Pour le bien-être de nos membres et la justice sociale

2019/03/25 | Par Pierre Dubuc

Dès le début de l’entrevue qu’il nous accorde, dans les bureaux de l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) à Montréal, Yvon Barrière tient à préciser quelle était sa motivation première à se présenter au poste de vice-président exécutif régional de l’AFPC-Québec au mois de juin dernier : « J’aurais pu prendre ma retraite sans pénalités, mais j’aime ce que je fais. Je crois qu’on doit s’impliquer pour le bien-être de nos membres, mais aussi pour la justice sociale au sens large ».

Élu en remplacement de Magali Picard, élue vice-présidente exécutive nationale de l’AFPC, Yvon Barrière occupait auparavant le poste de vice-président régional du Québec pour le Syndicat des employé-e-s de la Sécurité et de la Justice (SESJ), qui regroupe principalement des employés des services correctionnels des pénitenciers fédéraux et des bureaux des libérations conditionnelles.

« Le SESJ représente environ 1400 employés civils, ouvriers, enseignants et agents des libérations conditionnelles dans les onze pénitenciers fédéraux au Québec. Je m’occupais aussi du dossier de la santé-sécurité au travail pour l’ensemble du service correctionnel canadien », précise-t-il.

Pour Yvon Barrière, la justice sociale, c’est, entre autres, au-delà des règlements du fiasco du service de paye Phénix et les négociations avec le Conseil du Trésor, l’obtention d’un salaire de 15 $ minimum pour les étudiants qui font de la recherche dans les universités, mais aussi pour tous les travailleurs du Québec. « Il faut militer pour réduire les inégalités sociales. Il faut tirer vers le haut. Arrêtons de niveler vers le bas. Améliorons les conditions de tout un chacun », proclame-t-il.

Mais, tient-il à nous signaler, c’est aussi l’équité pour les femmes, plus particulièrement, les femmes noires diplômées. « Elles sont les cibles privilégiées des stéréotypes. Dans la fonction publique fédérale, elles sont enfermées dans des assignations fondées sur le genre, la classe et/ou l’origine. On doit créer et développer des mécanismes justes pour corriger cette gênante situation ».

 

Le scandale Phénix

Trop payés, sous-payés, privés de salaire, trois ans après son entrée en vigueur, le système de paye Phénix est toujours un cauchemar pour les fonctionnaires fédéraux. Un sondage effectué auprès de 160 000 fonctionnaires fédéraux révèle que 65 % d’entre eux sont toujours aux prises avec des problèmes de paye, que 79 % vivent du stress à cause des ratés de Phénix et que 22 % ont laissé passer ou refusé une nouvelle affectation, craignant les problèmes de paye que cela pourrait occasionner.

« J’ai même vu un cas où une fonctionnaire a reçu ses propres prestations de décès ! Ce système est un peu comme la maison des fous dans les douze travaux d’Astérix. Régler un problème peut en créer un autre », raconte Yvon Barrière.

Y a-t-il une solution en vue ? « Il y a 275 000 mouvements à régler au service de la paye et on en règle de 6 à 8 000 par mois. On n’aurait jamais dû confier le contrat à IBM. L’Australie avait vécu une expérience similaire avec IBM. Et, dans leurs cas, il n’y avait que 5 conventions collectives. Dans notre cas, il y en a 108 ! L’AFPC avait hissé des drapeaux rouges et demandé aux gouvernements conservateur et libéral de faire marche arrière. Sans succès bien malheureusement. »

L’AFPC réclame un calendrier précis pour stabiliser Phénix, éliminer l’arriéré et, pour y arriver, plus de personnel spécialisé en rémunérations. Le Syndicat demande que toutes les victimes soient indemnisées. Il réclame aussi un nouveau système de paye. Le gouvernement a fait un appel d’offres et quatre soumissionnaires ont été retenus. Yvon Barrière se réjouit qu’IBM ne soit pas du nombre.

