La souveraineté pour quoi faire?

2019/02/19 | Par Kevin Henley

Je viens de terminer la lecture d’un livre de Francis Boucher, publié au Québec en août 2018, La grande déception: Dialogue avec les exclus de l’indépendance (Somme Toute). Boucher est un conseiller en communications et en relations publiques pour un syndicat de la santé et des services sociaux, qui, tout en se disant toujours favorable à l’indépendance du Québec, a été très déçu de la « Charte des valeurs » du gouvernement du Parti québécois en 2013. Qui visait, entre autres, à exclure de la fonction publique québécoise des gens portant des symboles « ostentatoires » de leur religion, tels que la croix chrétienne, le hijab musulman et la calotte juive. Le but projeté de cette tentative de législation ratée a été de souligner la séparation réelle entre la religion et l’État québécois, favorisant ainsi la laïcité, la neutralité religieuse, l’égalité hommes/femmes et l’encadrement des demandes d’accommodements adressées aux institutions publiques québécoises, de la part de plusieurs militants religieux.

Du point de vue de Boucher, toutefois, tout ce que cet épisode de l’histoire récente du Québec a réussi à faire, c’était d’éloigner du mouvement indépendantiste plusieurs milliers de gens provenant de diverses minorités (immigrants plus ou moins récents, autochtones, anglophones, etc.), qui, selon lui, avaient été favorables à l’idée d’indépendance autrefois.

Boucher a basé la plupart de son argumentation sur une série de longs interviews avec 15 individus qu’il pensait « bien représenter » plusieurs de ces communautés. Tout en ajoutant à son corpus des commentaires provenant de trois militants bien connus du mouvement indépendantiste, soit Gilles Duceppe, Louise Harel et Jean Dorion.

Pour Boucher, cette « charte des valeurs », théoriquement neutre, ne visait en réalité que « les tissus portés par une infime minorité de femmes musulmanes », et cachait par-dessus le marché une tentative électoraliste du gouvernement péquiste voulant plaire à ce qu’il appelle « le racisme anti-immigrant » de la majorité québécoise, dite « pure laine » (des francophones d’origine canadienne-française).

Dans cet article, j’aimerais souligner plusieurs des erreurs que je trouve les plus évidentes, dans l’analyse très faible de ces événements présentée par Boucher dans son livre. Étant donné le fait que j’ai participé autrefois de façon active au mouvement indépendantiste, ainsi qu’aux controverses concernant les « accommodements raisonnables » et la laïcité, je pense pouvoir contribuer encore quelque chose de valable à ce débat. Surtout dans le contexte actuel, dans lequel le nouveau gouvernement majoritaire, de la Coalition avenir Québec, sous la direction d’un ancien indépendantiste (François Legault), se prête à introduire un projet de loi visant cette fois à interdire le port de ces mêmes symboles à certains fonctionnaires « en position d’autorité ».

Dans son livre, Boucher fait référence d’abord à l’année de sa naissance, 1976, quand le Parti québécois est devenu le premier parti indépendantiste à prendre le pouvoir. Il souligne le fait que le premier chef de ce parti, René Lévesque (mort en 1987), avait une attitude très ouverte envers les minorités de cette époque, tout comme le député péquiste, Gérald Godin (mort en 1994), devenu ministre de l’immigration en 1980, aussi bien que des communautés culturelles en 1981.

Boucher a consacré plusieurs pages de son livre aux tentatives nombreuses de Godin visant à améliorer les liens entre le gouvernement péquiste et les minorités ethniques (officiellement désignées « communautés culturelles ») du Québec pendant les deux premiers mandats consécutifs du PQ (1976-1981 et 1981-1985).

Selon Boucher, cette ouverture relative envers les minorités a continué à exister au sein du mouvement indépendantiste, en dépit de quelques incidents mineurs, entre le premier référendum sur l’indépendance, en 1980, et la fin du deuxième référendum en 1995. Le PQ a perdu le premier référendum, puisqu’à peu près 60 % de la population votait contre l’indépendance en 1980, tandis qu’en 1995, cette option a été encore rejetée, mais cette fois avec seulement quelques milliers de voix de différence entre les deux points de vue possibles, sur plusieurs millions de citoyens votants.

