Le référendum catalan vu par le cinéaste québécois Alexandre Chartrand

2019/02/04 | Par Tanya Millette

Le réalisateur québécois Alexandre Chartrand nous offre un accès aux premières loges du référendum d'autodétermination catalane de 2017, à travers son second documentaire, « Avec un sourire, la révolution! », qui a pris l'affiche le 1er février.

Le cinéaste nous propose de suivre les manifestations pacifistes du peuple catalan dans les rues de la Catalogne, malgré l'interdiction et l'illégalité du référendum décrétées par l'Espagne, sous la gouvernance de Mariano Rajoy.

Pendant notre entrevue téléphonique, Alexandre Chartrand m'a expliqué son intérêt pour l'histoire catalane. Un intérêt tout d'abord né d'un désir d'apprendre la langue, surenchéri d'une admiration pour le photographe de guerre Robert Capa, présent lors de la Guerre civile espagnole entre 1936 et 1939. C'est évidemment le style du photographe, plongé dans l'action, utilisant un objectif 50 mm pour des clichés pris sur le vif, qui a su interpeller le réalisateur. C'est d'ailleurs pendant la Guerre civile en Espagne que les anarchistes catalans se sont présentés comme la résistance officielle au général Francisco Franco.

S'intéressant à la politique sous la dictature de Franco, il allait de soi pour Alexandre Chartrand de révéler aux spectateurs le fruit de ses observations sur la montée du mouvement indépendantiste catalan, porté à bout de bras par des femmes telles que Carme Forcadell, qui a été présidente du Parlement de Catalogne jusqu'à son emprisonnement en 2017. Selon Chartrand, les indépendantistes catalans font contrepoids au machisme espagnol puisque les femmes se sont impliquées activement dans ce mouvement.

Par désir de capter le réel et de transmettre la vérité, le réalisateur utilise le cinéma direct pour nous plonger dans l'action citoyenne catalane. Plus le peuple affichait sa résistance de manière pacifique, plus la répression espagnole grandissait, jusqu'à la violence physique, dévoilée par les images du film exprimant toute la tension et l'émotion palpable de ce pan de l'histoire politique catalane.

Interrogé sur les contraintes rencontrées lors du tournage, Alexandre Chartrand m'a confié qu’il avait été facile d'interagir avec la population parce que son premier documentaire « Le Peuple interdit » (2016) avait fait bonne impression en Catalogne. Par contre, dans un deuxième temps, il a mentionné que le tournage avait été très difficile, parce qu'il n'arrivait pas à trouver dans la foule les gens qu'il devait interviewer. Il essayait de contacter par téléphone des personnalités telles que Mireia Boya, Jordi Cuixart, Lluís Llach, Carles Puigdemont, mais ils ne répondaient pas, parce que, craignant d’être sur écoute, ils ne voulaient pas donner leur position, étant donné les menaces d'accusations qui pesaient sur eux.

De plus, la coalition que constituait le mouvement indépendantiste catalan était alors au bord de l’éclatement. Chartrand n'était en contact qu'avec les attachés politiques des représentants de la coalition qui, au moment du tournage, ne s’adressaient plus aux gens qui les interpellaient.

Je lui ai également demandé si, malgré le fait que la population arborait un sourire tout au long de ces manifestations, il avait ressenti la peur s’installer, plus la date butoir du référendum approchait. Le cinéaste révèle que des craintes, il y en avait, mais que la population catalane s'était engagée consciemment dans cette désobéissance civile afin de défendre son droit de vote, son droit de prendre la parole, son droit d'exister. Dans certains établissements, ils étaient des milliers pour protéger les urnes. À tel point que la « Guardia Civil » et la police espagnole avaient renoncé à intervenir, leurs effectifs n'étant pas suffisants pour maîtriser une telle foule. Pour la population catalane, il s'agissait d'un réel pied-de-nez à Madrid et d’une revanche sur le régime de Franco, qui les avait privés de leur autonomie pendant tellement d'années.

D'où l'importance dans le film de la chanson « L'Estaca » de l'auteur-compositeur-interprète Lluís Llach, également écrivain et député, grande icône de la culture catalane, ayant connu l'exil sous la dictature de Franco. Llach et sa chanson rassemblent au point de vue narratif le film avec des archives visuelles et la présence du chanteur lors des différentes manifestations dans les rues catalanes.

L'artiste et cinéaste Alexandre Chartrand nous offrira une suite à « Avec un sourire, la révolution! » pour compléter cette trilogie déjà bien entamée. À suivre!