Équité salariale : un projet de loi pour corriger 30 ans d’iniquité

2019/02/27 | Par Nicole de Sève

Des milliers de travailleuses privées de leur plein droit à l’équité salariale devraient pouvoir recevoir leur dû et ce, rétroactivement, si le projet de loi 10 présenté par le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, est adopté par l’Assemblée nationale.


Petit retour sur une lutte historique témoin de la ténacité des femmes

En 1989, le mouvement syndical et le mouvement des femmes du Québec unissent leurs forces pour créer la Coalition en faveur d’une loi sur l’équité salariale. Près de 10 années plus tard, en1996, l’Assemblée nationale adopte à l’unanimité la Loi sur l’Équité salariale du Québec (LÉS) pilotée par Louise Harel. Cette Loi concrétise l’article 19 de la Charte des droits et libertés du Québec qui stipule que « tout employeur doit, sans discrimination, accorder un traitement ou un salaire égal aux membres de son personnel qui accomplissent un travail équivalent au même endroit ». Enfin, l’équité salariale est reconnue comme un droit fondamental.

Pour le mouvement syndical, la Loi constitue un compromis devant les objections du milieu des affaires et déclare que la vigilance s’impose. Pour faire respecter la Loi, les organisations syndicales mènent des batailles juridiques. En 2004, la Cour supérieure invalide le chapitre IX de la Loi, qui introduit un régime d'exception visant à empêcher l’application du principe de rétroactivité prévue à loi initiale. Il permet aux employeurs, ayant déjà fait un exercice d’équité salariale ou de relativité salariale avant l’adoption de la loi en 1996, de se soustraire au régime général de la loi concernant le maintien de l’équité salariale.

Dans sa décision, la juge Carole Julien écrit « le processus décisionnel élaboré par la Loi n'a pas permis aux salariés de participer pleinement au processus de vérification et d'approbation et n'a pas permis de disposer du mérite de ces divergences en regard de l'objet de la Loi ». Elle conclut aussi que la Commission de l'équité salariale a eu tort de refuser d'entendre les représentations syndicales lorsque des employeurs demandaient à être exemptés de l'obligation de se conformer à la LÉS(1).

L’équité salariale ne s’applique pas partout. Ainsi, en 2009, force est de constater que près de 40 % des entreprises ne se sont pas conformées à la loi et il faut attendre 2018, soit près de 30 années après l’adoption de la Loi, pour que la Cour Suprême du Canada déclare inconstitutionnels les articles de la LÉS portant sur la rétroactivité et l’affichage de maintien de la Loi. Si cette décision est historique, elle laisse toutefois des enjeux en suspens notamment la reconnaissance de la participation des salariées dans le cadre d’un exercice de maintien de la Loi, cette reconnaissance étant laissé à l’entière discrétion des employeurs particulièrement dans les milieux non syndiqués.

Dans sa décision, la Cour Suprême ordonne au gouvernement du Québec de corriger sa loi avant le 10 mai 2019. C’est pour se conformer à cette décision que le gouvernement du Québec a déposé le projet de loi 10, Loi sur l’Équité salariale afin principalement d’améliorer l’évaluation du maintien de l’équité salariale.


Le projet de loi no 10

En résumé, le projet de loi impose la réalisation d’un exercice initial d’équité salarial, par les employeurs engageant 10 personnes salariées ou plus, l’évaluation de son maintien tous les cinq ans et l’introduction de mécanismes d’affichage à l’intention des personnes salariées. Il oblige les employeurs à corriger les écarts pour la période passée, « soit la période entre la date de l’événement ayant mené à un écart salarial et la date de l’affichage » et « prévoit des dispositions pour favoriser la participation des personnes salariées à l’évaluation du maintien de l’équité salariale ». On évalue à environ 35 294 entreprises tant privées que des secteurs public et parapublic, touchées par ce projet de loi.


Réactions syndicales

Sous réserve d’un examen plus approfondi de ce projet de loi, plusieurs organisations syndicales ont réagi par voie de communiqué de presse. Pour l’Alliance du personnel professionnel et technique du réseau de la santé et des services sociaux (APTS), ce projet de loi constitue « un pas dans la bonne direction» et « semble aller dans le sens des représentations faites par le passé (2)». Pour sa part, la Confédération des syndicats nationaux (CSN) « salue le fait que dorénavant les ajustements salariaux seront rétroactifs au moment où un événement aurait engendré une injustice dans la structure salariale, et non pas seulement au moment où l’évaluation du maintien est faite.(3)»

Toutefois la déception est palpable. Le projet de loi prévoit le versement d’un correctif salarial sous forme d’un montant forfaitaire plutôt que comme un ajustement salarial. De plus, comme le signale la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) « Pourquoi permettre à l’employeur d’étaler la correction de l’équité sur plusieurs versements ? Pour nous, ces éléments vont à l’encontre de la décision de la Cour suprême et remettent encore le fardeau sur le dos des femmes(4) »

Autre bémol quant à l’appréciation de ce projet de loi : ce dernier maintient que l’application de la Loi ne relève que de l’employeur alors que le mouvement syndical souhaite depuis le début que l’ensemble des salariés puisse participer à tout le processus de maintien en emploi.


L’angle mort de l’équité salariale (5)

Malgré tous les progrès réalisés depuis l’adoption par l’Assemblée nationale de la Loi sur l’équité salariale, force est de constater la persistance et l’importance des écarts de rémunération au sein du secteur public. C’est la conclusion d’une recherche menée par François Desrochers et Eve-Lyne Couturier publiée par l’IRIS. Leur constat : « Le secteur de ‘‘l’administration québécoise’’ est celui qui offre la rémunération la moins intéressante de tout le secteur public (lequel inclut également les universités, les municipalités, l’administration fédérale et les entreprises publiques) ». Aussi, les auteurs proposent « une véritable réforme de la Loi sur l’équité salariale de manière à permettre la mise en place d’exercices d’Équité salariale entre les secteurs. » Cette proposition ne doit pas prendre un autre 30 ans pour voir le jour. La patience des femmes a assez duré!

 

  1. Barreau du Québec (2004). Invalidité du Chapitre IX de la Loi sur l’Équité salariale, à la recherche de l’égalité perdue. https://www.barreau.qc.ca/pdf/journal/vol36/no3/default.html.
  2. APTS (2019). Projet de loi no 10 modifiant la Loi sur l’équité salariale : un pas dans la bonne direction. file:///C:/Users/Utilisateur/Downloads/2019-02-13_Comm_Projet_de_loi_10.pdf
  3. CSN (2019). Équité salariale : des ajustements incomplets, février. https://www.csn.qc.ca/sujets/equite-salariale
  4. CSQ (2019), La CSQ reste sur sa faim, projet de loi sur l’équité salariale. http://www.lacsq.org/salle-de-presse/communique-de-presse/news/la-csq-reste-sur-sa-faim-projet-de-loi-sur-lequite-salariale
  5. CSQ (2019), La CSQ reste sur sa faim, projet de loi sur l’équité salariale. http://www.lacsq.org/salle-de-presse/communique-de-presse/news/la-csq-re...
     

Image : CSQ