Ségrégation scolaire au Québec

2019/04/23 | Par L’école ensemble

Dans un texte paru paru le 8 avril (Éducation : abolir le financement au privé n’est pas la solution), le président de la Fédération des établissements d’enseignement privé (FEEP) tente de nous convaincre que les écoles privées subventionnées doivent être maintenues sous perfusion étatique comme c’est le cas depuis 1968 grâce à une loi de la défunte Union nationale.

Ce texte est un intéressant exemple de l’évolution du discours du lobby du privé. Depuis longtemps, les privilèges consentis aux écoles privées attisent les rancœurs. L’injustice fiscale saute aux yeux (pourquoi tous les contribuables payeraient-ils pour le choix de quelques-uns ?), mais de plus en plus, c’est leur privilège de pouvoir choisir leurs clients (ce qui est leur avantage concurrentiel dans notre marché scolaire) qui est la cible des critiques. L’acceptabilité sociale pour les examens d’entrée, les frais de scolarité, le renvoi d’élèves indésirables ou toute autre méthode de tri des enfants est en chute libre.

La FEEP a donc adapté son discours et c’est à coup de publireportages lénifiants qu’elle met de l’avant la grande ouverture de ses membres. Trois glissements de sens, typiques de ce lobby usé, sont ici à relever. Premièrement, la FEEP vante la présence de nombreux élèves en difficulté dans ses rangs, laquelle est mesurée non pas par le nombre d’enfants handicapés ou en difficulté d’adaptation et d’apprentissage (HDAA dans le jargon de l’éducation), mais plutôt par le nombre de plans d’interventions. Or ceux-ci sont auto-octroyés et ne peuvent donc pas être comparés avec ceux qui existent dans les réseaux publics (ordinaire et sélectif). Comparer un plan d’intervention au privé pour un problème de comportement à un autre au public pour dysphasie ne nous renseigne sur rien d’utile.

Deuxième glissement de sens, le lobby prend bien soin de ne jamais parler de la composition socio-économique de ses écoles. C’est pourtant le nerf de la guerre, tous le savent. Il est en cela aidé par le ministère de l’Éducation qui ne rend publique aucune information concernant le revenu des parents du privé. Le Mouvement L’école ensemble a contourné cette omerta en faisant analyser les données des enfants québécois qui participent à l’examen international PISA de l’OCDE. Les résultats sont sans appel : il y a six fois plus d’enfants défavorisés au public qu’au privé (29,8 % contre 5,6 %). Ces chiffres auraient dû provoquer un débat d’urgence à l’Assemblée nationale. Et imaginez si nous avions pu isoler les chiffres du public sélectif et comparer le privé au public ordinaire… Je préfère ne pas y penser.

La ségrégation scolaire, trait distinctif du système scolaire québécois, a longtemps été ignorée par le lobby du privé. Autre évolution notable de son discours : il tente maintenant d’y opposer une réponse. Mais il le fait encore de manière à induire en erreur, par exemple quand son président fait dire à l’excellent rapport de l’Unicef Un départ dans la vie marqué par les injustices que « c’est en Ontario qu’on observe le plus d’écart entre les élèves de milieux défavorisés et les autres ». C’est faux : c’est au Québec que l’écart entre défavorisés et favorisés est le plus élevé (45 points d’écart contre 38 en Ontario alors que la moyenne canadienne est de 39) [voir p. 21].

Le président de la FEEP confond ici les chiffres d’inégalités de résultats (l’écart dans les résultats des enfants des 10e et 90e percentiles de la distribution) et ceux mesurant l’équité. Il s’agit d’un troisième glissement de sens : confondre égalité et équité. Comme le dit l’Unicef, « Alors que l’inégalité est liée aux différences, l’iniquité est liée aux différences qui sont injustes. Les iniquités scolaires sont liées aux différences dans les occasions d’apprentissage et les résultats qui découlent de conditions et d’avantages injustes offerts à certains enfants, telles que des variations dans le financement scolaire. » Et répétons-le : plus il y aura de mixité scolaire, plus l’équité sera élevée, et plus nos résultats d’ensemble seront bons.

Avec ses sorties médiatiques, le lobby du privé se discrédite. Il semble de plus en plus évident qu’il n’aspire pas à faire partie de la solution. Le changement dont nous avons tant besoin se fera sans lui.


Mouvement L'école ensemble
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