Boucher prétend que, même si la plupart des citoyens minoritaires n’appartenant pas à la majorité dite « pure laine » de la population n’ont pas appuyé l’indépendance (ni en 1980 ni en 1995), il y avait quand même une proportion réelle (20-25 % dans certains cas) de ces gens qui favorisaient cette cause. Il ajoute aussi le fait que, même si tout le monde parle constamment de l’option « indépendantiste » dans ces référendums, en réalité la question posée à chaque occasion ne visait pas l’indépendance « pure et dure » du Québec, mais faisait plutôt référence à une association économique avec le Canada après le premier référendum, ou à un nouveau partenariat économique et politique avec le Canada après le deuxième.

Pour Boucher, tout se gâtait le soir même du deuxième référendum, quand le premier ministre péquiste de cette époque, Jacques Parizeau (mort en 2015), très déçu d’avoir perdu de si peu, dénonçait « l’argent pis des votes ethniques » pour ce résultat négatif. Il est vrai, cependant, que 60% des francophones du Québec ont quand même appuyé cette tentative d’indépendance. Boucher n’essaie pas dans son livre d’analyser ce pourcentage d’appui parmi tous les citoyens francophones du Québec, mais on peut supposer que la plupart de ces gens faisaient partie quand même des Québécois dits « de souche », auquel on peut ajouter une proportion inconnue, mais sûrement moins importante, de citoyens francophones provenant des populations minoritaires. Il ne faut pas oublier, toutefois, que « l’argent » semble plus important dans l’explication de Parizeau que « des votes ethniques », puisque un appui plus fort de la part des « francophones de souche » aurait fait gagner l’indépendance beaucoup plus rapidement qu’un appui plus fort parmi les ethnies minoritaires.

Cependant, selon Boucher, à partir du discours malheureux de Parizeau, et en dépit de quelques tentatives de réconciliation avec les minorités visées, de la part de plusieurs ténors du PQ, dont Parizeau lui-même, les relations entre ce parti et toutes les ethnies minoritaires (francophones ou pas) sont devenues de plus en plus difficiles. Pour devenir carrément impossibles (toujours selon Boucher) à partir de la promulgation de la Charte des valeurs dites « québécoises », du nouveau premier ministre péquiste, Pauline Marois, en 2013.

Avant de me concentrer sur plusieurs grandes erreurs d’interprétation commises par Boucher dans son livre, j’aimerais revenir brièvement à ma propre participation dans le mouvement indépendantiste. Je suis devenu membre du PQ au début de la campagne référendaire de 1980, et un des scrutateurs du PQ pendant la soirée du référendum. Même si le PQ a perdu ce vote, et de loin, ce parti a quand même été réélu au pouvoir (provincial) en 1981, quand je suis devenu un des sept candidats anglophones du PQ.

Dans mon association locale, d’une circonscription électorale très majoritairement anglophone, nous avons décidé pendant la campagne d’envoyer plusieurs dizaines de nos membres les plus dynamiques au comté de Gérald Godin, pour l’aider à garder son siège. J’ai aussi copié le comportement de Godin en essayant activement de convaincre plusieurs gens provenant des « communauté culturelles » à appuyer le point de vue du parti.

Six de ces candidats anglophones (dont moi-même) ont mordu la poussière à la fin de cette campagne, soit tous ceux provenant de circonscriptions majoritairement anglophones, puisque selon les experts du parti eux-mêmes il n’y avait que 7% de la population anglophone du Québec qui votait pour le PQ à cette époque.

Je suis quand même resté actif au parti pendant deux ans par la suite, dans mon association locale aussi bien qu’en tant que délégué de cette même association à l’instance régionale du parti. J’ai même fondé un comité régional visant à augmenter les connaissances économiques des membres, en invitant plusieurs ministres à vocation économique à venir nous prononcer des conférences pertinentes.

À cette époque, comme encore de nos jours, j’appuyais l’indépendance du Québec parce que je croyais que chaque nation « sociologique » méritait de contrôler son propre état souverain. Mais aussi parce que le mouvement indépendantiste a été associé à un « projet de société » que je pensais très bien cerné, comprenant un appui très fort à la social-démocratie et « un préjugé favorable aux ouvriers ». Un point de vue que Boucher semble avoir aussi appuyé dans son livre.

