Francophones en Ontario : Me Boileau peut aller se rhabiller !

2019/01/25 | Par Charles Castonguay

Dans sa réplique à mon texte « L’Ontario compte-t-il vraiment 600 000 francophones ? », paru dans Le Devoir du 8 janvier et sur le site de l’aut’journal, le Commissaire aux services en français, Me François Boileau, ridiculise la recommandation de la Commission Laurendeau-Dunton d’employer la langue parlée le plus souvent à la maison, ou langue d’usage, au lieu de la langue maternelle pour énumérer les minorités francophones. Or, l’ensemble de la recherche effectuée depuis les années 1960 n’a fait que confirmer la supériorité de la langue d’usage à la maison sur la langue maternelle comme déterminant de la langue utilisée en public. La recommandation des commissaires d’employer la langue d’usage pour énumérer les minorités francophones, entre autres en vue d’estimer la demande de services en français, demeure donc aussi pertinente aujourd’hui qu’il y a 50 ans.

Soulignons dans cette optique que la définition inclusive de francophone (DIF) de Me Boileau ajoute, aux francophones énumérés de façon traditionnelle selon la langue maternelle, au moins les Ontariens de langue maternelle non officielle qui ont adopté le français comme langue d’usage. C’est un pas dans la bonne direction. Mais pourquoi n’ajoute-t-il pas aussi les Ontariens de langue maternelle anglaise qui se sont déclarés de langue d’usage française ? Et pourquoi, par souci de cohérence, n’est-il pas passé complètement du critère de la langue maternelle à celui de la langue d’usage, qui estime plus efficacement la demande de services en français ?

Quoi qu’il en soit, voici l’énoncé de la DIF, tel que présenté sur le site du commissaire : « Les personnes pour lesquelles la langue maternelle est le français, de même que les personnes pour lesquelles la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais, mais qui ont une bonne connaissance du français comme langue officielle et qui utilisent le français à la maison ». Or, comble de l’incohérence, la définition qu’en a donnée Boileau dans sa réplique est, au contraire, celle de la population cible de l’Enquête sur la vitalité des minorités de langue officielle (EVMLO) menée par Statistique Canada en 2006 ! Cette population inclut des dizaines de milliers d’allophones qui ne parlent aucunement le français à la maison. Pour obtenir son total de 622 415 personnes, qu’il sera approprié d’appeler des francodifs, Boileau a effectivement ajouté des dizaines de milliers d’allophones semblables qui ne sont pas de langue d’usage française, même si l’énoncé de la DIF sur son propre site les exclut.

La définition de la DIF sur le site du commissaire laisse ainsi entendre, entre autres à son employeur, le gouvernement de l’Ontario, que les francodifs en sus de ceux qui ont le français comme langue maternelle ont tous le français comme langue d’usage, alors que dans son calcul le commissaire outrepasse cette consigne pour arriver à un nombre de francodifs plus imposant. À lui de s’expliquer.

Notons en outre que la population cible de l’enquête EVMLO, qui était à très grande majorité de langue maternelle française et qui a inspiré Boileau dans le calcul des ses francodifs, fournit une estimation grossièrement exagérée de la demande de services en français hors Québec. Quatre répondants à l’enquête sur dix ont préféré que leur interview se déroule en anglais ! En Ontario, en particulier, 15 % des adultes échantillonnés se sont dits aussi à l’aise en anglais qu’en français, 41 % se sont dits plus à l’aise en anglais et seulement 44 %, plus à l’aise en français. Il est fort peu probable qu’une personne qui aime mieux se faire interviewer en anglais, ou qui est plus à l’aise dans cette langue, préférera utiliser des services en français.

Effectivement, l’EVMLO a constaté que les répondants qui sont plus à l’aise en français « font une utilisation beaucoup plus grande de cette langue dans leurs activités [publiques] quotidiennes que ceux qui sont plus à l’aise en anglais » et, d’autre part, qu’il existe une relation certaine entre la langue dans laquelle une personne est le plus à l’aise et sa langue d’usage à la maison. La langue d’usage au foyer demeure par conséquent de loin la donnée de recensement la plus pertinente pour estimer la demande de services en français.

De toute façon, Me Boileau peut aller se rhabiller. Depuis quelques mois, l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) promène partout le chiffre de 744 000 Franco-Ontariens !

Ma prochaine chronique portera sur ce nouveau coup de baguette magique.