L’urgence climatique : Le gouvernement Legault loin d’être à la hauteur

2019/01/18 | Par Jacques B. Gélinas

Il y avait un jardin qu’on appelait la Terre,
Qui brillait au soleil comme un fruit défendu…

Georges Moustaki

Sur la page de calendrier que nous venons de tourner, il est écrit que l’humanité fait face aujourd’hui au plus grand défi de son histoire. La priorité absolue est d’éviter l’effondrement des écosystèmes qui ont permis l’épanouissement de la vie dans ce merveilleux jardin appelé la Terre.

Personne ne connaît l’ampleur, ni la forme, ni le moment du cataclysme annoncé. Mais nous savons avec certitude que cela se produira quand la température du globe aura franchi le cap fatidique de 1,5 degré par rapport à ce qui existait avant l’ère industrielle. De multiples études scientifiques et les ruades de plus en plus impétueuses de la nature nous avisent que le point de bascule est proche.

Le Secrétaire général des Nations Unies a, pour sa part, lancé un avertissement sévère : «Nous avons deux ans pour réagir sous peine de conséquences désastreuses».

Si la classe politique persiste dans la voie de l’aveuglement volontaire ou de l’ignorance crasse face à cette évidence, la catastrophe se produira inexorablement. Si ce n’est de notre vivant à nous, les babies boomers et les aînés, ce sera du vivant de nos enfants et de nos petits-enfants.

 

Une omission impardonnable… mais réparable

Monsieur Legault, comment avez-vous pu ignorer tous ces avertissements? Comment avez-vous pu commette l’erreur, ou plutôt la faute, d’omettre l’enjeu climatique et, plus largement, l’enjeu écologique, dans la plateforme de votre parti... et dans le programme de votre gouvernement ?

Début novembre, 500 artistes, scientifiques et personnalités connues, suivis de 250 000 autres indignés, ont signé le Pacte pour la transition écologique. Les signataires s’engagent, chacun selon ses moyens et sa situation, à poser des gestes concrets pour contrer le réchauffement climatique.

Mais les gestes individuels ne suffiront pas. Rien ne remplacera une politique nationale cohérente, embrassant tous les aspects de l’enjeu environnemental. Le Pacte appelle donc François Legault, maintenant chef du gouvernement – et non pas seulement d’un parti – à réparer cette impardonnable omission. Comment ? En plaçant l’enjeu écologique en tête des priorités de son gouvernement.

 

Mauvais augures

Monsieur le Premier ministre, écoutez ce pressant appel de la population. Arrêtez l’élargissement et la construction d’autoroutes. Rayez de vos politiques la construction d’un troisième lien entre Lévis et la Vieille Capitale, qui ne fera qu’augmenter la congestion routière. Mettez un frein à l’agrandissement continu du parc automobile, quand il faudrait le diminuer de façon drastique.  

Le Devoir du 4 janvier 2019 nous apprend qu’au lieu de verdir sa politique, votre gouvernement vient d’ouvrir la porte à un premier projet d’exploitation pétrolière en sol québécois. Autre mauvais augure : votre gouvernement vient d’autoriser la circulation des motoneiges sur le sentier Caribou, dans le Parc national du Mont-Tremblant.  

 

Quand les jeunes interpellent la classe politique

Greta Thunderg, jeune Suédoise de 15 ans, a apostrophé les représentants de 196 pays à la 24e Conférence de l’ONU sur le climat, en Pologne, le 14 décembre dernier. Elle reproche aux dirigeants actuels de laisser un héritage désastreux aux jeunes de sa génération et aux générations à venir : « En 2078, je célébrerai mon 75e anniversaire et, si j’ai des enfants […], peut-être me parleront-ils de vous et me demanderont pourquoi vous n’avez rien fait quand il était encore possible d’agir ».

À la rentrée de l’automne dernier, Greta a organisé une grève scolaire pour le climat, à la suite de l’été le plus chaud jamais enregistré en Suède. Elle a passé un mois assise devant le Parlement suédois pendant les heures de cours. Elle voulait envoyer un message percutant aux candidats à l’élection législative, dont aucun parti ne proposait des stratégies propres à sauver la planète.

