Rodney Saint-Éloi et sa Mémoire d’encrier

2019/02/01 | Par Tanya Millette

Je profite de ce mois de l'histoire des Noirs pour parler de la contribution de Rodney Saint-Éloi dans le domaine de la littérature québécoise et canadienne, mais également de sa contribution à l'échelle internationale.

Cet homme illustre, originaire de Cavaillon à Haïti, a fondé les Éditions Mémoire en 1991, à Port-au-Prince. C'est, par l'entremise de sa collaboration avec le poète Georges Castera, qu'il a fondé la revue semestrielle d'art et de littérature « Boutures », qui a été active de 1999 à 2002. En 2001, M. Saint-Éloi emménage au Québec, plus précisément à Montréal. D'ailleurs, c'est dans cette ville qu'il a fondé en 2003 la maison d'édition Mémoire d'encrier, dont il est encore aujourd'hui le directeur.

Rodney Saint-Éloi est auteur d'essais, de récits, d'anthologies et de recueils de poésie, en plus d'être éditeur. Membre de l'Académie des Lettres du Québec depuis 2015, il s'est vu décerner le prix Charles-Biddle en 2012. Il a vu plusieurs de ses écrits traduits en anglais, en espagnol et en japonais. Thomas C. Spear, fondateur de Île en Île, base de données d'auteurs insulaires francophones, et professeur de littérature à CUNY, décrit ses écrits comme suit : « Son œuvre est une lente traversée des villes, des fleuves et des visages ».

J'abonde en ce sens, surtout après la lecture de son recueil de poésie « Je suis la fille du baobab brûlé » (2015, Mémoire d'encrier), qui a été finaliste au Prix des Libraires du Québec, finaliste au Prix Carbet de la Caraïbe, en plus d'avoir été finaliste aux Prix littéraires du Gouverneur général, tous trois en 2016.

Ce recueil offre aux lecteurs une poésie universelle, en ce sens où « [le] ventre accouche des histoires qui recommencent à l'infini. Il y a toujours une vie à faire ou à refaire » (Saint-Éloi 2015). C'est par le personnage de « la fille du baobab brûlé » que l'auteur permet aux lecteurs de s'identifier au « je » présent dans le recueil. Nous ressentons très bien le complexe d'identité culturelle abordé à travers ce personnage qui, parfois, est fille de ses ancêtres et quelques fois est fille sans visage, fille de la terre, du soleil, de la mer et du vent. Voici un extrait qui exprime cette idée :

Je suis la fille du baobab
Qu'une étoile insoumise
A enfantée sur une terre d'épices
Je n'ai pas d'identité certifiée
Je ne suis pas l'étrangère
Je ne suis pas l'ennemie
Les pays me divisent en sept nations
Je ne sais rien de mon visage
Les miroirs ne se retournent pas sur
        mon passage

L'écrivain arrive à créer un lien d'attache, un sentiment de familiarité entre le lecteur et le sujet du recueil par l'entremise d'un « je » féminin. Évidemment, chaque être humain est sensible et compréhensif à l'égard d'une mère puisque « Toute mère porte dans ses entrailles / Les convulsions du monde ».

De plus, Rodney Saint-Éloi est un éditeur inspirant dans le domaine de la littérature puisqu'il s'attarde à redonner une voix aux communautés culturelles ayant subi ségrégation et racisme. Plusieurs auteurs chez Mémoire d'encrier tels que Joséphine Bacon, Elkahna Talbi, Dany Laferrière et Makenzy Orcel, considèrent M. Saint-Éloi, non pas comme un simple éditeur, mais plutôt comme un conseiller, un ami, un frère, un père spirituel qui saisit l'importance de l'engagement envers la littérature sous toutes ses formes, dans toutes les langues.

Le directeur et fondateur de Mémoire d'encrier a même créé une collection nommée « Anthologie secrète », qui s'attarde aussi à des œuvres du patrimoine haïtien du XIXe et XXe siècles, notamment à celles de Ida Faubert, de Davertige et de Frankétienne, entre autres.

Cet automne, lors d'une table ronde au Salon du livre des Premières Nations, Rodney Saint-Éloi m'a dit : « C'est par la littérature qu'il est possible de redonner la parole aux voix des différentes communautés, et non pas en prenant parole pour ces voix tues. ». À la suite de ce commentaire, dû à son engagement et à son dévouement pour la littérature, je crois fermement que cet homme de lettres a saisi toute la beauté et l'essence de cette pratique, en l'abordant par son universalisme et son humanisme.

Son plus récent recueil de poésie, édité en 2016 chez le Noroît, s'intitule « Moi tombée, moi levée ».