Aérospatiale: Les syndicats Unifor visent toujours plus haut

2019/04/04 | Par Pierre Dubuc

Le 14 mars dernier, à Montréal, s’est tenu un important Sommet sur l’aérospatiale sous le thème « Toujours plus haut », à l’initiative des sections locales du secteur aérospatial du Syndicat Unifor. Renaud Gagné, le directeur québécois d’Unifor, s’est félicité d’avoir réuni sous une même enseigne des représentantes et des représentants de l’ensemble du secteur aérospatial dont les employeurs, les universitaires, les institutions d’enseignement, les grappes industrielles, les élus tant québécois que fédéraux et évidemment, les représentants des sections locales du syndicat Unifor.

« Ne manquait à l’appel que le ministre de l’Économie et de l’Innovation du Québec, Pierre Fitzgibbon, malgré les 17 appels logés pour s’assurer de sa présence », déplore Renaud Gagné, rencontré dans son bureau de Montréal. Pourtant, les emplois dans l’aérospatiale sont hautement qualifiés et bien rémunérés. Les salaires, nettement supérieurs à la moyenne industrielle, sont parmi ceux que le premier ministre François Legault affectionne.

 

Risque de recul

L’importance de l’aérospatiale pour le Québec, et plus particulièrement pour la région de Montréal, est fondamentale, comme le démontre l’excellent document produit par le Conseil industriel de l’aérospatiale et le Service de recherche d’Unifor. On y rappelle que l’industrie est responsable de 210 000 emplois directs au Canada et que près de 40 % des activités liées à l’aérospatiale sont au Québec.

L’industrie de l’aérospatiale du Canada est la sixième en importance au monde, derrière les États-Unis, le Royaume-Uni, la Chine, la France et l’Allemagne. Quand on exclut le secteur de la défense, l’industrie de l’aérospatiale canadienne se classait, en 2016, au troisième rang sur le plan de la production d’aéronefs et de moteurs.

Cependant, la concurrence est intense et Renaud Gagné craint pour l’avenir. « Pour l’ensemble des trois secteurs (Défense, commercial et technologies spatiales et de communications), on a perdu trois places comparativement à 2004. On est passé du 3e au 6e rang. Si on tombe au 10e rang, on n’existe plus. »

Un des principaux sujets d’inquiétude est la pénurie de main-d’œuvre. « Il y a actuellement 300 postes à combler chez Pratt & Whitney et plus de 2 300 dans la grande région de Montréal », de déclarer celui dont le syndicat représente plus 11 000 travailleuses et travailleurs de cette industrie. Selon Nathalie Paré, directrice générale du Comité sectoriel de main-d’œuvre en aérospatiale (CAMAQ), présente au Sommet, l’industrie devra pourvoir environ 37 000 emplois d’ici 2028.

Pour obliger les partis politiques à prendre des engagements concrets au cours de la prochaine campagne électorale fédérale, l’industrie canadienne a recruté l’ancien premier ministre Jean Charest pour diriger la réflexion sur la nécessité de se doter d’une stratégie canadienne. Il est venu présenter une mise à jour des travaux qu’il a menés au cours des derniers mois au Sommet organisé par Unifor. « Il doit remettre son rapport le 25 avril et le Sommet avait pour but, entre autres, de lui faire connaître le point de vue syndical », d’expliquer Renaud Gagné.

 

Salaires, travailleurs étrangers et sous-traitance

Le document produit par le Syndicat énumère une série de recommandations, qui touchent tous les aspects de cette industrie. Nous nous attarderons à quelques-uns d’entre eux qui touchent plus directement les travailleurs.

Au cours des dix dernières années, l’écart salarial entre les travailleurs de l’aérospatiale et le travailleur moyen est passé de 55 à 45 %. Les syndiqués ont noté une augmentation de l’utilisation des agences de placement temporaire pour pourvoir des postes permanents et du Programme des travailleurs étrangers temporaires, au détriment du perfectionnement des compétences et de l’expertise de la main-d’œuvre canadienne. Ils considèrent que ce recours aux travailleurs contractuels et temporaires (canadiens et étrangers) est en train de créer une sous-classe de travailleurs qui passent d’un lieu à un autre dans l’industrie aérospatiale.

Dans leur document, les syndiqués pointent aussi du doigt les gouvernements – d’importants clients – qui imposent des contraintes déraisonnables aux entrepreneurs en ce qui concerne les délais accorder pour effectuer une tâche, ce qui crée une concurrence intense qui exerce une pression à la baisse sur la qualité des emplois et la capacité des employeurs à former de nouveaux employés pour les tâches actuelles et futures.

 

Libre-échange

L’industrie est très intégrée aux chaînes d’approvisionnement mondiales. En Amérique du Nord, on calcule qu’un composant franchit la frontière canado-américaine sept fois en moyenne, avant d’être définitivement fixé à un aéronef.

Si la majorité des exportations canadiennes sont destinées au marché américain, les importations proviennent de plus en plus de pays émergents. Ainsi, le Mexique, avec ses bas salaires, a vu son nombre de firmes aérospatiales tripler au cours de la dernière décennie. À la faveur de traités commerciaux, d’autres pays s’invitent à la table commune. Les travailleurs voient avec inquiétude l’entrée en vigueur du Partenariat transpacifique qui prévoit que la Malaisie et le Vietnam bénéficieront de périodes de transition au cours desquelles ils pourront utiliser des mesures d’encouragement à l’investissement, interdites dans les autres pays, pour leur permettre de développer leur marché intérieur de l’aérospatiale.

 

Sécurité

Dans leur document, les syndiqués dénoncent les compressions budgétaires chez Transport Canada, qui aboutissent à une crise dans le domaine des inspections et, finalement, à une crise de sécurité généralisée.

Les fonds affectés à la sécurité, apprend-on dans le texte syndical, ont diminué de plus de 20 % depuis 2010, même si l’industrie est en plein essor. On souligne qu’en 2017, les pilotes inspecteurs et les inspecteurs du contrôle du trafic aérien de Transports Canada ont exprimé leurs préoccupations à l’égard de la sécurité dans l’industrie de l’aérospatiale en indiquant que le sous-investissement et l’inexpérience du personnel risquaient de provoquer des accidents graves.

Baisses salariales, sous-traitance, libre-échange, mesures d’austérité qui compromettent la sécurité des travailleurs et du public. Il sera intéressant de voir si ces préoccupations syndicales seront retenues par Jean Charest dans son rapport final.

 

Photo : Unifor