L'Oumigmag ou le territoire jazz

2019/03/22 | Par Tanya Millette

Crédits photo : Marc-André Thibault
De gauche à droite : Sébastien Sauvageau, Tom Jacques, Stéphane Diamantakiou, David Simard et Alex Dodier.

J'ai eu la chance d'assister, le 26 janvier 2019, au « Concert au cœur du processus créatif », issu de la courte, mais néanmoins créative résidence du groupe de musique jazz l'Oumigmag. Le spectacle a eu lieu à la Vieille Chapelle de Sainte-Marcelline-de-Kildare. Il s'agit d'un lieu mystique et intime, où l'acoustique amplifiait magnifiquement la musique. J'y ai vécu une expérience vibratoire et harmonique unique.

C'est à la suite du spectacle que j'ai contacté le fondateur du groupe, Sébastien Sauvageau, guitariste et compositeur, qui détient des études collégiales en guitare jazz ainsi qu’un Baccalauréat en composition de l’Université de Montréal.

J'ai tout d'abord cherché à savoir comment s'était déroulée leur résidence à la Vieille Chapelle. « C'était un processus vraiment unique », mentionne Sébastien. « Nous avons travaillé pendant 5 jours, ensemble, de façon intensive. Nous faisions notre propre horaire, nous y allions en suivant notre élan et notre inspiration du moment. À travers cette résidence, chacun des musiciens a expérimenté un éloignement de ses racines musicales, impliquant une certaine tension qui s'est reflétée dans la création. » Cette résidence a donc permis de trouver le son commun du groupe, accueillant ainsi les deux nouveaux membres de la formation. Le quintet a donc développé une sonorité composée d'influences diverses qui, mises ensembles, offrent des couleurs uniques aux multiples compositions.

Le projet actuel est défini comme interdisciplinaire avec David Simard, au violon et à la viole d'amour, interprétés dans un style traditionnel, Tom Jacques, aux percussions et à la batterie, sorti d'un registre de musique contemporaine (installation et recherche sonore), Alex Dodier, aux saxophones et à la clarinette basse, de formation jazz, Stéphane Diamantakiou, à la contrebasse, de formation contemporaine et jazz et Sébastien Sauvageau, à la guitare, à la voix et aux compositions, qui s'inspire de tous ces styles et formations. Tout comme le précise le compositeur, « l'ensemble même est à l'image de la musique ».

Une des pièces marquantes de la soirée était « Maison jaune ». Tout nous transposait devant, voire même à l'intérieur de cette « Maison jaune », en bord de mer. Tout y était cinématographique. Le bruit des marées réalisé par les pieds frottés sur des pierres, la puissance du vent incarnée par le saxophone, ce sentiment d'être chez soi assumé par le violon, plus traditionnel (avec sa Grondeuse), et le bonheur méditatif, ici supporté par la contrebasse et la guitare classique. Cette pièce a d'ailleurs inspiré cette poésie au compositeur : « Ils marchent dehors et les étoiles leur semblent plus près de leur pas ». Il y a là cette magnifique idée de connexion puissante avec son environnement, à travers l'expérience humaine.

C'est d'ailleurs ce qui m'a amenée à interroger Sébastien quant aux différentes sources d'inspiration de ses nouvelles compositions. Plusieurs sources sont impliquées, mais deux plus particulièrement ressortent du lot : la nature et le territoire. Selon Sébastien, « il est important d'expérimenter le territoire physique, certes, mais imaginaire et spirituel également. Ce sont la transmission des traditions et la confrontation des mystères de la vie qui permettent d'atteindre ces lieux non-cartographiés ». Il ajoute qu'il « transcrit des partitions à même l'écorce des arbres ». Comme quoi la musicalité est partout.

Le groupe, ayant déjà un opus à son actif, est entré en studio à la fin mars pour y enregistrer son second album. Celui-ci paraîtra au mois de juin 2019. Sébastien mentionne également que le groupe prendra part à une tournée québécoise estivale. Ils s'arrêteront entre autres à Sherbrooke, à Saguenay, à Charlevoix, à Québec, à Montréal, dans Lanaudière, dans les Laurentides et dans l'est du Québec.