Lors d’une récente mobilisation, Yvon Barrière a eu l’occasion de s’entretenir avec Justin Trudeau. « Je lui ai fait part d’une autre de nos demandes : la tenue d’une commission d’enquête sur ce scandale. Il a refusé ! Prétextant que ça coûterait trop cher ! »

 

25 000 membres dans les universités

L’AFPC représente 180 000 membres au Canada. À l’origine, l’Alliance représentait des membres de la fonction publique du Canada, comme son nom l’indique, mais elle a élargi au cours des années son champ d’action. Aussi, parmi ses quelque 40 000 membres au Québec, il s’en trouve 21 000 dans les secteurs privés, municipaux et les universités québécoises (chargés d’enseignement, auxiliaires administratifs, d’enseignement ou de recherche, postdoctorantes ou postdoctorants, accompagnatrices et accompagnateurs, etc.).

« Les postdoctorants étaient sous-payés. Autour de 4 à 5 $ de l’heure. J’aime à donner l’exemple de cette étudiante en géologie, rémunérée 400 $ pour la session, qui est allée dans le Grand Nord à ses frais pour forer des carottes dans le sol. Nous avons conclu une entente pour des centaines de membres dans deux universités qui toucheront dorénavant une rémunération de 17 à 22 $ de l’heure, selon le niveau de scolarité et le type de recherche », nous déclare avec fierté le leader syndical.

« Nous venons de négocier, ajoute-t-il, une entente avec l’Université de Chicoutimi qui va faire en sorte qu’un étudiant, lorsqu’il sera embauché, deviendra automatiquement membre du syndicat. Nous collaborons avec les gestionnaires d’universités pour nous donner de bonnes pratiques et les généraliser. C’est important, car il y a de nombreuses négociations prévues pour 2019-2020. »

 

Le mépris d’ADM

L’AFPC est également présente dans le secteur privé. Ainsi, au mois de décembre dernier, le Syndicat s’est colletaillé à l’administration d’Aéroports de Montréal, où il représente 250 cols blancs.

« L’administration s’est mise dans la tête d’économiser en licenciant 93 employés pour les remplacer par la sous-traitance. Nous avons proposé de bonne foi différentes mesures, dont des réaménagements d’horaires, qui auraient permis des économies de 400 000 $. Mais leur objectif était 1,1 million d’économies. Ils exigeaient de réduire les conditions de travail de 27 à 33 %. Nos gens gagnaient entre 17,50 et 27 $ de l’heure, alors que les agents Garda, qu’ils avaient commencé à recruter pendant nos discussions gagneront 15 $ de l’heure. »

Ce qui suscite l’indignation d’Yvon Barrière, c’est le salaire de plus de 400 000 $ du PDG Philippe Rainville et le fait que les huit dirigeants d’ADM se sont partagé un million en bonis l’an dernier. « On a fait appel au ministre Garneau, mais il n’a même pas daigné répondre à une question qui lui a été posée à ce sujet à la Chambre des communes par un député NPD. »

 

L’arrogance libérale

Le comportement du ministre Garneau n’est pas exceptionnel. Dans le cadre des négociations pour le renouvellement de la convention collective de 90 000 fonctionnaires, l’AFPC s’est fait jeter à la figure par le gouvernement libéral un gel salarial de deux ans !

Pour faire débloquer les négociations et régler les problèmes causés par Phénix, l’AFPC a entrepris des moyens d’action. Dernièrement, une centaine de leurs membres ont bloqué l’accès à un édifice fédéral à Québec, où travaillent plus de 700 fonctionnaires.

Ils n’ont pas manqué de rappeler au premier ministre Trudeau son engagement, en 2015 dans une lettre ouverte aux fonctionnaires fédéraux, à « restaurer la confiance dans nos fonctionnaires et le respect que nous leur portons » et, plus récemment son appréciation à l’effet que « les fonctionnaires continuent de faire preuve d’un professionnalisme inébranlable face aux difficultés inacceptables causées par l’implémentation du système de paye Phénix ».

« Nous voulons profiter de la faiblesse actuelle des libéraux pour régler avant la prochaine élection », de déclarer Yvon Barrière devant le spectre d’un retour au pouvoir des conservateurs. Il y a fort à parier que nous entendrons parler de l’AFPC et d’Yvon Barrière au cours des prochaines semaines.