Au secours, Shakespeare !

2019/04/08 | Par Michel Rioux

Si Hamlet débarquait tout de go sur la planète Québec, je suis convaincu que sa célèbre phrase lui reviendrait à l’esprit.

« Something is rotten in the state of Denmark. »

Le jour du dépôt du projet de loi 21 sur la laïcité, j’ai écrit sur ma page Facebook : « Attachons nos tuques ! Préparons-nous à devenir xénophobes, islamophobes, racistes, fascistes, intolérants, ethnocentristes, suprémacistes blancs, fermés, chauvins et quoi encore. La loi sur la laïcité est déposée aujourd'hui. »

Cela n’a pas tardé.

Trois jours plus tard, une manifestation contre le racisme était organisée à Québec. Le président du Centre culturel islamique de Québec, monsieur Benabdallah, ouvrait la marche avec tout juste derrière lui une banderole clamant : Vous êtes pas écoeurés d’être racistes, bande de caves !

Quand même les mots perdent leur sens, arriver à se comprendre présente dès lors un coefficient de difficulté qui dut être celui d’Astérix dans ses douze travaux ! Assimiler racisme et critique de l’islamisme politique et militant est une interprétation abusive, indique le Robert. Le 2 avril, Tarek Fatah, columnist au Toronto Sun, écrivait ceci, qui devrait en ébranler plusieurs dans leurs certitudes : « Heureusement, pour nous musulmans qui combattons cette plaie de l’islam politique qui vise à nous éliminer tous, le Québec se tient de notre côté, même si l’intelligentsia canadienne, les féministes, la Gauche et le mouvement syndical nous ont abandonnés aux loups. De la part de toutes les victimes de l’islamisme : Merci Québec. Vive le Québec ! »

Le spectacle auquel se livrent ces nouveaux Apôtres de l’amour infini est pitoyable : soutenir, sans rire, qu’un foulard sur la tête et un foulard autour du cou pour se protéger du froid auraient la même signification, c’est prendre le monde pour des demeurés. Et tant qu’à y être, rappelons que Gabriel Nadeau-Dubois – qu’on a déjà connu plus brillant – était, l’autre jour, sur le point de se livrer à un amalgame dont lui et ses amis ont le secret en décrétant qu’une burqa, c’était un peu comme un masque d’infirmière ou un masque de soudeur. Une fois lancé dans ce type de raisonnement, il aurait pu décréter qu’un juge pouvait siéger avec un casque de soudeur, une infirmière donner des soins avec une burqa et une enseignante porter un masque d’infirmière. Et j’entends d’ici Socrate remettre à leur place ces petits sophistes de passage qui flashent à l’extrême gauche mais roulent à fond la caisse sur la voie du multiculturalisme canadian bien porté par les Trudeau et Couillard de ce monde.

La notion de « laïcité ouverte » dont on se réclame autant au PLQ qu’à QS – belle camaraderie – est une trouvaille de Benoît XVI dans un discours prononcé en septembre 2008 à Paris dans l’église des Bernardins. Il parlait aussi de « saine laïcité », insinuant par le fait même qu’il pouvait y avoir une « laïcité malsaine ». Les libéraux et qsistes multiculturels seront les premiers à s’étonner d’être en quelque sorte des fils spirituels et des compagnons de route de ce pape dont l’histoire ne retiendra certainement pas la très grande ouverture d’esprit.

Autrement dit, dans cette gauche bien-pensante et chez ces accrocs du modèle canadian, on fait du benoîtseizisme comme Jourdain faisait de la prose : sans le savoir.

Rien ne nous ayant été épargné, voilà que Charles Taylor s’écrie : J’ai honte ! Il parle certes de lui, qui a sacrifié à l’air du temps en reniant un rapport par lui signé et qui sert aujourd’hui de socle au projet de loi 21.

De même, après avoir attaqué la loi 101 jusqu’en Cour suprême, défendu un pitbull tueur, dénoncé la loi qui interdit de fumer dans des lieux publics, soutenu le droit de travailler sans carte de compétence, porté en Cour suprême un jugement déclarant illégales la construction d’une synagogue et d’une école hassidique à Val-Morin, défendu Mike Ward contre le petit Jérémy, fait accepter le port du kirpan à l’école, voilà que Me Julius Grey comprend ceux qui lancent des appels à la désobéissance civile et menace de porter à l’ONU la question de la laïcité. Ce chevalier des droits individuels aura toute sa vie combattu ces droits collectifs qui distinguent le Québec du ROC.

Le dernier mot à Boucar Diouf qui, avec tact et délicatesse, était intervenu sur ces questions il y a six ans déjà. « Si, avait-t-il écrit, on peut aujourd’hui, au Québec ou au Canada, choisir sa liberté et son féminisme dans le voile ou à découvert, non seulement on a un devoir de mémoire envers les artisans de cette liberté, mais on a aussi une obligation de solidarité envers ces consoeurs vivant dans des pays où les mêmes dogmes religieux, qui les empêchent encore de voter ou d’avoir un permis de conduire, les obligent aussi à se couvrir. »

Le destin du peuple québécois, selon Shakespeare : « To be or not to be, that is the question ! »