Avec Lisée, contre les liquidateurs

2019/03/15 | Par Pierre Dubuc

Au risque de surprendre, étant donné que je n’ai jamais ménagé mes critiques à son endroit, je me joins à Jean-François Lisée contre ceux qui « veulent la peau du Parti Québécois » et je me porte à la défense de plusieurs des thèses de son livre.

« La mort rôde », écrit-il à plusieurs reprises, en faisant référence au mantra de la mort annoncée du Parti Québécois, véhiculé par les médias. Le livre n’était pas encore rendu sur les rayons des librairies que déjà une députée du Parti Québécois reprenait à son compte le même refrain lugubre.

Dans son livre, Jean-François Lisée parle de la « stratégie de l’évitement », une notion psychologique qui fait que « plus on évite d’affronter un pro­blème réel, plus notre peur du problème augmente, plus le problème paraît insurmontable, plus on devient dysfonc­tionnel ».

Selon lui, depuis l’échec  du référendum de 1995, les Québécois veulent « éviter » d’être confrontés à un nouveau choix existentiel. C’est pour « éviter l’évitement » qu’il a proposé de reporter le référendum dans un second mandat. Nous y reviendrons. Cependant, à la lumière de la démission de Catherine Fournier, on peut se demander si  un certain nombre de militantes et militants n’ont pas adopté la « stratégie de l’évitement »… à l’égard du Parti Québécois !

 

Pacte électoral avec Québec Solidaire

Le cœur de la stratégie électorale de Jean-François Lisée reposait sur un pacte électoral avec Québec Solidaire. Lancée par PKP, l’idée de convergence avait été reprise par Pauline Marois et elle avait confié à Lisée le mandat d’en discuter avec Québec Solidaire. Sans succès. Une fois à la tête du Parti Québécois, sondages favorables à l’appui, Lisée remet le projet sur la planche à dessin. Il avance l’idée d’une candidature commune à l’élection partielle de Verdun, puis ne propose pas de candidature contre Gabriel Nadeau-Dubois à l’élection partielle de Gouin, établissant ainsi le principe de non-agression dans les circonscriptions acquises, qui devait être à la base de la conclusion d’un pacte électoral.

Les deux partis étaient d’accord sur l’adoption d’éléments d’une plate-forme électorale commune restreinte (réforme du mode scrutin, salaire minimum à 15$, etc.), qui ne les empêcherait pas de présenter des propositions sur les autres questions (ex. laïcité). Aucun des députés de Québec Solidaire n’aurait été ministre d’un gouvernement péquiste et ils s’engageaient à ne voter que pour les mesures communes.

Parallèlement, OUI-Québec, le regroupement de tous les partis indépendantistes, accouchait d’une « feuille de route » sur la marche à suivre pour conduire le Québec à son indépendance. Mais, contrairement à l’engagement pris, Québec Solidaire ne soumettra pas la « feuille de route » à son instance. Au contraire, l’instance prendra position contre tout accord avec le Parti Québécois, en l’accusant de racisme et de néolibéralisme.

Pour Jean-François Lisée, le Parti Québécois a payé un coût énorme pour cet échec. Il écrit : « L’opinion en a tiré cinq leçons : 1) le Parti Québécois estime qu’il est trop faible pour gagner seul ; 2) Québec Solidaire est assez crédible pour être courtisé par un grand parti ; 3) le Parti Québécois est tellement à gauche qu’il est prêt à s’allier à Québec Solidaire, laissant tout le terrain du centre droit à la CAQ ; 4) Le Parti Québécois échoue à rassembler ; 5) Lisée est un stratège pourri. (…) L’essentiel est que notre meilleure chance d’incarner le changement, donc d’avoir la clé de l’élection de 2018, venait de nous échapper ».

 

Les causes d’un échec

En théorie, la stratégie de Lisée était défendable. Mais elle faisait fi de certaines considérations financières et, surtout, elle reposait sur une mauvaise appréciation de la nature de Québec Solidaire. Financièrement, Québec Solidaire aurait été pénalisé en ne présentant pas de candidatures dans les circonscriptions détenues par le Parti Québécois, étant donné le nouveau mode de financement des partis politiques.

Plus fondamentalement, au-delà de ses porte-parole officiels, Québec Solidaire était dirigé par des militants et militantes provenant en bonne partie des groupes maoïstes des années 1970 et d’une variété de groupes trotskystes, dont la base d’unité est l’hostilité à l’égard du Parti Québécois. Hier, ils scandaient dans les rues de Montréal « Parti Québécois, Parti bourgeois ». Aujourd’hui, ils ont habilement fait voter à un congrès de Québec Solidaire une résolution « interdisant toute entente avec des partis néolibéraux ». Ne restait plus qu’à étiqueter le Parti Québécois comme parti néolibéral. Ce qu’ils ont fait.

