Notre-Dame ressuscitera

2019/04/19 | Par Pierre Jasmin

L’auteur est artiste pour la paix

La caricature, méchante, reflète néanmoins l’incompréhension des réfugiéEs et autres « gueux misérables » de Hugo devant ces centaines de millions d’Euros promises par des hommes d’affaires et par une société comme TOTAL, dont on souhaiterait qu’ils s'émeuvent autant des morts de réfugiés climatiques au Mozambique et des réfugiés de guerres au Liban et en Jordanie (le film Capharnaüm en montre la dure réalité!) en versant au Haut-Commissariat de l'ONU pour les Réfugiés des montants équivalents.

Chez nous, ce sont ces réfugiéEs qui comme le Conseil municipal de Montréal et comme Québec Solidaire, nous font hésiter à approuver le projet de loi 21. Si nous avons approuvé et félicité le projet unanime de l’Assemblée nationale de s’affirmer face à Ottawa[1] et celui de décrocher le crucifix-grimace à l’objectivité de ses débats, les Artistes pour la Paix ont fait paraître l’article reproduisant les écrits de Guy Demers : « Il faut comprendre que beaucoup de personnes réfugiées arrivent au Canada et au Québec aujourd’hui, portant des signes culturels et religieux (je ne fais pas trop la différence). Elles n’ont pas vraiment choisi de quitter leur pays, y ayant été forcées par la guerre et la misère. Nous devons comprendre leur déchirure culturelle et devons faire le maximum pour les aider dans la transition vers notre pays culturel, en commençant par vraiment leur faciliter accès dans tous les domaines de l’emploi, malgré et avec leurs signes culturels, si cela est le cas. Nous devons ainsi pouvoir leur montrer que notre société est aussi belle et solidaire à vivre que possible, en évitant de part et d’autre la surenchère religieuse ou culturelle (y compris la surenchère de la religion laïque). » Ces réfugiéEs ne sont-ils pas déjà suffisamment traumatisés par Trump et par la nouvelle loi d’immigration subrepticement passée par Trudeau limitant leurs recours juridiques? 

 

IMPLANTONS NOTRE LAÏCITÉ D’ABORD

Tel qu’habilement défendu par le ministre Simon Jolin-Barrette, le projet de loi se veut pro-laïcité. Observons de près les commentaires négatifs qui ont accueilli son volet enseignement. Plutôt qu’exiger simplement le retrait du passe-droit accordé par la CAQ aux écoles religieuses, Québec Solidaire et le Parti Québécois devraient unir leurs forces pour d’abord proposer un retrait de toutes subventions, y compris les exemptions fiscales, aux écoles privées religieuses, puisque science (faits) et foi (propagande ou mythologie surnaturelle) sont incompatibles (ce qu’INFOMAN nous démontre avec adresse et humour chaque semaine); ensuite exempter de l’application de la loi toute école religieuse qui renoncerait à ses subventions, mais imposer la laïcité aux autres, en contrepartie normale de leur acceptation de l’argent gouvernemental.

Certains commentateurs prennent prétexte de la loi pour réclamer subrepticement la fin du cours Éthique et culture religieuse. Pourquoi le remettre en cause au moment critique où l’éthique en politique est mondialement battu en brèche par des populistes recourant à toutes sortes de désinformations et falsifications? Pourquoi joindre les rangs des Philistins pour attaquer la culture religieuse, tant les magnifiques sculptures géantes de Bouddha (démolies par les Taliban) que les Passions de Bach jugées trop longues par les incultes incapables de s’imprégner de leurs savantes structures et de leur infinie compassion ?

