Laïcité : Cette bataille que nous devons gagner

2019/03/29 | Par Alexis Tétreault

L’auteur est candidat à la maitrise en sociologie à UQAM 

Tel que promis, le gouvernement Legault vient de déposer son projet de loi sur la laïcité. Les nationalistes de tous horizons peuvent s’en réjouir. Il s’agit d’un formidable acte de souveraineté nationale de la part d’un gouvernement pour qui la vie politique du Québec passe, précisément, par le parlement de Québec. Ce gouvernement n’est pas indépendantiste. Je m’en désole. Cependant, une mesure autonomiste de la sorte vaut bien cent ans de discours indépendantistes. Condamnés aux marges de la vie politique, les indépendantistes doivent se contenter – sans s’en satisfaire complètement – d’une CAQ pour qui le Québec passe avant tout. Après le passage du gouvernement le plus canadian et aplaventriste de l’histoire récente du Québec, il s’agit d’une bouffée d’air frais.   

 

« Tâches prochaines du nationalisme »

Les accusations qui suivront un tel acte de bravoure ne feront pas dans la dentelle. Les pires insultes ne prendront même pas la peine de se maquiller en « analyses politiques objectives ». Le projet de loi, le gouvernement et, par extension, la population du Québec qui a porté la CAQ au pouvoir fera l’objet d’une campagne de salissage éhontée de la part du Canada anglais et de ses apparatchiks canadiens-français. Le Parti libéral, à ce sujet, fera preuve d’une parfaite cohérence. Il nous rappellera les raisons de sa marginalisation politique : il parle au nom de sa base électorale montréalaise, stalinienne de surcroît, et non pas au nom du Québec français. Nous en aurons la preuve dans les prochains jours. Nous aurons aussi la preuve que, pour le ROC, le Québec n’est tolérable que lorsqu’il installe au pouvoir des gouvernements de guenilles – pour utiliser une formule de René Lévesque – qui ne questionnent jamais l’ordre canadien.

L’indépendance du Québec n’est pas pour demain. Nous, indépendantistes, le savons très bien. En revanche, le parti qui incarne encore cet idéal à tout intérêt à mettre l’épaule à la roue caquiste. Le Parti québécois devra surmonter ses lignes de fractures et appuyer le gouvernement dans sa démarche. Ainsi sonne le glas de la petite politique partisane. Si le PQ entend retrouver un peu de pertinence et désire perdre ses allures de tiers parti, il devra être de la bataille. Il est préférable, pour un parti indépendantiste, de s’opposer à Ottawa et au PLQ plutôt qu’à un gouvernement autonomiste. Les « tâches prochaines du nationalisme », selon la formule de Fernand Dumont, sont nombreuses. Deux d’entre elles semblent par ailleurs essentielles : ne pas plier devant le discours accusateur des thuriféraires du multiculturalisme canadien et coaliser les deux partis nationalistes le temps que la tempête passe. Il en va de la dignité du Québec.  

 

Une dérogation satisfaisante

Le gouvernement du Québec n’a pas donné l’occasion aux neuf chiens de garde du régime fédéral de balayer du revers de la main son projet de loi. La dérogation à la charte de 1982 est, en ce sens, une excellente nouvelle. Faut-il rappeler que le Québec n’a jamais signé la constitution? Que son rapatriement s’est décidé lors de négociations nébuleuses en l’absence du Québec? « La nuit des longs couteaux », vous connaissez? Tous les députés de l'Assemblée nationale avaient, à l’époque de ce putsch bon chic bon genre, condamné la manœuvre de Trudeau. Nous y sommes pourtant soumis. Sous ses allures de Magna Carta de la dignité humaine se cache la clé de voute de notre dépendance politique et de notre malaise existentiel dans la fédération canadienne.   

Quant à la modification de la Charte québécoise, je comprends qu’un tel geste soulève des doutes. S’opposer à l’ordre canadien qui nous nie en tant que peuple, certes. Mais déroger de la Charte québécoise n’est-ce pas faire entorse au principe du « nos lois, nos institutions »? Absolument pas, répondrais-je. Au contraire, ce geste montre ce que pourrait être un Québec maître de sa destinée, c’est-à-dire un Québec qui choisit lui-même de modifier, suspendre ou ajouter des lois selon ses priorités et selon les circonstances. Les priorités et les circonstances en appellent actuellement à une laïcité renforcée.

La loi Jolin-Barrette ne nie aucun droit fondamental, pas plus que la loi française de 1905 ne porte atteinte à la dignité humaine. La seconde va pourtant beaucoup plus loin que la première. La loi J.-B. instaure, au contraire, une laïcité tempérée qui fait consensus au sein de la société québécoise. Une loi tempérée doit parfois prendre des mesures fortes afin de s’imposer dans un pays dit post-national où le libéralisme culturel fait foi de tout. Dans les prochaines semaines, nous nous sentirons de trop dans ce pays. C’est pourquoi cette bataille pour une laïcité proprement québécoise, nous devons la gagner. Peut-être fouettera-t-elle une nation amochée par deux défaites référendaires.