SNC-Lavalin et les déchets nucléaires

2019/03/22 | Par Collectif

Écrit par Gordon Edwards principalement et Pierre Jasmin, accessoirement.

L’ex-ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould, dont parle la 4e section de cet article, armée de ses principes de justice, ferme d’une bonne gauche l’œil de droite de Trudeau : la thématique des gants de boxe rouges, ici de la part d’une Amérindienne, est porteuse chez nos caricaturistes depuis le documentaire de l’artiste pour la paix Guylaine Maroist, God save Justin Trudeau, sur son combat de boxe avec le sénateur Brazeau. Cette caricature est signée Garnotte (Le Devoir).

 

Introduction

Pour mettre la table à cet article, l’aut’journal avait publié le 13 novembre dernier : Ginette Charbonneau, Philippe Giroul et Lucie Massé, militants au Ralliement contre la pollution radioactive (RCPR) accusent « La Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN), Énergie atomique Canada limitée (EACL) et les Laboratoires nucléaires canadiens (LCN) de viser le leadership mondial dans le domaine du développement des petits réacteurs modulaires (PRM) au Canada. Ce plan avait été commandé en février par le gouvernement Trudeau, qui considère depuis 2016 l’énergie nucléaire comme une énergie « propre ».  À tort ! L’énergie nucléaire est archi polluante et pour des centaines de milliers d’années et les PRM génèrent aussi des déchets [radioactifs]. Sans surprise, la CCSN et ses troupes dissimulent volontairement la problématique de la gestion écoresponsable des nombreux déchets nucléaires existants et futurs, en refilant leur gestion aux générations futures. »

Philippe Giroul récidivait dans son article fort informatif du 12 mars dernier[1].

Gordon Edwards, mentionné dans notre article sur la planète en danger lundi dernier[2], met les points sur les i. Rappelons que Gordon est membre fondateur et président du ccnr.org, en français regroupement pour une responsabilité nucléaire. Voici, avec son accord signifié le 21 mars à midi, son article du 19 mars[3], traduit par son fidèle assistant Jacques Boucher.

 

Arrondir les coins en ce qui concerne la gestion des déchets radioactifs?

Gordon explique d’abord ce que nous avons déjà écrit lundi : comment SNC-Lavalin est devenu la propriétaire de toute l’industrie canadienne du CANDU.

«Puis en 2014, juste avant que le gouvernement Trudeau prenne le pouvoir, l’administration Harper a donné le contrôle de la gestion des obligations fédérales en matière de déchets nucléaires d’une valeur de $8 milliards à SNC-Lavalin et à ses partenaires américains et britanniques, avec comme mandat de réduire ces obligations le plus rapidement et au moindre coût possible. La plupart de ces obligations se retrouvent à trois endroits: Port Hope sur le bord du lac Ontario, Chalk River sur le bord de la rivière des Outaouais, et aux installations de recherche nucléaire de Whiteshell à Pinawa au Manitoba.

Fidèles à eux-mêmes, SNC-Lavalin et ses partenaires dans un nouveau consortium – opérant sous la bannière des Laboratoires nucléaires canadiens (LNC) – ont annoncé à toute allure une révision radicale des plans pour s’occuper des problèmes de déchets radioactifs de plusieurs milliards de dollars. Au lieu de soigneusement démanteler les structures hautement radioactives des deux réacteurs à l’arrêt au Manitoba et en Ontario, et de retirer du site tous les débris radioactifs, comme ça avait été auparavant planifié, le consortium va simplement déposer toutes les composantes à radioactivité de longue durée dans le sous-bassement du bâtiment des réacteurs et en inonder l’intérieur avec du béton à durcissement rapide, transformant ces structures en un dépotoir de déchets radioactifs bétonné juste à côté des rivières Winnipeg et des Outaouais. Une grande partie des douzaines de matières radioactives fabriquées de main d’homme qui y seront déposées demeureront dangereusement radioactives pendant des milliers d’années, et les structures bétonnées ne conserveront jamais leur capacité de rétention aussi longtemps[4].

 

Un système de corruption?

SNC-Lavalin, c’est une firme internationale d’ingénierie basée à Montréal qui a des bureaux dans 50 pays et des opérations dans 160 pays. À partir de 2010, les équipes de gestion de SNC-Lavalin ont été accusées de fraude financière et de corruption systémique dans plusieurs contextes internationaux, comme dans le cas du projet de barrage du Kerala en Inde (1995-2008), le contrat pour le pont de Padma au Bangladesh, et plusieurs projets en Libye (2001-2010).

En 2008, SNC-Lavalin a fourni du bon temps à Montréal à Saadi, le fils de Moammar Khadafi, incluant des prostituées, pour $30,000 de pornographie, des cadeaux somptueux, dont des bateaux de croisière, et pour $160 millions en pot-de-vin, par le biais de transferts bancaires tortueux. Quand Stéphane Roy, le contrôleur financier de SNC-Lavalin, a été congédié à cause de son rôle dans cette activité et dans d’autres activités frauduleuses, il a objecté qu’il n’avait fait que suivre les directives de ses supérieurs dans la compagnie[5].