Alexandria Ocasio-Cortez, 29 ans, qui vient de faire son entrée au Congrès des États-Unis, a dénoncé la timidité de sa formation politique, le Parti démocrate, en matière de lutte contre les changements climatiques. La cheffe de la majorité démocrate à la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a rappelé à l’ordre la jeune députée, expliquant qu’une telle position s’avérait trop radicale et controversée. Alexandria a rétorqué du tic au tac : « S’il est radical de proposer une solution proportionnelle à l’ampleur du problème, qu’il en soit ainsi ».

Les jeunes du Québec – 35 ans et moins – ne sont pas en reste. Ils demandent aux tribunaux, par l’entremise du réseau Environnement Jeunesse, l’autorisation d’intenter une action collective contre le gouvernement canadien pour violation de leurs droits fondamentaux, en particulier leur droit à la santé, à la vie et à la sécurité.

 

Monsieur le premier ministre, soyez à la hauteur

Monsieur le Premier ministre, depuis votre élection, vous avez su vous montrer compatissants, à l’écoute de vos concitoyennes et concitoyens. Montrez maintenant que vous êtes un homme d’État à la hauteur de la crise existentielle de notre époque.

Investissez quelques milliards de dollars dans la création d’un vaste réseau de transport collectif électrifié pour desservir adéquatement toutes les régions et les villes du Québec. Joignez-y un plan d’urbanisme et d’aménagement du territoire, car des villes étalées et mal conçues entraînent inévitablement une congestion des transports et une augmentation de la pollution de l’air.

Faites de Recyc-Québec une importante société d’État. Objectif : la mise en valeur du gigantesque tas de matières résiduelles, faussement appelées déchets. Au Québec, on récupère un peu et on recycle encore moins. Au lieu de creuser toujours plus dans la croûte terrestre pour en extirper les ressources, pigeons dans ce tas de ressources exploitables, mais inexploitées.

Encouragez la souveraineté alimentaire, l’agriculture biologique, les circuits courts, le commerce de proximité, plutôt que le démentiel libre-échange planétaire des produits agroalimentaires. Incroyable : 50 % de notre nourriture vient de l’extérieur, parcourant inutilement des milliers de kilomètres avant de se trouver dans nos assiettes.

Monsieur Legault, l’occasion vous est offerte de laisser votre marque dans l’histoire en relevant le défi de la transition écologique. Comme Jean Lesage a marqué l’histoire, en créant l’État social, rendez-vous célèbre en créant l’État écologique. Sinon, on retiendra de vous que vous n’aurez été qu’un simple valet au service de la croissance des profits des grandes entreprises.

 

Des gouvernements poursuivis en justice pour inaction climatique

À la source de ce désordre écologique planétaire, il y a l’avidité des multinationales et de leurs actionnaires, qui font passer les profits avant le climat. Mais, en dernière analyse, la cause se trouve dans l’inaction des gouvernements qui se désintéressent de l’intérêt public pour s’intéresser prioritairement à des intérêts privés.

Gare à vous, MM. Legault et Trudeau ! Dans plusieurs pays, des jeunes éveillés entreprennent des poursuites en justice contre leurs gouvernements pour inaction climatique. On observe de telles initiatives en Belgique, aux États-Unis, en France, en Irlande, en Norvège, au Royaume-Uni, en Suisse et ailleurs.

Aux Pays-Bas, un tribunal a fait jurisprudence dans une première décision juridico-climatique. Le 9 octobre dernier, la justice néerlandaise « a condamné en appel le gouvernement à rehausser très rapidement son ambition climatique ».

« Ce jugement constitue une mise en garde pour les gouvernements du monde entier », a conclu Tessa Khan, codirectrice du Réseau sur les litiges climatiques – Climate Litigation Network – qui soutient des causes sur le climat et l’environnement.

jacquesbgelinas.com