Les fourches caudines

2019/01/18 | Par Michel Rioux

Devrons-nous nous y habituer ?

Il ne se passe plus une journée sans devoir passer sous les fourches caudines de la rectitude politique, que les Français, en calquant l’expression anglaise, nomment le politiquement correct.

Remarquez que, dans un pays dont le Guide alimentaire officiel annonce une mise en garde à l’égard les produits laitiers alors qu’est autorisée par loi la vente libre du cannabis, il faut s’attendre à du n’importe quoi.

Ce n’importe quoi illustre bien ce que le politologue anglais David Goodhart décrivait en parlant de la révolte des « gens de quelque part » contre ceux de « n’importe où ». Les Gilets jaunes en font la démonstration aujourd’hui. Il y a des gens de n’importe où partout, ici comme ailleurs…

La plus récente aberration de cette manie de la rectitude nous est venue encore une fois de l’UQAM, où un Groupe de recherche d’intérêt public (GRIP) qui gère un bar dans lequel se produisent musiciens et humoristes, la Coop les Récoltes, a décidé d’interdire à un humoriste de livrer sa prestation sous le prétexte qu’il faisait de l’appropriation culturelle en arborant des tresses à la mode rastas, des dreadlocks. Sur son site, la coop précise que « l’appropriation culturelle n’est pas un débat ou une opinion ». Elle ajoute : c’est plutôt « une forme d’oppression passive, un privilège à déconstruire et surtout, une manifestation de racisme ordinaire ».

Faut croire qu’il y a dans ces milieux des émules de Mao et de Pol Pot, dont les penchants pour la rééducation musclée ont conduit là où on sait. C’est la crainte qui nous assaille quand on lit ce qui suit sur le site du GRIP. « Pour ce qui est des clientes et des clients, nous favorisons une approche de déconstruction et d'éducation, où la personne en question se verra expliquer qu'elle reproduit un comportement raciste. »

Il n’y a plus rien à envier aux « gender studies » et aux « cultural studies » qui sévissent aux USA. Et si j’étais à l’UQAM, je surveillerais ce qui se passe à la cafétéria. Fort possible qu’il y ait de quoi dans l’eau… J’oubliais ! Le GRIP a pignon sur la rue St-Denis, à Montréal, « territoire non cédé des nations Mohawk, Anishinaabe, Wabanaki et Wendate ». Tant qu’à faire, pourquoi se priver !

Toute la polémique autour du projet SLAV de Robert Lepage nous aura appris qu’en vociférant et en agitant le spectre de l’appropriation culturelle, on pouvait en arriver à faire plier les genoux à un homme de théâtre particulièrement sensible aux réalités des communautés historiquement opprimées. Un professeur de théâtre et de cinéma à la retraite, Lucien Hamelin, en témoignait récemment. « Il valait le coup de voir le visage réel de ces lyncheurs « racialisés » qui, devant le TNM, nous (j`y étais) insultaient en anglais en nous traitant de ‘‘racist’’ et de ‘‘white supremacist’’ ». Ce dernier ajoutait que « la récente politique du Conseil des Arts du Canada qui obligera les créateurs à se limiter à des sujets concernant leur seule communauté d’origine est un acte de précensure étatique et de racialisation des œuvres ! »

À peu près tout le monde est d’accord là-dessus : Justin Trudeau s’est couvert de ridicule lors de son voyage en Inde. Le Bye Bye l’a à juste titre ridiculisé. Or, il s’en est trouvé dans la communauté indienne de Montréal à crier à l’appropriation culturelle. Le Devoir cite un citoyen d’origine indienne habitant Montréal : « M. Varma comprend bien que la blague est dirigée vers M. Trudeau, mais estime qu’un travail sournois crée un rire méchant dont une communauté déjà marginalisée paye le prix ». Mon défunt collègue journaliste Laurent Laplante disait que plus les vaches sont sacrées, moins elles ont le cuir épais…

Par ailleurs, certains, pour ne pas être en reste, sautent à pieds joints dans le train de la rectitude. « Beyond Indigenous People, tous les Canadiens sont des immigrants », clamait récemment le chef du NPD Jagmeet Singh. Quelle trouvaille que celle-là ! Les peuples autochtones ne seraient venus de nulle part et seraient donc ici depuis la Création ! Il risque d’avoir davantage de passé que d’avenir ce garçon…

Enfin, jusques à quand, à l’instar des soldats romains vaincus aux Furculae Caudinae, nous faudra-t-il ployer sous le joug de cette débilitante rectitude politique qui veut s’installer à demeure ? Jusques à quand les mots seront-ils frappés par des maux qui leur font perdre tout leurs sens ?

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* Le Petit Robert : Passer sous les fourches caudines : subir des conditions difficiles ou humiliantes. Cette expression fait allusion à l'armée romaine qui, en 321 avant J.C, fut cernée dans un défilé appelé les Fourches Caudines par l’armée samnite dont le chef obligea les soldats romains à passer, courbés et les mains liées dans le dos, sous un joug formé de fourches et lances dressées par le vainqueur.