore beaucoup d’à-propos Qu’est-ce qu’un chef?. Son livre, avec sa photo sur la page couverture, est bien en vue dans toutes les librairies et les kiosques à journaux.

Au cours des dernières semaines, il a fallu, révèle le journal Le Monde, menacer de sanctions une dizaine de généraux, un amiral et un colonel de 2e section, c’est-à-dire retraités mais encore mobilisables, après qu’ils eurent signé une lettre ouverte sur un site d’extrême-droite.

« Vous ne pouvez pas décider seul d’effacer nos repères civilisationnels et nous priver de notre patrie charnelle, disait le texte, en s’insurgeant de la signature par la France du pacte de Marrakech sur les migrations. Vous êtes comptable devant les Français de vos actions. Votre élection ne constitue pas un blanc-seing. »

Le général Pierre de Villiers se défend de toute allégeance idéologique et politique. Mais il est intéressant de savoir qu’il est le frère du Vendéen Philippe de Villiers, fondateur et président du Mouvement pour la France (MPF). Élu député de la droite, il a été candidat aux élections présidentielles de 1995 (4,74% des voix) et de 2007 (2,23% des voix). Tout au long de sa carrière politique et de ses ouvrages, il a défendu les racines chrétiennes de la France et a critiqué le processus d'islamisation qui, selon lui, affecte le pays. À l’élection présidentielle de 2017, il a appuyé Marine Le Pen.