Lettre ouverte à monsieur Lionel Perez, Chef de l'opposition officielle à l’Hôtel de ville de Montréal

2019/04/17 | Par Victor Teboul

Cher monsieur Perez,

Je me permets de vous dire que je suis Juif tout autant que vous et tout autant Québécois que vous. Je ne bénéficie pas toutefois de la même tribune à laquelle votre fonction d'élu vous donne droit, même si vous ne représentez pas nécessairement ce que la majorité des citoyens et citoyennes du Québec pensent sur la place grandissante de la religion dans l’espace public.

En tant que Québécois et Montréalais, vous n’êtes pas sans connaître la longue marche entreprise par le Québec pour prendre ses distances vis-à-vis de sa propre religion catholique, ce que l’administration de votre collègue – notre mairesse de Montréal – a tout à fait reconnu en annonçant que le crucifix de la salle du Conseil municipal sera déplacé «dans un espace muséal» à la fin des travaux de rénovation en cours.

Est-ce logique que, parallèlement à ce geste, des élus de confession juive ou musulmane soient eux encouragés à afficher leurs propres appartenances religieuses alors qu’on ôte le symbole auquel la majorité catholique québécoise s’identifie ? Ne faudrait-il pas, selon la même logique et sans verser dans le cynisme, demander aux élus de déposer, à leur tour, au vestiaire leurs propres symboles pendant les délibérations du Conseil ?

J’ai, à maintes reprises, exprimé dans mes livres la nécessité pour le Québec de se démarquer du multiculturalisme, qui est une source de division, et j’ai fondé le magazine en ligne Tolerance.ca pour rappeler que l’esprit critique doit aussi prévaloir lorsque des adeptes de croyances religieuses s'expriment dans des tribunes publiques au nom des citoyens qu'ils ou elles représentent.

Aurait-on accepté qu’un mollah, un rabbin, un membre du clergé, ou même le dalaï-lama vienne nous influencer sur notre façon d’envisager notre vivre-ensemble alors que la société québécoise a pris ses distances vis-à-vis de sa propre religion et de tout dogmatisme idéologique, comme le démontre l’appui majoritaire que les Québécois ont accordé aux politiques pragmatiques du gouvernement Legault ?

La religion comme la politique est une question privée et nous n’avons pas à afficher ni à promouvoir nos appartenances religieuses et politiques dans la société civile lorsqu’on représente l’État, et encore moins lorsque nous sommes en position d’autorité, car nous représentons alors tous nos concitoyens et toutes nos concitoyennes, quelles que soient leurs convictions politiques ou religieuses.  C’est la neutralité qui doit primer dans l’exercice de nos occupations professionnelles et non nos convictions.

Vous utilisez, monsieur Perez, dans le cadre de vos fonctions, votre kippa et donc vos croyances religieuses pour faire la promotion de votre position politique. Est-ce digne de votre fonction, alors que vous vous devez de représenter tous les citoyens et toutes les citoyennes ?

La kippa, que vous êtes fier de porter et qui est tout à votre honneur, est effectivement un signe religieux que l’on porte pour se couvrir lorsqu’on prie, mais elle ne définit nullement l’identité juive, puisque la grande majorité des Juifs dans le monde, y compris dans les sociétés laïques, comme en France et même en Israël, ne sont pas moins Juifs parce qu’ils ne la portent pas.

Dois-je vous rappeler que les signes religieux peuvent être source de divisions parce qu’ils sont aussi porteurs de sens - et même serait-on tenté d’ajouter de charge - politique ?

La kippa peut aussi représenter aux yeux des Palestiniens, par exemple, – et aux yeux de nombreux Israéliens et de nombreux Juifs  - l’occupation des terres palestiniennes par des colons israéliens qui justifient eux aussi leurs actions en utilisant la religion, comme le voile – qu’il soit ou non intégral – peut aussi rappeler, notamment aux femmes qui refusent de le porter dans les pays fondamentalistes musulmans, la répression de toutes les libertés que nous considérons comme fondamentales.   

Lorsqu’on ignore, monsieur Perez, le fait que les symboles religieux peuvent aussi être porteurs de charge politique, cela contribue inévitablement à compromettre la paix sociale et ultimement à nous diviser.  

Victor Teboul, écrivain, résident de l’arrondissement Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce et directeur du magazine Tolerance.ca www.tolerance.ca

Source: https://www.tolerance.ca/Article.aspx?ID=443012&L=fr