En 2011, la Gendarmerie Royale (GRC) a entrepris une enquête locale concernant des crimes commis par SNC-Lavalin, à la suggestion de sources provenant des autorités suisses. À partir de 2015, la GRC accusa SNC-Lavalin de corruption dans une Cour canadienne. En 2014, le gestionnaire des constructions internationales de SNC-Lavalin, s’est retrouvé en prison en Suisse. En même temps, l’agente Cynthia Vanier a été emprisonnée au Mexique pour fraude, corruption et trafic d’êtres humains, alors qu’elle avait utilisé $1.8 million de l’argent de SNC-Lavalin pour fournir de faux documents à Saadi et à sa famille. Durant cette période, 10,000 employés de SNC-Lavalin ont quitté la compagnie au Canada, la plupart de façon volontaire.

En invoquant la corruption systémique de SNC-Lavalin, la Banque Mondiale a banni en 2013 SNC et ses affiliés de la possibilité d’appliquer pour tout projet financé par elle. Le chef du Conseil exécutif de SNC-Lavalin, Pierre Duhaime, a démissionné de son poste en 2012 et, peu de temps après, il a été arrêté par la police de Montréal pour fraude et autres activités criminelles.

Des accusations criminelles ont été déposées contre des haut-dirigeants de SNC-Lavalin de 2014 à 2019 pour corruption (se chiffrant à $22.5 millions) en lien avec la construction du super-hôpital de McGill. Il y a aussi une enquête sur de potentielles activités criminelles en lien avec un contrat pour la réfection du Pont Jacques-Cartier à Montréal (début des années 2000).

Un ex-vice-président de SNC-Lavalin a plaidé coupable en 2018 d’avoir orchestré un projet élaboré de dons politiques illégaux, avec $117,000 acheminés par le biais des comptes de banque d’employés de SNC-Lavalin, qui étaient ensuite remboursés par les fonds de la compagnie selon une comptabilité déguisée, utilisant des codes secrets spécialisés. Du fait qu’on en est venu à une entente à l’amiable, le cas n’ira pas devant les tribunaux et il se peut que le public ne sache jamais quels politiciens ont reçu ces dons illégaux. L’homme qui a plaidé coupable soutient qu’on se sert de lui comme bouc émissaire, considérant tous les autres ayant été impliqués dans le projet[6].

 

Une sonnette d’alarme

En juillet 2019, Jody Wilson-Raybould – la première personne autochtone et la première femme à détenir la fonction de Procureure générale du Canada – a démissionné du Cabinet Trudeau (où elle avait également été ministre de la Justice) à cause de ce qu’elle a par la suite qualifié d’un système persistant de pressions inappropriées de la part de ses collègues du Cabinet, y compris du Premier ministre, pour empêcher que SNC-Lavalin ait à faire face à des accusations criminelles dans un tribunal canadien. Si reconnue coupable d’offenses criminelles, SNC-Lavalin serait bannie pendant 10 ans de tout contrat du gouvernement fédéral.

Le Premier ministre a avancé qu’il devait faire tout son possible pour sauver 9000 emplois. Il soutient que SNC-Lavalin déménagerait son bureau-chef à l’extérieur de Montréal s’ils ont à faire face à des poursuites devant une Cour criminelle. Mais SNC-Lavalin n’a que 8700 emplois dans tout le Canada, dont 2500 dans la province de Québec, avec 700 au bureau-chef de Montréal. Et il n’y a aucune preuve objective que ces emplois seraient perdus ou qu’en fait SNC-Lavalin déménagerait ses quartiers généraux de Montréal, ayant signé un bail de 20 ans en 2017 pour les occuper.

Les Canadiens devraient porter attention à ce qui est en train de se passer. Si SNC-Lavalin a vraiment une culture corporative malhonnête soutenue, peut-on avoir confiance qu’ils mettent l’intérêt public en avant de leurs intérêts personnels? Le gouvernement du Canada ne se préoccupe même pas d’élaborer une politique fédérale de gestion à long terme des déchets radioactifs de façon à offrir la meilleure protection pour les générations futures et l’environnement. Au lieu de protéger ses concitoyens contre les dommages qui les menacent, il essaie de protéger SNC-Lavalin des poursuites judiciaires! Est-ce que les mêmes pratiques comptables douteuses mises au point par SNC-Lavalin pour dissimuler des pots-de-vin seront également utilisées pour détourner du plutonium provenant des réacteurs nucléaires vers des fabricants de bombes clandestins qui paient grassement?[7]

 

Gordon Edwards, PhD, président,
Regroupement pour la surveillance du nucléaire
(Canadian Coalition for Nuclear Responsibility).

 

[3] la version française en pdf : www.ccnr.org/SNC-Lavalin_dechets_corruption_2019.pdf.

the original English version : www.ccnr.org/SNC-Lavalin_radwaste_corruption_2019.pdf )

[4] Écoutez l’entrevue que Gordon Edwards a donnée à CKUT, McGill Radio, en anglais en mars 2019: www.ccnr.org/GE_SNC_CKUT_2019.mp3

[7] Voir lettre en français: www.ccnr.org/Trudeau_pack_5_f.pdf