J’ai donc dénoncé à l’époque la décision désastreuse de Jacques Parizeau (alors ministre des Finances dans le gouvernement Lévesque), en 1982, de réécrire unilatéralement les conventions collectives avec les syndicats du secteur public (la loi 105), un des « écueils » du gouvernement péquiste mentionnés dans le livre de Boucher. Tout en refusant de couper autant dans des nombreux programmes du gouvernement favorisant les grands investisseurs.

Entre autres dispositions, Parizeau a coupé les salaires des employés syndiqués de l’État de 20%, pour faire face à la baisse drastique de revenus gouvernementaux, une conséquence de la récession mondiale causée par le monétarisme. Soit l’augmentation énorme des taux d’intérêt par plusieurs banques centrales, dont la Banque du Canada, officiellement pour lutter contre la montée de l’inflation. Même si le gouvernement Lévesque a promis dans sa législation de ne pas couper les salaires des employés de l’État gagnant moins de 20 000 $ par année, il a quand même coupé les salaires des chargés de cours dans toutes les succursales de l’Université du Québec. En dépit du fait que la plupart de ces gens (moi compris) gagnaient beaucoup moins d’argent que cela.

Dans son livre, toutefois, Boucher ne mentionne pas le fait que Parizeau a aussi décidé dans cette même loi de désindexer les prestations de retraite, une disposition restée en vigueur de 1982 à 1999, qui ampute encore de nos jours les revenus de plusieurs milliers de retraités dans la même situation que moi. Boucher a aussi oublié de mentionner la loi encore plus odieuse de 1983, provenant du même gouvernement, interdisant aux syndiqués le droit même de critiquer publiquement ces coupures de salaire! C’est à la suite de cette loi-là que j’ai décidé de démissionner complètement du Parti québécois, en plein congrès régional.

Même si l’appui du gouvernement péquiste au nationalisme économique et à la social-démocratie n’a jamais été incontesté à l’intérieur du parti, je pense que c’est pendant ce deuxième mandat que le PQ a commencé à abandonner réellement ces deux piliers du « projet de société » déjà mentionné. Pour s’aligner davantage sur le néolibéralisme, devenu la nouvelle idéologie dominante du monde entier, à partir de 1979 (l’élection de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne). Un point de vue néolibéral qui, au Québec, comprenait l’appui au libre-échange fédéral de 1988-1989 entre le Canada et les États-Unis, de la part des ténors aussi importants du PQ que Bernard Landry et Jacques Parizeau (qui, lui, a reconnu son erreur avant sa mort).

À plusieurs reprises dans son livre, Boucher a dénoncé le néolibéralisme grandissant des gouvernements péquistes qui, selon lui, a aussi fortement contribué à éloigner les gens du mouvement indépendantiste. Sans mentionner encore, toutefois, que ce même néolibéralisme a été pratiqué de manière nettement plus fanatique par tous les gouvernements du Parti libéral du Québec, au pouvoir depuis cette époque plus souvent que le PQ. Pour ne rien dire de tous les gouvernements fédéraux du Canada, libéraux et conservateurs, pendant toutes ces mêmes années.

Pour ma part, j’ai continué à participer activement au mouvement indépendantiste pendant quelques années encore, à l’extérieur du PQ, ainsi qu’à appuyer publiquement l’interventionnisme économique de l’État et l’état-providence. J’ai écrit des articles publiés dans plusieurs revues et journaux, assez régulièrement, sur ces thèmes aussi bien que sur la laïcité et les accommodements dits « raisonnables » envers les militants religieux (dont un article sur les accommodements publié dans La Presse en 2007). J’ai aussi continué à écrire sur tous ces sujets connexes dans trois petits livres que j’ai publiés moi-même pendant les années 2001-2006, ainsi que dans mon blogue et quelquefois dans les pages de L’aut’journal.