Le rejet de toute entente électorale avec le Parti Québécois est également le reflet de la base électorale de Québec Solidaire. Le parti est essentiellement une coalition urbaine de « bobos » et de membres des communautés ethniques. Les sondages révèlent que près de la moitié de la clientèle électorale du parti est opposée à l’indépendance du Québec.

La direction de Québec Solidaire a réussi à conserver l’unité dans ses rangs sur la question de l’indépendance en prônant la tenue d’une assemblée constituante « ouverte », où le maintien du Québec au sein du Canada serait une option aussi valide que l’indépendance.

Dans un des derniers chapitres de son livre, Jean-François Lisée procède à une excellente critique de cette idée, en se disant « sidéré de constater que cette fausse bonne idée fait tant de progrès dans les rangs indépendantistes ». Il ajoute : « Si j’étais conspirationniste, je dirais qu’elle est promue en sous-main par nos adversaires ». Cependant, il l’a soutenue, quoiqu’avec des amendements qui en minimisaient la portée destructrice. Pourquoi? Parce que c’était « l’idée à la mode », confie-t-il.

Rien de mieux qu’une élection fédérale pour révéler la vraie nature de Québec Solidaire. Amir Khadir avait fait campagne contre Gilles Duceppe. Aujourd’hui, c’est sa conjointe, Nima Machouf, qui portera les couleurs du NPD dans la circonscription de Laurier-Dorion et une bonne partie de la machine électorale de Québec Solidaire se mettra au service du NPD.

On attribue à la question sociale la fracture entre Québec Solidaire et le Parti Québécois. Dans les faits, la véritable fracture est la question nationale.

 

Un programme sans aventure

Dans son bilan de campagne électorale, Jean-François Lisée défend l’approche clientéliste de son programme, vite résumée dans les médias par la promesse de « boîtes à lunch » pour les enfants. Selon les sondages, qu’il nous dit avoir consultés, « ni la langue, ni la laïcité, ni la lutte aux inégalités ou au réchauffement climatique, ni a fortiori l’indépendance ne suscitaient une adhésion significative. Le seul ‘‘projet collectif’’ mobilisant beaucoup d’électeurs en 2018 était la réduction du nombre d’immigrants », que la CAQ s’est approprié. Mais Lisée est obligé de reconnaître, quoique du bout des lèvres, une certaine « habileté » politique à Québec Solidaire avec son programme sur l’environnement, qui a fait mentir ces sondages et « suscitait une adhésion significative » au sein de la jeunesse.

Ce sont aussi les sondages sur la popularité des chefs – et les commentaires politiques des supposés experts – qui lui ont laissé croire qu’il avait remporté le premier débat des chefs. Mais les sondages des jours suivants sur les intentions de vote ont montré une remontée spectaculaire de Québec Solidaire. En fait, Manon Massé avait gagné le premier débat. Mais, comme Lisée l’explique lui-même ailleurs dans son livre, il faut un peu de temps avant que « la soeur informée en parle au collègue, puis au voisin » jusqu’à ce que le message se répande.

Jean-François Lisée a donc dû frapper un grand coup au second débat des chefs en accusant Manon Massé de ne pas être la « vraie » chef de Québec Solidaire. Je partage son analyse voulant qu’il ait ainsi réussi à attirer l’attention des médias sur Québec Solidaire et stopper la migration de l’électorat péquiste vers ce parti.

En ne prenant pas au sérieux Québec Solidaire, dès le départ de la campagne électorale et même avant, Lisée et le Parti Québécois se sont fait refaire le coup de Jack Layton et de la vague orange. Le Bloc Québécois avait négligé de critiquer le NPD jusqu’à la prestation de Layton à TLMP. Il était alors trop tard. Avis au Bloc Québécois : Préoccupez-vous dès maintenant du Parti Vert et de Mme May.

 

Tango à trois

Jean-François Lisée consacre près d’une trentaine de pages fort intéressantes au « fascinant tango » entre « élus et journalistes ». Toutefois, il omet dans cette section de traiter d’un troisième danseur, les radios de Québec, qu’il accuse, dans un chapitre précédent, d’avoir agi comme « agent officiel » de la CAQ dans l’élection partielle dans la circonscription de Louis-Hébert.  La CAQ l’a emporté avec une majorité de 7660 voix. Ce fut, selon lui, un moment décisif. « Le message était éclatant, écrit-il. Jusque-là, l’électorat pensait les libéraux indélogeables. Avec Louis-Hébert, il apprenait trois choses : 1) Les libéraux peuvent être battus ; 2) C’est la CAQ qui peut les battre ; 3) Le Parti Québécois est hors-jeu ».

