Une grève (et plus) pour le climat

2019/03/05 | Par Pierre Dubuc

Vendredi 15 février, des centaines d’élèves du secondaire manifestent pour le climat dans les rues de Montréal et appellent à participer à une grève générale scolaire internationale pour le 15 mars. Le mouvement mondial a été initié par la jeune Suédoise Greta Thunberg, qui manifeste, chaque vendredi depuis plusieurs mois, devant le parlement de son pays.

Que la jeunesse descende ainsi dans la rue et fasse grève pour alerter sur la gravité de la situation doit être salué, car l’évolution actuelle mène à un désastre. La catastrophe annoncée est telle que même le magazine britannique The Economist, la bible des milieux d’affaires, sonne lui-même l’alarme dans son édition du 9 février, sous le titre « Crude awakening. The thruth about Big Oil and climate change ».

Selon The Economist, la demande d’énergie est en nette progression et l’industrie pétrolière planifie des investissements de plusieurs centaines de milliards de dollars au cours des prochaines années. Exxon Mobil, la plus importante pétrolière au monde, compte extraire 25 % de plus de pétrole et de gaz naturel en 2025 qu’en 2017.

Le problème, souligne le magazine, est que la production de pétrole et de gaz naturel devrait chuter de 20 % d’ici 2030 et de 55 % d’ici 2050 pour que la température terrestre n’augmente pas plus de 1,5 degrés de son niveau préindustriel, comme le recommande le GIEC.

Les cinq « majors » – Exxon Mobil, Chevron, Royal Dutch Shell, BP et Total – proclament officiellement leur soutien à l’Accord de Paris sur le climat (COP21), mais Rex Tillerson, l’ex-secrétaire d’État de Donald Trump, qui a présidé aux destinées de Exxon Mobil de 2006 à 2016, a déclaré qu’il n’y avait aucun « fondement scientifique » justifiant de limiter le réchauffement climatique à 2 degrés, tout en prévenant que le monde était dépendant des énergies fossiles pour « sa propre survie ».

L’indifférence des pétrolières n’est pas étrangère au fait que le retour sur l’investissement est plus élevé pour le pétrole que pour les énergies renouvelables. En 2018, les cinq « majors » ont enregistré des profits de 80 milliards $US. Quatre d’entre elles font partie de la liste des 20 entreprises qui versent les plus généreux dividendes à leurs actionnaires aux États-Unis et en Europe.


Le Canada pétrolier

Le Canada participe activement à l’augmentation de l’émission des gaz à effet de serre. La production pétrolière est en pleine croissance et devrait atteindre près de six millions de barils par jour en 2030, dont les deux tiers proviendront des sables bitumineux.

Le pétrole et le gaz naturel représentent une part de plus en plus importante de la croissance économique du Canada, mais la production est aujourd’hui freinée par la difficulté à rejoindre les marchés potentiels, faute de pipelines.

Les surplus s’accumulent en Alberta et font chuter les prix. L'écart entre le prix du pétrole albertain et celui du Texas (West Texas Intermediate) a grimpé jusqu’à 50 $US au cours des derniers mois, alors qu’il oscillait habituellement entre 17 $US et 18 $US. Avec un écart de 40 $US tout au long de 2019, l’Alberta perdrait 5 milliards $ de revenus, soit environ 10 % du budget de la province.

Pour freiner l’hémorragie, la première ministre Rachel Notley de l’Alberta a imposé des quotas de production, à la demande de certaines pétrolières. Mais Imperial, Suncor et Husky, qui profitaient des bas prix parce qu’elles sont propriétaires de raffineries, ont exprimé leur vif déplaisir.

Les pétrolières et les banques qui les financent ragent parce que le projet Keystone XL, qui doit acheminer du pétrole albertain vers le golfe du Mexique et qui venait d’être autorisé par Donald Trump, est de nouveau bloqué par un tribunal aux États-Unis. Quant aux travaux pour l’élargissement du pipeline Kinder Morgan de Trans Mountain, qui va d’Edmonton vers Burnaby en Colombie-Britannique et dont le gouvernement Trudeau s’est porté acquéreur à un coût faramineux, ils sont au point mort dans l’attente d’une nouvelle évaluation environnementale de l’Office national de l’énergie et de nouvelles consultations auprès des peuples autochtones.