Malheureusement, le livre de Boucher est truffé de toutes sortes d’amalgames impossibles de soutenir dans une argumentation sérieuse. On trouve quelques-uns de ces bourdes dans des points de vue souvent reproduits de ses 15 sources interviewées, identifiées seulement par leurs prénoms ou leurs noms de code, ainsi que d’autres bourdes provenant de sa propre analyse. Tout son livre est écrit dans un langage très émotionnel et très personnalisé, adoptant une attitude angélique et peu rigoureuse envers les préjugés provenant des sources choisies. Très souvent, il dénonce les points de vue de ses adversaires idéologiques avec le même genre d’arguments tirés par les cheveux dont il accuse (souvent injustement) plusieurs de ces mêmes adversaires.

Parmi les interprétations les plus erronées de son approche, c’est son accusation selon laquelle le PQ est censé avoir complètement abandonné l’esprit postcolonial des pays du tiers-monde (tels que Cuba et l’Algérie), qui influençaient beaucoup le mouvement indépendantiste au Québec pendant les années 1960 et 1970. Selon lui, le PQ a adopté récemment un point de vue idéologique du « repli sur l’identité canadienne-française », soit un retour à l’idéologie ultra-conservatrice de l’ancien premier ministre Maurice Duplessis (mort en 1959). Même si plusieurs indépendantistes de nos jours ne semblent pas du tout aussi révolutionnaires que certains autres indépendantistes avaient été autrefois, je ne suis pas d’accord avec son accusation nettement exagérée par rapport au PQ. Je ne pense pas non plus que les souverainistes québécois de nos jours devraient toujours être « encore plus catholiques que le pape » par rapport aux gouvernements actuels des pays du tiers-monde.

Malheureusement, depuis l’indépendance de ces très nombreux pays, en Afrique et en Asie aussi bien qu’en Amérique latine, beaucoup de gouvernements issus des mouvements anti-impérialistes d’autrefois ont très mal géré des divisions énormes entre des majorités et des minorités de toutes sortes, provenant des divisions culturelles et religieuses très importantes dans chaque pays, aussi bien que des divisions liées au genre et aux classes sociales possédant des intérêts divergents. Soit les mêmes sortes de divisions qui existent dans tous les autres pays du monde, y compris bien sûr dans les pays occidentaux. Les indépendantistes du Québec sont loin d’avoir abandonné l’esprit postcolonial d’autrefois davantage que ceux provenant de plusieurs dizaines d’autres pays, du tiers-monde ou de n’importe quelle autre région.

Depuis le début des années 1980, le néocolonialisme occidental (et japonais), au tiers-monde,  et le néolibéralisme, implantés un peu partout dans le monde entier, se renforcent mutuellement, l’anti-impérialisme et la social-démocratie d’autrefois ayant été souvent remplacés par la collaboration avec les pays dominants et les classes sociales dominantes. Même la Chine s’est embarquée là-dedans depuis la prise de pouvoir par Deng Xiao-ping en 1979. De nos jours, il faut donc essayer, ici au Québec comme partout ailleurs, de renverser cette tendance mondiale, et d’adopter de nouveau, encore plus fortement qu’autrefois, les idéaux de la souveraineté et de la social-démocratie.

Il doit être aussi évident que le « projet de société » prôné par les indépendantistes progressistes (un mot dont Francis Boucher se méfie) ne peut pas comprendre des phénomènes aussi réactionnaires que le racisme, mais il ne peut pas comprendre la misogynie non plus. À mon avis, on devrait être capable, par exemple, de dénoncer l’attitude anti-féministe des intégristes musulmans, ainsi que le terrorisme islamiste, sans tomber dans « l’islamophobie » primitive de ceux qui pensent que tous les musulmans (ou la majorité des musulmans) sont nécessairement des intégristes ou des terroristes.

Mais c’est complètement farfelu de comparer, comme Boucher le fait, la répression fédéraliste contre le FLQ en 1970, dirigée en réalité contre l’ensemble du mouvement indépendantiste (la Loi des mesures de guerre de Pierre-Elliott Trudeau), avec la répression « autoritaire » de la Charte de 2013 contre l’intégrisme musulman! En plus, Boucher ne mentionne qu’une seule fois dans son livre l’existence au Québec de musulmans (ou des gens d’origine musulmane), anti-intégristes comme Djemila Benhabib, tout en ignorant complètement, et délibérément, tous leurs arguments en faveur de la laïcité à la française. Est-ce que ces gens-là sont trop progressistes pour être aimés par Francis Boucher?