Le sujet des médias nous amène à parler du report du référendum. Jean-François Lisée reconnaît que cela n’a pas réussi à contrer « l’évitement » des électeurs allergiques à l’indépendance et les amener à voter pour le Parti Québécois. « Si on est guidé par une stratégie d’évitement, ne faut-il pas éviter tout ce qui nous mène au malaise ? », reconnaît-il.

Par contre, il admet qu’un souverainiste sur trois a fait faux bond au Parti Québécois en deux ans, soit depuis son élection à la tête du parti et l’adoption du report du référendum dans un deuxième mandat. Il en attribue la responsabilité aux « relayeurs », autrement dit aux médias. « Il m’apparaît certain que le message domi­nant des relayeurs selon lesquels nous avions ‘‘aban­donné’’ l’indépendance — plutôt que de vouloir la réussir sur deux mandats — a eu un impact négatif sur la mobilisa­tion des électeurs souverainistes et a favorisé leur déplace­ment vers la CAQ à compter de 2017. »

C’était prévisible. Pour compléter son chapitre sur les médias, Jean-François Lisée aurait pu nous emprunter le texte de la 4e de couverture du livre Sans référendum, pas de souveraineté (Les Éditions du Renouveau québécois, 2008) que j’ai cosigné avec Marc Laviolette au nom du SPQ Libre.

« Le référendum est à la souveraineté ce que l’heure de tombée est au journalisme. Sans heure de tombée, le journaliste n’écrit pas. Il lit, consulte, se documente. Mais ses recherches, ses discussions et réflexions ne trouvent leur aboutissement sous forme d’articles que sous l’injonction de la tombée.

« Il en va de même pour le mouvement souverainiste. Sans l’échéance du référendum, il risque la dispersion, le fractionnement, l’étiolement. Seul le rendez-vous référendaire oblige à cibler l’essentiel, à écarter l’accessoire et à sonner le rappel des troupes. Seule la convocation du peuple à un choix décisif permet de vaincre les forces de l’inertie, de l’habitude et de la routine, et de chambouler l’ordre social et politique ».

 

Combattre les liquidateurs

Mettre à l’ordre du jour le référendum n’aurait sans doute pas permis « d’éviter l’évitement » de plusieurs de nos concitoyens. Je suis d’accord avec Jean-François Lisée qu’il faut ranger dans le dossier des « idées fausses sur l’accès à l’indépendance » le fait qu’il « est possible, par le travail de persua­sion en période non électorale, de faire changer l’opinion sur la question de l’indépendance » et « qu’en faisant cam­pagne principalement sur l’indépendance, le Parti Québécois pourrait mobiliser les 35-40 % d’indépendantistes derrière lui, donc prendre le pouvoir ».

Une mobilisation des indépendantistes telle qu’elle soit en mesure de rallier une majorité de l’électorat est fonction d’une conjoncture favorable tributaire de l’actualité politique québécoise, canadienne et internationale. Des années de débats constitutionnels infructueux ont mené à l’élection du Parti Québécois en 1976 et au référendum de 1980. L’échec de l’Accord du lac Meech a mis la table pour le référendum de 1995.

Comme l’écrivait Karl Marx, « Dans les grands développements historiques, vingt années ne sont pas plus qu’un jour, bien que, par la suite, puissent venir des journées qui concentrent en elles vingt années ».  Il faut tenir compte de cette dialectique de l’histoire. À moins de croire à un développement harmonieux du Canada et du monde dans lequel nous vivons, viendront ces journées où l’indépendance sera de nouveau à l’ordre du jour, comme ce fut le cas lors de la Rébellion des Patriotes, de la crise de la conscription ou de l’après-Meech.

En attendant, il faut mettre à profit les époques de stagnation politique, de développement dit « paisible », pour constituer patiemment un noyau dirigeant, former des militantes et des militants, bâtir l’organisation et diffuser le message auprès de la population, tout en maintenant l’orientation vers le but final.

Les mouvements spontanés, basés uniquement sur les réseaux sociaux, comme Occupy Wall Street ou les « printemps arabes » ont montré qu’ils étaient éphémères ou facilement récupérables par les groupes organisés, comme les Frères musulmans en Égypte ou en Tunisie.

Afin d’être en mesure de remplir pratiquement de grandes tâches dans les grandes journées « qui concentrent en elles vingt années », il faut maintenir le cap sur l’indépendance et combattre les liquidateurs qui veulent saborder une des plus grandes conquêtes politiques du peuple québécois, le Parti Québécois.