L'après PQ

2019/03/20 | Par Roméo Bouchard

Le geste de Catherine Fournier, qui est en fait une suite logique de l'élection de la CAQ, nous a fait entrer de plein pied dans l'ère de l'après-PQ. Et les commentaires sur la malhonnêteté de son geste ne changent rien à sa signification politique.

 

Le PQ est irrécupérable

Catherine Fournier a raison de penser que le PQ est irrécupérable.

Les jeunes, préoccupés de mondialisation, d'environnement et des injustices du néolibéralisme, ne s'y reconnaissent plus.

Les banlieusards, et même les régions, pragmatiques, ne veulent plus de référendum et de chicanes constitutionnelles stériles.

Les Montréalais, confrontés tous les jours à la diversité culturelle, jugent le nationalisme ethnique et identitaire des souverainistes dépassé.

En un mot, le monde d'où vient le PQ a changé, et même, n'existe plus vraiment. C'est triste et injuste, mais l'histoire n'a pas de sentiments : c'est la loi du temps et de l'usure. René Lévesque répétait que la vie utile d'un parti ne dépasse guère 40 ans : le PQ a 50 ans.

Et le problème est le même pour le Parti libéral, qui, dans sa forme moderne, a pratiquement le même âge que le PQ : son fédéralisme anti-séparatiste et anti-nationaliste n'a plus de preneurs, sauf chez la minorité anglophone et les immigrants allophones de Montréal. L'existence du Canada n'est plus en cause. Gaétan Barrette l'a bien senti en disant que le PQ ne méritait pas l'affront de Catherine Fournier : son parti à lui aussi est dans la même position.

Les Québécois pragmatiques sont désormais plus à l'aise à la CAQ, et les gauchistes inclusifs à QS, le nouveau bipartisme de transition.

 

Le problème n'est pas tant le PQ que la souveraineté

Là où Catherine Fournier a tort, c'est lorsqu'elle situe la cause du problème dans le Parti québécois, et conséquemment, lorsqu'elle cherche une solution dans un nouveau véhicule de rassemblement des indépendantistes. La crise du PQ, selon moi, c'est d'abord la crise du projet d'indépendance, ou plutôt, de la souveraineté de l'État québécois tel que le PQ nous a habitués à la voir. Ce qui est en cause, chez les jeunes comme chez les banlieusards, les régionaux et même les Montréalais, préoccupés d'environnement, d'inégalités sociales, de pouvoir d'achat, de droits de la personne, de démocratie, de mondialisation, c'est l'idée de provoquer une crise constitutionnelle et une guerre avec Ottawa avec un référendum sur la souveraineté du Québec. Ce projet n'apparaît plus prioritaire, ni indispensable, ni nécessaire, ni réaliste.

Comme l'expliquait Mario Dumont récemment, la nationalité québécoise elle-même n'est pas en danger; elle fait face à de nouveaux défis de taille avec les effets de la mondialisation économique et numérique, mais elle est plus forte que jamais. Les Québécois ne sont pas des Acadiens, ni des Cajuns, ni des Franco-Ontariens : ils ont un État fort et dynamique, un territoire grandiose, des entreprises et des institutions économiques puissantes, la loi 101, une vitalité et un rayonnement culturel exceptionnels.

Bien sûr il nous manque des pans importants d'autonomie et de contrôle de notre territoire, ne serait-ce que  le fleuve. Mais, comme par le passé, comme lors de la Conquête, comme lors de la Confédération, il est sans doute plus réaliste d'essayer de composer le plus habilement possible avec des forces historiques et géopolitiques plus grandes que nous que de les affronter. Mieux vaut nous affirmer sur le terrain, mettre nos priorités de l'avant, faire progresser notre économie, notre système d'éducation, notre transition écologique, nos institutions démocratiques, la souveraineté du peuple, en un mot, élargir notre espace de souveraineté, mieux agir et négocier, que de faire la guerre ouverte. L'Écosse, la Catalogne et tous les autres petits peuples en ont tous fait le constat. Il faut réorienter notre lutte d'émancipation.

J'ai bien peur que la mutinerie de Catherine Fournier, de Aussant, de Curzi, de Martine Ouellet ne soit qu'une ennième façon de nous faire accroire qu'il suffit de mettre l'indépendance de l'avant et d'en parler pour que le miracle se produise... une autre façon de nous enfoncer dans la même ornière. Le monde n'est pas si cave qu'on voudrait bien le croire : il vaudrait peut-être mieux l'écouter.

