« L’Ontario compte-t-il vraiment 600 000 francophones ? »

2019/01/15 | Par Me François Boileau

L’auteur est commissaire aux services en français de l’Ontario

Tel un métronome, Charles Castonguay annonce la mort des communautés francophones de façon régulière depuis au moins 40 ans. Et pourtant, surprise, elles sont encore là ! Serait-ce une faille dans ses méthodes de calcul ? La communauté francophone de l’Ontario a considérablement évolué depuis le rapport de la Commission Laurendeau-Dunton en 1969 et l’adoption de la Loi sur les services en français, en 1986. En conséquence, la méthode de calcul de son effectif, utilisée par le gouvernement de l’Ontario, ne permettait plus de refléter son évolution, sa diversité et surtout sa vitalité. C’est donc pour exprimer la nouvelle réalité de cette francophonie vibrante et plurielle que je suis fier d’avoir recommandé en 2009 à la ministre (déléguée, à l’époque) des Affaires francophones l’adoption d’une nouvelle méthode de calcul des francophones, avec la définition inclusive de francophone ou « DIF ».

Cette méthode, dérivée de l’outil développé par Statistique Canada pour l’étude post censitaire « Étude sur la vitalité des minorités de langue officielle », est non seulement plus inclusive que celle qui la précède, mais tient compte de cette frange active et participative de la communauté francophone en Ontario.

Elle est calculée à partir d’une combinaison de trois questions du recensement général de la population qui concernent la connaissance de la langue maternelle, la langue parlée à la maison et la connaissance des langues officielles. Selon cette définition inclusive, sont francophones en Ontario les personnes qui ont le français en tant que langue maternelle, seule ou avec une autre langue; qui ont une langue non officielle comme langue maternelle et qui, des deux langues officielles, ne connaissent que le français; qui ont une langue non officielle comme langue maternelle, qui connaissent le français et l’anglais et qui parlent soit une langue non officielle soit le français, seul ou avec une autre langue, à la maison.

Il s’agit de bien refléter la réalité en prenant en compte le dynamisme de la population francophone de l’Ontario, car la DIF est un outil essentiel pour les instances publiques quant à la planification de la prestation des services publics en français. Contrairement à la méthode préconisée en 1969 par la Commission Laurendeau-Dunton, la DIF capte le nombre d’utilisateurs potentiels de services en français en Ontario plus fidèlement, et ainsi elle permet au gouvernement d’affecter les ressources appropriées aux bons services, aux bons endroits.

Cela étant dit, un service public livré dans la langue de la minorité dépasse la simple interaction entre gouvernements et citoyens. En effet, il contribue à la vitalité des communautés et communique le message aux Franco-Ontariens, Franco-Manitobains, Anglo-Québécois, par exemple, que leur langue est importante et possède une valeur sociale, économique et culturelle, ce qui contribue à sa préservation et, au-delà, à son évolution, en phase avec la vie quotidienne de ses locuteurs.

L’Ontario n’est pas la seule à avoir adopté une telle méthode de calcul. Le Manitoba, l’Île-du-Prince-Édouard et maintenant le gouvernement fédéral misent tous sur une définition plus inclusive pour dénombrer les utilisateurs potentiels de services dans la langue de la minorité.

La vieille méthode de calcul n’est absolument plus pertinente aujourd’hui. Retourner en arrière comme le propose Charles Castonguay, avec un cadre de définition vieux de 50 ans, équivaudrait à demander à toute la société d’être jaugée et évaluée en fonction des normes et valeurs des années 1960.  La francophonie canadienne s’est enrichie de nouveaux membres, apportant avec leurs aspirations, leur vitalité et leurs accents francophones. L’immigration et l’exogamie forment deux réalités qui n’avaient pas autant de poids il y a 50 ans et qui doivent être considérées aujourd’hui. Devrait-on se questionner sur l’intégration au sein de la francophonie de ressortissants canadiens originaires de Haïti, du Liban ou encore du Maghreb ? Peut-on les considérer comme « moins » francophones, moins Franco-Ontariens, moins Québécois, ces gens qui font usage du français tous les jours et maîtrisent et parlent en plus une autre langue à la maison ? L’enseignante originaire du Togo qui enseigne le français dans une école de Rimouski, Hearst ou Lethbridge est-elle « moins » francophone que ses élèves parce qu’elle parle aussi le mina à ses enfants à la maison ?  Le Québec et le Canada pourraient-ils aujourd’hui se passer de l’enrichissement social, culturel et économique que lui apportent ces communautés ?

Évidemment que non. Il est donc insensé de penser que les paramètres évoqués dans la Commission Laurendeau-Dunton seraient encore d’actualité. Les francophones en Ontario sont bien au nombre de 622 415.

Il ne faut jamais oublier que derrière les analyses, derrière les chiffres, il y a du vrai monde qui veut participer et contribuer à projet social ouvert, inclusif, prospère et dynamique. Un gouvernement, une société, ne peuvent se permettre en 2019 d’adopter des politiques exclusives. Comme l’a démontré la mobilisation de tous ces gens, francophones et anglophones, ainsi que l’appui de tout le Québec au cours des derniers mois pour dénoncer les coupes infligées à la communauté franco-ontarienne, nous devons, en incluant les décideurs publics, miser sur ce qui nous unit et nous fait avancer, et rejeter catégoriquement tout ce qui exclut, sépare, isole ou retranche derrière des murs réels ou imaginaires.