La « forte profession de foi laïque » des deux tiers des Québécois (selon les sondages) rejoint nos combats culturels progressistes et nos sensibilités encore meurtries par :

-  l’ostracisme vécu il y a soixante-dix ans par les auteurs du manifeste du Refus Global, forcés de s’exiler par l’élite catholique, réfractaire à l’art libérateur;

- le combat de Georges-Émile Lapalme et du Rapport Rioux-Ouellette, trois fois trahi, selon René-Daniel Dubois qui s’est exprimé en une émouvante conférence à la Bibliothèque archives Nationales du Québec le 21 mars dernier, au cours de laquelle l’auteur-scénariste-metteur en scène et comédien a éclaté en sanglots à deux reprises. Il pleurait le sort peu enviable des futurs jeunes créateurs confiés à sa pédagogie, vu le mépris des valeurs artistiques démontré par notre monde matérialiste. Il a cité en exemple « l’infâme politique culturelle de Liza Frulla-Hébert qui a eu pour effet de reléguer les créations, soit dans un folklorisme infantilisant, soit dans la boursouflure de Las Vegas » ;

-  les combats syndicaux de l’UQAM, tant professoraux qu’étudiants, appuyés par Guy Rocher de l’Université de Montréal, contre l’influence libéralo-cléricale de notre propre recteur Claude Corbo allié à des religieuses rétrogrades telle Marcelle Corneille[2];

- les critiques qui ont miné le film Quand les pouvoirs s’emmêlent ;

- l’influence néfaste des bérets blancs et des Témoins de Jéhovah ;

- les manœuvres cléricales luttant contre l’avortement et l’aide médicale à mourir;

- les crimes sexuels, entre autres pédophiles, commis par des frères, prêtres et missionnaires contre les populations innues et haïtiennes particulièrement vulnérables ;

- l’antiféminisme et l’antiécologisme de commentateurs et politiciens conservateurs attaquant les Véronique Hivon, Martine Ouellet, Marwah Rizqy, Françoise David, Sonia LeBel, Ruba Ghazal, Marguerite Blais, Christine Labrie, Manon Massé etc.

Jusqu’à présent, le gouvernement de la CAQ, sous les règles de discipline édictées par le Premier ministre Legault, a (à part la ministre Guilbeault) sagement renoncé à fouler le sentier explosif d’une chasse aux signes ostentatoires. Cette modération n’a hélas pas empêché les adeptes anglophones du Quebec bashing de s’en donner à cœur joie et les trois villes de l’Ouest de Montréal d’en appeler à la désobéissance civile.

 

NOTRE-DAME VUE PAR UN LAÏC

D’où vient donc l’incroyable sentiment de perte qui oppresse mon cœur laïc depuis l’incendie qui a ravagé Notre-Dame de Paris? De mon enfance animée d’une naïve foi inébranlable dans le Christ et son sacrifice? Ma longue adolescence (9 ans d’études à l’étranger) auprès de femmes aimantes de pays païens m’en avait pourtant guéri, sans compter la musique, maîtresse inassouvissable…

Comment ce sentiment de perte reste intense, malgré l’irritation face à la crédulité de certains fervents catholiques, persuadés et satisfaits que la Sainte Couronne d’épines (!), « posée sur la tête de Jésus peu avant sa crucifixion », ainsi qu’un morceau de la Croix et un clou de la Passion (sic et re-sic!) aient été sauvés des flammes?!? Avec de telles superstitions, les Français peuvent bien avoir commis de longues processions contre le mariage homosexuel, contre l’aide médicale à mourir pour des êtres souffrants et contre l’avortement, même en dernier recours, de victimes de guerre violées! Et mon irritation a d’autant plus grandi que j’ai appris la nouvelle de l’incendie en sortant d’une projection de l’excellent film de François Ozon, Grâce à Dieu, sur le combat ardu que des victimes ont dû livrer pour mettre hors d’état de nuire un seul prêtre pédophile faisant des centaines de victimes chez les Scouts à Lyon.

