« Ils veulent nous casser »

2019/03/18 | Par Germain Dallaire

« Ils veulent nous casser ». C’est ainsi que Clément Masse, le président du Syndicat d’ABI (Métallos-FTQ), décrit l’enjeu du conflit actuel entre l’aluminerie ABI d’Alcoa à Bécancour et ses travailleurs et travailleuses. En fait, le constat de M. Masse ne date pas des derniers événements. Il le proclame depuis le début du conflit. Aujourd’hui, 14 mois plus tard, force est d’admettre qu’il avait raison, dès le départ.

L’assemblée générale du 11 mars dernier était à haut risque. Dans l’entrevue qu’il nous a accordée, Clément Masse explique: « On était inquiets, on savait bien qu’après 14 mois de conflit, les gens espéraient du positif. Malheureusement, on n’en avait pas. On a pris le temps de tout expliquer, les gens ont écouté, ils ont compris, les gens sont intelligents. En fin de compte, on en sort plus fort ». 82% des travailleurs lockoutés ont rejeté l’offre patronale avec une participation de 90 % des 1030 membres du Syndicat.

Quand on écoute Clément Masse, on a l’impression d’assister à une spirale vers le bas. Alors que deux points seulement étaient en litige lors du lockout en janvier 2018, la liste s’est rallongée tout au long du conflit. Quand il y a contact entre les parties, c’est recul sur recul. Déjà, en décembre dernier, il y avait eu une offre dite « finale » et, encore là, c’était des reculs. La dernière proposition patronale était de beaucoup inférieure à celle de décembre, notamment au chapitre de l’organisation du travail, des horaires de travail, du régime de retraite, du respect de l’ancienneté, du recours à la sous-traitance et des abolitions de postes. La dernière offre salariale était déjà là au mois de décembre, mais sur quatre ans. Elle est aujourd’hui étalée sur six ans, avec des augmentations annuelles moyennes de 2,55 %.

De plus, le protocole de retour au travail ne peut être interprété que comme une provocation. Clément Masse s’indigne : « Un protocole de retour au travail de 10 mois avec aucune limite à la sous-traitance, la coupure de 150 postes, des coupures dans les libérations syndicales, était-il possible pour ABI d’être plus arrogant ». Un tel protocole, c’était comme signer une convention collective qui n’entre en vigueur que 10 mois après le retour au travail.
 

Pressions sur Legault

Clément Masse ne trouve pas de mots assez durs pour parler du ministre du Travail Jean Boulet : « Un ancien procureur patronal qui se concerte avec ABI. On le voit quand il nous parle des objectifs de la négociation, il nous sort les mêmes objectifs qu’ABI ! »

Le Syndicat compte accentuer la pression sur le gouvernement Legault pour qu’il modifie la clause (Act of God) du contrat d’électricité entre Hydro-Québec et ABI. Elle permet à ABI de ne pas payer pour tout le bloc d’électricité qui lui est réservé et d’échapper à des amendes pour la diminution de production. Seulement en 2018, cela représente une perte nette de 165 millions. Les besoins en électricité de l’usine ABI s’élèvent à 4 TWh, alors qu’Hydro a déversé de l’eau par-dessus ses barrages pour un équivalent de 10 TWh en 2018. Tous les Québécois (y compris les travailleurs d’ABI !) subventionnent le lock-out. Pour protester contre cet était de fait, le syndicat travaille actuellement à la préparation d’une marche qui se terminera devant l’Assemblée nationale à Québec.

Un droit de veto à Rio Tinto Alcan

L’attitude d’ABI a de quoi inquiéter sérieusement tous les travailleurs de l’aluminium au Québec, particulièrement ceux et celles qui travaillent pour Rio Tinto Alcan (RTA). Alcoa détient 75 % des actions d’ABI et RTA 25 %. Clément Masse me confirme le rôle de RTA : « Ils ont un droit de veto sur toutes les décisions importantes, y compris le lock-out ou un éventuel règlement. Nous avons vu les textes, c’était le cas lorsqu’ABI avait trois propriétaires et c’est encore le cas aujourd’hui avec RTA et Alcoa ».

Il est important de le souligner à gros traits rouges. Dans ce conflit, RTA n’a rien à perdre et tout à gagner. Elle n’est privée que de 3 % de sa production, comparativement à 30 % pour Alcoa. Et, encore, cette production lui coûte plus cher que celle de ses usines du Saguenay, à cause des tarifs de l’électricité (environ 3 cent le kilowatt/heure comparativement à moins d’un cent au Saguenay). Alcoa est un compétiteur de RTA et les deux exportent essentiellement aux États-Unis. Nous sommes devant un principe capitaliste de base : la rareté fait augmenter les prix. Ce qui, dans l’état actuel des choses, avantage RTA.

Si, comme on peut le craindre avec le gouvernement Legault, ABI obtient une diminution du tarif de l’électricité pour l’usine d’ABI : c’est Bingo pour Alcoa, mais aussi pour RTA ! Il faut savoir qu’à la fin de l’automne, Jacynthe Côté, ancienne pdg de RTA, est devenue présidente du conseil d’administration d’Hydro-Québec. Mais, surtout, si le Syndicat d’ABI signe un contrat de travail comprenant des concessions majeures (mouvement de main d’œuvre, régime de retraite, etc.), pas besoin d’être grand clerc pour imaginer la suite. Les mêmes concessions seront exigées des autres syndicats.

L’automne dernier, le Syndicat de l’usine RTA d’Alma a mené une campagne auprès de la direction de RTA pour qu’elle se dissocie des positions d’ABI. Ils se sont fait répondre qu’ils n’avaient rien à dire là-dedans. Par chez nous, on appelle ça de maudits menteurs!

  1. Vous pouvez faire connaître votre insatisfaction à François Legault en allant à https://www.metallos.org/legault/.

Photo : Ledevoir.com