Il devrait être évident en plus qu’on ne peut pas soutenir cette autre idée également farfelue d’une des sources citées par Boucher, selon laquelle le hijab porté par certaines femmes musulmanes n’est qu’une « autre forme » de féminisme que le féminisme occidental. Quelqu’un capable de soutenir une argumentation aussi fallacieuse que cela ne peut pas prétendre en toute honnêteté s’opposer aux mensonges (« fake news »), répétés à l’infini, des politiciens populistes d’extrême-droite comme Donald Trump. On devrait plutôt être d’accord avec la nouvelle ministre de la condition féminine au Québec, Isabelle Charest, selon laquelle c’est évident que le port de vêtements de ce genre nuit beaucoup à la cause féministe, quelle que soit l’origine culturelle de la femme ainsi cachée.

C’est aussi important de ne pas tomber dans le piège évident qui consiste à toujours mettre l’accent dans ce débat sur des vêtements portés par des femmes musulmanes, plutôt que d’inclure tous les autres signes religieux, y compris des vêtements à consonance religieuse portés par les hommes. Ainsi que par des signes religieux et des vêtements à consonance religieuse de n’importe quel prosélyte de n’importe quelle autre religion que l’islam. Il ne faut pas oublier, non plus, de se débarrasser de cet autre symbole religieux très en évidence au Québec, le crucifix chrétien qui orne un des murs de l’Assemblée nationale. Que même le pape ne veut pas voir associé à l’identité nationale dans les pays d’origine chrétienne.

C’est encore plus évident de ne pas tomber dans l’autre piège, nettement plus important, de toujours mettre l’accent sur les signes religieux, plutôt que de souligner d’autres comportements, très souvent liés aussi au fondamentalisme religieux, qui nuisent beaucoup plus aux droits humains que tous ces symboles. Comme par exemple les mariages forcés, l’excision, la peine de mort pour apostasie, les meurtres liés à l’« honneur » de la famille, et des dizaines d’autres pratiques de ce genre. Qui sont, soyons honnêtes, encore pratiquées quand même dans plusieurs cultures et religions d’origine non occidentale, et non seulement dans des cultures musulmanes. Pas seulement dans les pays d’origine de ces religions mais aussi parmi certains groupes d’immigrants minoritaires dans plusieurs pays occidentaux.

Sans oublier non plus que les pays occidentaux sont aussi souvent coupables de pratiques également déplorables, telles que le bombardement de populations civiles dans des pays du tiers-monde qu’ils essaient constamment de « pacifier ». Le terrorisme d’état étant encore plus meurtrier que le terrorisme officiellement privé (bien que souvent appuyé, de façon cachée, par des gouvernements de certains États, tel que l’Arabie saoudite et l’Iran). Le néocolonialisme occidental, aussi pratiqué de nos jours par le Japon et la Chine, nuit aussi énormément aux droits humains, indirectement par le soutien étranger aux régimes corrompus et anti-démocratiques du tiers-monde, et directement par des investissements dans des industries très meurtrières (beaucoup d’accidents de travail, niveaux excessifs de pollution, salaires de famine, etc.).

En plus, il ne faut jamais oublier d’insister sur le fait que les pratiques culturelles déplorables, de certains de ces pays du tiers-monde, ne sont pas toujours soutenues par la majorité des gens qui habitent ces pays, ni de la majorité des immigrants minoritaires provenant de ces pays. Tout comme la majorité des Québécois d’origine canadienne-française ne sont pas des racistes chevronnés. Finalement, partout dans le monde, il faut éviter de surestimer, aussi bien que de minimiser, le pourcentage de gens qui favorisent toutes sortes de comportements socialement réactionnaires. Des comportements qui sont encouragés et subventionnés par un très petit groupe de gens ultra riches et ultra puissants, partout dans le monde, dans le but de préserver leur domination sur des milliards de gens beaucoup moins riches et beaucoup moins puissants qu’eux.