 

Défaitisme ou réenlignement

Pour beaucoup de souverainistes, un tel raisonnement est défaitiste et nous ramène au « beau risque », au bon gouvernement et à l'étapisme qui ont tous échoué. À ce compte-là, les référendums aussi ont échoué, et il y aurait fort à parier qu'une victoire à 52% se serait terminée par un échec également.

Ce que je suggère, ce n'est pas de revenir au « beau risque » : c'est de repenser l'émancipation de la nationalité québécoise en fonction de la conjoncture mondiale et canadienne actuelle, et en fonction des défis contemporains, à savoir : la crise du néo-libéralisme, la crise écologique, la crise de la démocratie, la crise des inégalités sociales, la crise de l'immigration, la crise du pouvoir politique de l'État; ce n'est pas d 'abandonner la lutte pour agrandir le champ de souveraineté de l'État québécois, mais de le faire en tenant compte de la nécessité de composer avec les forces géopolitiques et historiques actuelles; c'est de cesser de penser que la seule possibilité pour le Québec de s'émanciper et de survivre soit de réclamer, par référendum, comme une condition sine qua non de notre survie, la pleine souveraineté politique, c'est-à-dire un projet de souveraineté politique comme celui que nous a proposé le PQ pendant les 50 dernières années.

 

La troisième voie

J'ai dit plus haut : la CAQ et QS sont une sorte de nouveau bipartisme de transition. En effet, l'élection a nettement disqualifié les Libéraux et le PQ. Mais ni la CAQ ni QS n'ont un avenir assuré pour autant. La CAQ demeure un parti de droite affairiste, et QS un parti de gauche radicale et multiculturaliste : ils sont loin de rejoindre tout le monde et une partie importante de leurs votes l'ont été par défaut ou par stratégie. Ni la CAQ ni QS ne me paraissent en mesure de tenir leurs promesses. Tous deux sont habités par des contradictions et des incohérences considérables. Tous deux reposent sur le sable. Il y a place pour une troisième voie.

J'en conclue que c'est peut-être moins d'un nouveau parti indépendantiste que nous aurions besoin que d'un nouveau parti de gauche démocratique et citoyen pour qui l'élargissement de notre souveraineté politique ferait partie d'un projet politique plus large, centré sur les grands défis contemporains. Les Gilets jaunes ont un peu tracé la voie, mais l'idée était déjà dans le Manifeste de l'Aut'gauche.

Ce parti du peuple pourrait proposer une restauration en profondeur de notre démocratie : l'article premier de son programme devrait être la mise en œuvre de la souveraineté du peuple et de la citoyenneté québécoise comme fondement de la liberté, de l'égalité et de la solidarité pour tous, sans égard à l'origine, à la couleur, au sexe, à l'éducation ou à la richesse. Il devrait se faire le relais de la volonté populaire de participer davantage aux décisions collectives, de combattre les inégalités sociales, de promouvoir la souveraineté nationale et la nationalité québécoise, de démontrer une solidarité active envers les autres peuples, de concevoir une transition écologique qui s'attaque en priorité aux inégalités sociales et à la corruption du système économique  en place.

Faire du Québec une société démocratique éco-responsable ouverte au monde, ce qui ne serait pas si loin, tout compte fait, du nouveau monde métissé dont rêvait Champlain, de la République « canadienne » qu'appelait Papineau et de la souveraineté-association que proposait René Lévesque.

Un tel parti de gauche démocratique et citoyen, s'il savait rester proche de la réalité et du langage populaire, pourrait faire des adeptes dans toute notre population et pourrait nous dégager des impasses où nous ont enfermé les Libéraux et le PQ, aussi bien que de celles où nous conduisent en ce moment la CAQ et QS. La démocratie et la citoyenneté nationale sont peut-être encore la voie de sortie et la voie de l'avenir.

Le problème, c'est que le PQ a mobilisé depuis si longtemps nos meilleures énergies, à gauche comme droite, que je ne vois pas où se cachent les leaders qui seraient susceptibles d'inspirer un tel parti démocratique et citoyen pour relancer le Québec vers l'avenir.