Convictions politiques vs convictions religieuses

2019/04/01 | Par Paul de Bellefeuille

La Loi sur la fonction publique (LFP) impose aux fonctionnaires de l’État un devoir de réserve dans l’expression de leurs opinions politiques. Cela ne date pas d’hier. Ce sont les articles 10 à 12 de cette loi qui en définissent la portée.

L’article 10 de la LFP nous dit que Le fonctionnaire doit faire preuve de neutralité politique dans l’exercice de ses fonctions. Cet article a une portée générale et évoque le principe de neutralité politique que doit respecter le fonctionnaire de l’État.

Une conviction politique est toute aussi importante, en démocratie, qu’une conviction religieuse, vous en conviendrez. La Loi sur la fonction publique, dans le cadre du débat qui fait rage actuellement, pourrait très bien déclarer que le fonctionnaire doit dorénavant faire preuve de neutralité politique et religieuse dans l’exercice de ses fonctions. Le principe de la laïcité de l’État, qui établit la séparation des religions et de l’État, en serait ainsi respecté. Cela signifierait qu’un fonctionnaire de l’État ne pourrait pas porter un symbole religieux tout comme il ne peut pas  porter actuellement un symbole politique dans l’exécution de son travail.

C’est ainsi que le fonctionnaire doit respecter un devoir de réserve dans l’expression de ses opinions politiques. Ce devoir de réserve est établi par l’article 11 de la LFP et déclare que Le fonctionnaire doit faire preuve de réserve dans la manifestation publique de ses opinions politiques.

Est-ce que ce principe a un caractère absolu? En d’autres mots, est-ce qu’il est complètement interdit à un fonctionnaire d’exprimer ses opinions politiques en toute circonstance? Faire preuve de réserve, par définition, n’a pas un caractère absolu. En langage populaire, cela se traduirait par une invitation à se garder une petite gêne dans l’expression de ses opinions politiques.

Est-ce que ce devoir de réserve s’applique pour le fonctionnaire de l’État en tout temps? Peut-il, par exemple, en dehors de ses heures de travail avoir une activité politique pleine et entière? Un travailleur ou une travailleuse de la fonction publique peut-il, comme n’importe quel citoyen ou citoyenne,  exercer ses droits politiques ou doit-il encore respecter son devoir de réserve? L’article 12 de la LFP précise que Rien dans la présente loi n’interdit à un fonctionnaire d’être membre d’un parti politique, d’assister à une réunion politique ou de verser, conformément à la loi, une contribution à un parti politique, à une instance d’un parti politique ou à un candidat à une élection.  On peut donc affirmer que cet article redonne au fonctionnaire de l’État tous ces droits de citoyens quant à sa participation à une activité politique.

Le projet de loi 21 sur la laïcité de l’État s’inspire certainement de ce devoir de réserve (cette fois pour des raisons religieuses) appliqué à certains employés de l’État considérés comme en autorité. Ce projet de loi va beaucoup moins loin que les limites imposées à tous les fonctionnaires par la LFP en termes de réserve dans l’expression de leurs opinions politiques, en ce sens que ce sont tous les fonctionnaires, sans distinction, qui sont assujettis à la LFP.

Toutefois, le projet de loi 21 sur la laïcité de l’État n’interdit aucunement l’expression de leurs convictions religieuses, en dehors de leur cadre de travail, aux employés visés par le projet de loi sur la laïcité. Rien dans ce projet de loi n’interdit aux employés visés d’assister à une réunion religieuse, de contribuer à une communauté religieuse de son choix et de participer activement aux différents rituels religieux offerts par sa communauté et ce peu importe sa religion d’appartenance. En ce cas, on ne peut affirmer que leur liberté de religion est niée par le projet de loi 21 tout comme on ne peut affirmer que les droits politiques d’un citoyen, employé de l’État, sont brimés par la Loi de la fonction publique.

Le projet de loi 21 provoque des réactions épidermiques chez ceux et celles qui prétendent que leurs droits, en vertu des chartes canadiennes et québécoises, sont bafoués et niés par ce projet de loi.  Si cela s’avérait ne pourrait-on pas prétendre que les droits politiques des fonctionnaires de l’État sont tout autant brimés et niés?

Les droits religieux ne sont pas plus ou moins importants que les droits politiques. Si certains jugements affirmaient le contraire, soit que les droits religieux ont préséance sur les droits politiques, cela signifierait que certains droits, prévus aux chartes, seraient plus importants que d’autres. Ce qui serait une négation du principe de l’égalité des droits.

Je nous invite donc collectivement à débattre, le plus sereinement possible, dans le cadre des règles démocratiques et juridiques qui sont un gage de respect de notre société démocratique.

Affirmer, une bonne fois pour toutes, la laïcité de l’État québécois dans une loi serait un grand pas dans l’affirmation de la séparation des Églises et de l’État.

Référence : chapitre F-3.1.1, Loi sur la fonction publique, à jour au 15 janvier 2019