Mais me voilà ému aux larmes devant ces pierres taillées restées debout, malgré le feu qui a ravagé la charpente quasi-millénaire, en pensant aux artisans-artistes qui ont œuvré près de deux siècles à tâtons à partir de 1163, sans avoir aucunement la certitude que leur travail aboutirait un jour à la complétion du monument. Combien leur a-t-il fallu de foi, pour jour après jour se remettre à l’ouvrage, avec dans leur cœur une simple esquisse de ce qu’ils étaient en train de créer? Quel miracle humain que leur humilité laborieuse : mes enfants ont-ils retenu cette leçon suite à leur visite de ce monument le plus visité au monde (les militaristes vont me contredire en évoquant la muraille de Chine dont la vastitude et le côté brut devraient l’exclure de la compétition)?

Musicien, me touche la perte du petit orgue, même si celui de cinq claviers et 8000 tuyaux, qui avait mis trois siècles à atteindre sa taille imposante, pourra revivre avec des soins étalés sur dix années. En arrosant le beffroi dont l'effondrement aurait pu entraîner toute la structure de pierres, les pompiers qu’on félicite à bon droit, ont aussi sauvé ses montants de bois intérieurs qui soutenaient les cloches : il faudra quelque temps sans doute avant de réentendre leurs tintements d’allégresse (ceux qui ont célébré la déroute nazie en 45) et le bourdon qui rappelle l’épisode de fonte du bronze dans le chef d’œuvre de Tarkovsky, Andreï Roublev, auquel le réalisateur et dessinateur québécois Félix Dufour-Laperrière vient de rendre hommage dans son admirable film Ville Neuve.

Amoureux des arts visuels, des couleurs et des lumières, me bouleverse la perte de sculptures, tableaux et vitraux sacrés, même si « un miracle » semble en avoir préservé une bonne part, et même les rosaces construites au XIIIe siècle dont la luminosité de la Seine avoisinante accroît la splendeur. On retournera à Chartres pour se consoler avant leur restauration.

Enfin, admirateur de Victor Hugo et de sa légende romantique habilement reprise par Luc Plamondon et la mise en scène de Gilles Maheu en intégrant et en valorisant gueux, réfugiéEs et gitans, je comprends le havre de paix sacrée, Notre-Dame-de-Paris, d’être devenu au Québec une référence incontournable, avec sa compassion mariale qui tempère la sévérité gothique chrétienne : notre premier artiste pour la paix de l’année[3] (1989), Daniel Lavoie, Garou et les autres ont su imposer sur tous les continents une œuvre dont l’humanisme a séduit les publics internationaux, croyants et incroyants.

Réjouissons-nous que l’architecture emblématique célébrée comme patrimoine artistique de l’UNESCO survivra, symbole d’une humanité triomphante …jusqu’à ce qu’une bombe nucléaire nous en sépare à jamais? Reconstruire s’impose mais coûtera très cher, s’est-on plaint? La centrale nucléaire de Flamanville en France a maintenant 8 ans de retard, n’a même pas l’assurance d’être complétée et a déjà coûté $17 milliards. Et chaque année, se gaspillent sur notre planète plus de cent milliards de $ dans la modernisation des armes nucléaires, dont une part par la France…

 

[1] « Le peuple québécois est libre d'assumer son propre destin, de déterminer son statut politique », déclare la motion déposée par Pascal Bérubé, chef par intérim du Parti québécois. Le texte a été adopté, sans débat, après un vote par appel nominal où chaque député s'est levé pour signifier son accord. La motion « condamne la volonté du gouvernement canadien de brimer le droit inaliénable du peuple québécois de choisir librement le statut politique du Québec en le rendant conditionnel à un amendement à la Constitution canadienne ». Elle approuve implicitement le recours à la clause nonobstant.

[2] Je lui dois, ainsi qu’à Miklos Takacs, la création de la Chorale UQAM avec qui j’interpréterai ce soir 19 avril la Fantaisie chorale de Beethoven en l’Église Saint-Jean Baptiste.

[3] Incidemment, une cérémonie aura lieu à l’édifice du Conseil des Arts rue Sherbrooke mardi prochain le 23 avril pour célébrer l’APLP2019 Robert Lepage, Nathalie Bondil et la regrettée Pauline Julien.