Qu’on en appelle au courage

2019/02/14 | Par Jean-Robert Bonneau

Je reviens de la représentation du dernier film d’Alexandre Chartrand Avec un sourire, la révolution et je suis bouleversé. Le documentaire, en véritable thriller politique, nous immerge au coeur des événements entourant le référendum d’autodétermination de la Catalogne en 2017, tenu malgré l’interdiction de Madrid. C’est une histoire de répression sans nom, mais aussi de patriotisme, d’enthousiasme et de mobilisation grisante. Bien sûr, difficile de ne pas faire de lien avec le Québec. Alors que les Catalans se sont engagés sur l’un des chemins les plus révolutionnaires qui soit — scinder un pays, en créer un nouveau — l’impasse actuelle rappelle le blocage québécois et les conséquences de notre propre fatigue culturelle.

Au Québec, selon l’historien Éric Bédard, l’échec référendaire de 1995, tout comme la rébellion avortée des Patriotes, aurait débouché sur une ère de « survivance ». Faute de pouvoir aspirer à leur émancipation, les Québécois auraient capitulé devant le régime politique qui les contraint. Ils se seraient plutôt tournés vers leurs acquis tout en nourrissant une obsession pour les questions économiques, les « vraies affaires ». Plus encore, aux deux époques, nous nous serions projetés à travers les exploits de héros ou figures marquantes du passé. ColoniséEs, la pièce d’Annick Lefebvre présentement jouée au Théâtre d’Aujourd’hui, en est un bon exemple. À travers les icônes de Pauline Julien et Gérald Godin, la pièce revisite les moments forts des années 60 à 80. Mais si l’œuvre vient contribuer à notre « mythologie québécoise », sa vraie force réside dans le refus de la complaisance et dans un appel à l’action. N’oublions pas qu’à l’instar de Julien et Godin, ce sont les artistes – avant les politiciens – qui ont suscité le goût du pays et donc la fin de la survivance. Serions-nous en train de nous réapproprier, via l’art, le sens de la patrie? Je ne sais pas, mais il serait temps. Qui de mieux placés que les artistes pour réinvestir la nation et y attiser les passions enfouies?

Du temps de ma formation à l’École nationale de théâtre, ma notion du rôle social de l’acteur a été profondément marquée par le comédien Guy Nadon. Pour lui, l’acteur au Québec a une fonction de résistance : jouer en français contribue à défendre tant une langue qu’une culture précaire. L’étudiant que j’étais aimait se voir comme un patriote des temps modernes, mais je me trompais. Rien de tout cela n’est suffisant. L’art en tant que défense culturelle, c’est un prolongement de la survivance, c’est l’équivalent d’un gouvernement qui veut défendre les intérêts du Québec, mais qui n’a pas le courage d’en conquérir la pleine indépendance. Hélas, se positionner en gardiens est un trompe-l’œil, tout comme « défendre » n’a jamais été gage d’avenir. S’en tenir à cette vision attentiste ne peut que mener à une folklorisation tranquille et une mentalité d’assiégés. L’art, qui est l’expression la plus intime de notre vie politique, doit passer à l’offensive et revendiquer davantage un avenir qu’un héritage. Il lui faut renouer avec son caractère révolutionnaire et entrer en rupture. Le chantier est vaste : indépendance, critique du régime, relation au territoire et aux Premiers peuples, reconstruction de notre rapport au patrimoine, projet de société, etc. Sans ambition, une culture finit par s’essouffler : elle n’est plus politique, mais folklorique, inoffensive.

Agir, donc. Comme le metteur en scène Christian Lapointe, parti aux quatre coins du Québec dans le but d’en écrire une Constitution citoyenne. Agir via l’art, mais le débat, la philosophie ou la politique de convictions sont autant de moyens pour exciter la curiosité et l’aventure. L’Histoire nous dit que notre peuple peut faire de grandes choses lorsqu’il aspire au courage. Bien plus que la joute électorale, c’est le courage monstre des citoyens et des politiciens, battus, emprisonnés, qui a propulsé le catalan à des niveaux record. C’est le courage qui mobilise, le courage qui inspire. Aux artistes de le générer; aux politicien(ne)s de l’assumer. Les combats sont trop nombreux pour s’en passer : catastrophe climatique, inégalités sociales, injustices économiques, etc. La militante Andrée Ferretti a dit : « Faire l’indépendance du Québec, c’est donner au monde un pays apte à lui changer la face, grâce à l’arrivée en son sein d’une nation habituée par son Histoire à appuyer ses combats sur des valeurs émancipatrices d’égalité, de solidarité et de liberté ». L’indépendance ne hiérarchise pas les causes, elle les rassemble.

Le sort de la Catalogne n’est pas joué, pas plus que celui du Québec. La ferveur qui s’y manifeste a de quoi rendre jaloux les plus romantiques d’entre nous, mais ne désespérons pas. Chacun son tour. Ça (re)viendra. Et notre « prochaine fois » sera d’autant plus essentielle qu’elle signifiera au monde entier que les premiers échecs ne valent jamais la victoire finale.