Évitons également de surestimer, ou de minimiser, le caractère raciste de toutes sortes de communications provenant de beaucoup d’individus faisant partie des cultures majoritaires, en Occident aussi bien qu’ailleurs. Dans les débats entourant le port des symboles religieux, au Québec par exemple, le racisme peut faire partie des discours de certains individus issus du groupe majoritaire, voulant interdire le port de ces symboles. Toutefois, le racisme peut également faire partie du discours de certains individus provenant de populations minoritaires, voulant porter ces mêmes symboles uniquement pour narguer les populations majoritaires.

Il y a quand même des millions de femmes musulmanes dans le monde qui ne portent pas le hijab ou n’importe quel autre vêtement, ou symbole religieux, du même genre. Ce qui démontre que le débat n’est pas vraiment lié à la liberté de pratiquer une religion quelconque versus la libération de la femme, mais beaucoup plus de libérer le monde entier des mouvements intégristes et ultra-conservateurs. Même le fait que beaucoup d’anglophones du Québec, et du reste du Canada, condamnent chaque tentative québécoise visant la séparation de la religion et de l’état, peut aussi être attribué au racisme, au moins partiellement.

Dans chaque région du monde entier, le fondamentalisme religieux, avec le nationalisme ethnique (totalement opposé au nationalisme civique), sont les deux piliers idéologiques des mouvements populistes d’extrême-droite. Un fondamentalisme religieux qui est aussi souvent d’origine chrétienne, hindoue, sikh, bouddhiste, juive ou confucéenne, que d’origine musulmane. Toutes les religions du monde possèdent leurs propres factions fondamentalistes, une observation qui s’applique également à toutes les confessions de toutes ces religions, telles que le Catholicisme, le Protestantisme et l’Orthodoxie de la religion chrétienne, ou le Sunnisme et le Chiisme de la religion musulmane.

En fait, ce n’est pas le multiculturalisme en tant que tel qu’il faut rejeter, soit l’idée de faire vivre harmonieusement ensemble sur un même territoire des communautés culturelles provenant de beaucoup d’origines différentes. C’est plutôt la version « essentialiste » du multiculturalisme qui doit être rejetée, selon laquelle n’importe quelle culture ou religion, telle que la religion musulmane, doit toujours restée fidèle pour l’éternité à ses concepts d’origine et n’a pas le droit d’évoluer le moindrement par la suite.

Une idée totalement fallacieuse qui provient surtout des théoriciens occidentaux du postmodernisme, selon lesquels il faut rejeter le concept même de « droits humains », tels que conçu par les philosophes du siècle des Lumières. Puisque la diffusion de ce concept n’a pas réussi à éliminer le capitalisme, le colonialisme, le racisme, l’esclavagisme et toutes les autres formes d’exploitation humaine, par la suite. Comme si on n’a pas le droit de croire à un meilleur avenir pour le monde entier, ni même pour notre propre pays, parce que la philosophie libérale du XVIIIe siècle n’a pas été capable d’effacer tout ce qui est mauvais chez l’être humain, de toutes les cultures différentes, par un coup de baguette magique!

La souveraineté pour quoi faire, alors? C’est entre autres pour s’éloigner de l’idéologie multiculturelle à la Pierre-Elliott Trudeau, extrêmement bien enracinée, malheureusement, dans le fédéralisme canadien, selon laquelle n’importe quelle lubie individualiste, provenant des mouvements intégristes d’origine religieuse, a plus d’importance dans la société que la liberté républicaine de reléguer la religion, une fois pour toutes, à la sphère privée de la vie. C’est aussi de développer davantage ce qui reste de la pauvre social-démocratie québécoise, ayant subie depuis trop longtemps les élans néolibéraux, et parfois néo-fascistes, provenant des grands empires situés à l’extérieur du Québec.

Ainsi que de s’éloigner davantage des économies trop dépendantes des industries extractives, surtout celles liées aux produits particulièrement polluants. Et de s’éloigner également du militarisme belliqueux des mêmes grands empires qui nous entourent. Donc, de cette façon, de faire une contribution québécoise, aussi modeste soit-elle, au progrès de toutes les valeurs humaines, plutôt que de subir la régression constante de ces mêmes valeurs.