Dans ce contexte et avec l’augmentation continue du prix du pétrole, les pétrolières et les banques exercent des pressions pour ressusciter le projet de pipeline Énergie Est de la pétrolière TransCanada – abandonné en décembre 2017 – qui acheminerait le pétrole des sables bitumineux de l’Alberta jusqu’à la raffinerie et au port en eaux profondes de St-John au Nouveau-Brunswick.

Au cours des derniers jours, le chef du Parti conservateur Andrew Scheer, le premier ministre de la Saskatchewan Scott Moe et celui du Nouveau-Brunswick, Blaine Higgs, se sont fait le relais au plan politique des exigences des promoteurs du projet.


La tromperie du nationalisme canadien

Dans son livre, Pipe Dreams. The Fight for Canada’s Energy Future (Viking, 2018), le journaliste Jacques Poitras raconte l’histoire du projet d’Énergie Est en suivant, province après province, le trajet qu’il devait emprunter.

Les chapitres les plus importants sont ceux consacrés au Nouveau-Brunswick où le journaliste démolit la justification idéologique du projet, soit le nationalisme canadien. Selon les promoteurs, le pipeline est requis pour approvisionner l’Est du pays en pétrole afin de réduire sa dépendance au pétrole étranger et, plus particulièrement, à celui de l’Arabie saoudite, pays aujourd’hui honni.

Dans les chapitres précédents, Jacques Poitras règle d’abord le cas de l’approvisionnement des raffineries de Suncor à Montréal et Valero à Lévis. Le renversement récent du flux pétrolier du pipeline de la Ligne 9B d’Enbridge suffit à les alimenter.

Dans le cas de St-John, les promoteurs laissent entendre que la raffinerie de la famille Irving traiterait la plus grande partie du pétrole albertain d’Énergie Est. Il n’en est rien. Arthur Irving s’est engagé à en raffiner qu’une infime quantité, soit 50 000 barils par jour, alors que le pipeline en transporterait plus de 1,1 million de barils quotidiennement.

Les installations d’Irving raffinent 300 000 barils par jour en provenance de la Norvège, du Royaume-Uni, du Nigéria, du Venezuela, des États-Unis mais, surtout, de l’Arabie saoudite (40 % des importations en 2017). Le porte-parole de la compagnie, cité par Jacques Poitras, affirme que le prix courant est le critère d’achat et non le nationalisme canadien : « Nous allons inclure le pétrole de l’Ouest canadien dans notre portfolio si l’économie le dicte, mais probablement pas au détriment des barils de pétrole de l’Arabie saoudite ».

L’objectif véritable de TransCanada est de profiter du port en eaux profondes de St-John pour exporter sur des superpétroliers le pétrole vers l’Europe et l’Asie. Aussi étonnant que cela puisse paraître, à première vue, le chemin le plus court pour rejoindre la côte ouest de l’Inde à partir de l’Alberta passe par l’est plutôt que par l’ouest.


La solution : l’action politique

The Economist nous dit de ne pas fonder d’espoir sur les tribunaux pour mettre au pas les pétrolières et réduire les émissions de gaz à effet de serre. À ceux qui invoquent l’exemple des géants du tabac condamnés à des centaines de millions de dollars au cours des années 1990, le magazine rappelle que ces entreprises brassent toujours de très bonnes affaires.

La solution est politique et nécessite donc une action politique conséquente. Il est certes approprié d’investir les réseaux sociaux, de signer des pétitions et de manifester. Mais cela ne saurait suffire.

Au Québec, il est certes louable de faire pression sur le gouvernement Legault, comme le font Dominic Champagne et les instigateurs du Pacte pour la transition. Mais les principales décisions concernant l’environnement se prennent à Ottawa par le gouvernement Trudeau. Cet automne se tiendront les élections fédérales. Ce sera l’occasion de donner suite au plan politique à la grève pour le climat et aux autres actions environnementales en infligeant une sévère défaite aux Libéraux et aux Conservateurs.