Étudiants internationaux : Québec Solidaire brise le tabou

2019/03/04 | Par Frédéric Lacroix

« La surprise est un luxe », a déjà affirmé un grand sage. Aussi, doit-on savourer le luxe lorsqu’il se présente, par exemple, lorsque le fil de presse laisse tomber une nouvelle étonnante. Comme le communiqué de Québec Solidaire, paru le 28 février, demandant un « moratoire sur la déréglementation des frais de scolarité pour les étudiants internationaux ».

Une seconde, cher lecteur! Je sais ce que vous pensez! « Rien de nouveau sous le soleil. Hausse des frais de insérez-n’importe-quoi-ici = dénonciation vertueuse des socialistes toutte gratuit de QS. Rien d’intéressant. » Erreur! Car cela n’était pas un communiqué ordinaire. L’angle d’attaque était même extraordinaire. Extraordinaire dans le contexte du Québec de 2019 où règne un étouffant tabou médiatique sur la question des privilèges consentis aux institutions anglophones (notons d’ailleurs qu’aucun média ne semble avoir repris le communiqué).

Car le communiqué demandait un moratoire le temps de réaliser une étude d’impact de la déréglementation sur les universités « francophones » (c’est moi qui souligne). Oui, le fait que le Québec finance deux réseaux universitaires distincts, séparés selon la langue, était pudiquement évoqué. J’en fus presque ému. Mais ce n’était que le début. Le fait que la déréglementation est une politique taillée sur mesure pour McGill fut aussi affirmé : « La déréglementation, c'est un cadeau en or pour les universités anglophones, en particulier McGill, mais une très mauvaise nouvelle pour nos universités francophones et en région ». QS mentionne aussi que : « En permettant aux universités de faire exploser les droits de scolarité, le gouvernement va provoquer une vague sans précédent de compétition féroce ».

J’ai parlé précisément de l’impact de la déréglementation des frais de scolarité dans mon texte « Darwin Awards à l’UQAM et l’UdeM » paru un peu avant l’émission de ce communiqué par QS. Je mentionnais que : « Le dégel complet de frais de scolarité pour les étudiants internationaux, une politique taillée sur mesure pour McGill, qui lui permettra d’engranger des sommes importantes sans avoir à les partager avec le reste du réseau universitaire québécois ».

Voyons comment nous en sommes arrivés là. Le PLQ a d’abord mis fin au partage avec les autres universités du Québec des sommes excédentaires payées par les étudiants internationaux à McGill (qui accueille avec Concordia environ les trois quarts des étudiants internationaux au Québec, étudiants qui préfèrent étudier en anglais).

Le PLQ a ensuite déréglementé les frais de scolarité des étudiants internationaux en débutant par les programmes les plus payants (MBA). Notons cependant que le PLQ n’a pas mis fin aux généreuses subventions du Québec aux étudiants canadiens non résidents qui viennent acquérir une éducation universitaire à nos frais en anglais à Montréal. Non! Nous continuons à financer les étudiants ontariens qui viennent à McGill et Concordia à la hauteur de dizaines de millions par année, alors même que l’Ontario ne compte aucune université de langue française. Un exaltant dîner de cons! J’en ai parlé ici.

En 2018, le PLQ y est allé pour la déréglementation totale. En parallèle, le PLQ a également donné en douce l’ancien Royal Victoria Hospital à McGill afin de lui permettre de réaliser bientôt ce qui sera le plus gros agrandissement de son histoire (le Royal Vic, c’est l’équivalent en superficie de la Place Ville-Marie). Ce qui permettra à McGill d’augmenter dramatiquement de taille et de dominer totalement le paysage universitaire montréalais.

Face à ces évènements, le silence des recteurs de l’UQAM et de l’UdeM est absolument incompréhensible. Ils acceptent passivement de voir leurs institutions marginalisées au lieu de les défendre. Pourquoi sont-ils encore en poste?

L’autre conséquence de cette déréglementation, brièvement évoquée par QS, est la « compétition entre les universités ». Oui. Mais comme les étudiants internationaux « payants » veulent, en très grande majorité, étudier en anglais, cela force les universités « francophones » à s’angliciser dans l’espoir (vain, car elles sont pauvres) de faire concurrence à McGill. Notons que l’anglicisation des HEC va bon train. L’université Laval a aussi dans ses cartons des projets pour angliciser ses programmes. Comme le hasard fait bien les choses, l’anglicisation en cours des cégeps va permettre de remplir ces programmes anglophones dans les universités « francophones », si ces dernières n’arrivent pas à attirer des étudiants internationaux en nombre suffisant.

Je l’ai répété à de nombreuses occasions : ce qui est en train de se passer sous nos yeux, c’est la satellisation des institutions de langue française à Montréal. À Montréal? Au Québec!

Et le plan des institutions de « langue française » pour tenter de se tirer d’affaire est de s’angliciser. Se soumettre au lieu de combattre.

Résumons donc : ce qui est en train de se passer, c’est l’effondrement progressif de tout le réseau postsecondaire de langue française au Québec. Pourquoi? Parce que nos élites sont trop pleutres pour dénoncer le favoritisme éhonté du gouvernement du Québec et du Canada envers McGill. Merci à QS d’enfreindre ce tabou.

 

Photo : Paul Lowry CC