D'ici là, il vous est possible de vous procurer Territoires, le premier opus du groupe, sur iTunes et Bandcamp. Sébastien ajoute également « qu'ils ont eu le plaisir de recevoir le prix Coup de cœur du public 2017, au Festi Jazz international de Rimouski, en plus de figurer au palmarès de mi-année d'ICI Musique/Radio-Canada, comme l'un des meilleurs albums jazz en 2017 ». De plus, ils ont reçu une critique favorable de la part du Journal de Montréal et du blogue spécialisé All About Jazz, aux États-Unis.

Ce premier opus était essentiellement conçu de manière cartographique. Dans le second album, intitulé Habitant, la question du territoire demeure, mais elle y est approfondie par l'expérience humaine de ces lieux. « Il y a tout de même une ligne directrice qui se poursuit dans le second album, l'art poétique de l'Oumigmag, qui est de transposer les territoires du Québec en musique », précise Sébastien.

Effectivement, les compositions du second album nous permettent d'aller plus loin, de plonger à l'intérieur de nous-même. Sébastien décrit cette profondeur, ce mysticisme, comme de nouvelles expériences vécues. Il se définit comme un naturel optimiste, mais dans les dernières années, il a dû se confronter aux parts plus mystérieuses et sombres de la vie. Il allait donc de soi pour lui de les incorporer dans sa musique.

Une de ses expériences fut celle de la découverte du violoniste traditionnel ontarien Oliver Schroer, qui selon Sébastien était « un ouvreur de traditions, plutôt qu'un passeur de traditions ». De sa musique se dégage une forte spiritualité, élément marquant pour notre artiste. « Je lui voue une grande admiration puisqu'à travers sa musique, j'ai compris que la tradition est aussi un apprentissage du côté impermanent de la vie. Je continue quelque chose qui était là bien avant moi et qui se poursuivra bien après moi. » La pièce Champ d'étoiles sur le prochain album propose d'ailleurs un lieu, une expérience qui se trouve devant l'absurde ou le mystère.

En terminant, j'ai cherché à comprendre la signification du nom l'Oumigmag. J'ai eu droit à plusieurs explications de la part du fondateur du groupe.

« À la base, ce nom a été choisi pour représenter le Québec dans son ensemble, qui ne se résume pas au territoire occupé par l'homme blanc », me dit-il. Idée qui se rapproche ici de l'Amériquoisie, de Jean Désy, où « la métisserie est le métissage, mais culturel, affectif, spirituel, idéel ». Et d'ajouter « nous sommes à la recherche d'un jazz québécois, dans le sens d'une musique qui naît du territoire québécois ».

Ce nom est également tiré du documentaire L'Oumigmag ou l'objectif documentaire, réalisé en 1993 par le cinéaste et poète Pierre Perrault. Lui-même et son équipe étaient au Nord du Québec pour aller à la rencontre du bœuf musqué, umimmak en langue inuktitut qui, selon le réalisateur, pouvait devenir un symbole de résilience pour le Québec. Malheureusement, ce contact n'a pu être établi puisque ce dernier n'empruntait jamais le même chemin. C'est dans cette optique que Sébastien Sauvageau a nommé son groupe l'Oumigmag, c'est-à-dire ne jamais reprendre un chemin déjà emprunté, mais plutôt aller à la rencontre d'une énergie, du désir d'être traversé par une force plus grande que soi, qui est en constante mouvance. Il y a là un autre parallèle à faire avec le bœuf musqué, qui d'un point de vue anthropomorphique, semble en pleine contemplation, mis en opposition avec sa force très brute, qui projette toute son énergie d'un seul coup. La musique du groupe est donc conçue de ce mélange contemplatif et d'une énergie brute qui surprend l'auditeur.

Comme l'a précisé Sébastien lors de notre entrevue téléphonique, « ton unicité est ta synthèse d'influences. Le créateur doit seulement se mettre au service de l'art. » Ce qu'il accomplit à merveille avec son ensemble de musique jazz l'Oumigmag.


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Bandcamp : https://loumigmag.bandcamp.com/album/territoires