La réconciliation avec les Premières Nations passe-t-elle par une participation financière dans les pipelines?

2019/04/26 | Par Pierre Dubuc

Au cœur du programme politique de Justin Trudeau, il y avait la réconciliation avec les Premières Nations. Des gestes ont été posés (création de la Commission Vérité et Réconciliation, mea culpa devant l’ONU, excuses pour les pensionnats autochtones, etc.), mais le plus important était peut-être la nomination de la députée autochtone Jody Wilson-Raybould au poste névralgique de ministre de la Justice.  Justin Trudeau a présenté, lors de la formation de son cabinet, cette nomination comme le symbole de sa politique de réconciliation du Canada avec les Autochtones, effaçant d’un coup de chapeau le passé impérialiste du pays.

Les choses ont mal tourné avec l’affaire SNC-Lavalin, alors que Mme Wilson-Raybould a refusé d’intervenir auprès de la Procureure générale pour que la firme d’ingénierie puisse bénéficier des avantages de la nouvelle loi sur les réparations.

Les commentateurs politiques ont exprimé leur incompréhension de la relation si particulière entre le Premier ministre et son ex-ministre de la Justice, qui a amené M. Trudeau à se plier à ses desiderata avant de se résigner à lui montrer la porte du caucus après de longs mois de tergiversations.

Selon nous, M. Trudeau a agi ainsi tout simplement parce que Jody Wilson-Raybould est une leader autochtone très estimée dans sa communauté et que le gouvernement Trudeau a besoin de l’accord des Autochtones pour construire les pipelines, qui vont acheminer le pétrole des sables bitumineux vers les marchés mondiaux.

Comment expliquer que Mme Wilson-Raybould continue aujourd’hui à embêter régulièrement Justin Trudeau? De la rancœur? Un conflit de personnalités? Une question de principe? Peut-être. Mais il se pourrait également que Mme Wilson-Raybould soit une pièce importante dans le cadre des négociations que mène le gouvernement avec des groupes autochtones pour la mise en chantier du pipeline Trans Mountain en Colombie-Britannique.

 

TransMountain

Au mois d’août 2018, la Cour d’appel fédérale avait annulé le décret pour l’expansion de l’oléoduc Trans Mountain, dont le gouvernement fédéral est propriétaire, et ordonné à l’Office national de l’énergie (ONE) de reprendre certaines étapes du processus d’évaluation et de consultation. L’ONE a refait ses devoirs et a donné le feu vert environnemental au projet.  Le volet « nouvelle consultation des Autochtones » s’est poursuivi et le gouvernement doit annoncer sa réponse le 18 juin prochain.

Dans le cadre de cette « nouvelle consultation avec les Autochtones », il y a fort probablement la négociation en cours pour une participation de groupes autochtones dans le consortium à qui le gouvernement cédera le pipeline qu’il a acquis de la compagnie Kinder Morgan pour une somme de 4,5 milliards $.

D’après le Globe and Mail du 6 avril 2019, un groupe d’Autochtones ayant à sa tête un ancien chef d’une Première Nation de la Saskatchewan veut se porter acquéreur de 51% de l’ensemble du projet d’une valeur totale de 13 milliards $. Le groupe serait financé par les grandes banques torontoises. Un autre groupe autochtone de Colombie-Britannique, dirigé par le chef Michael Le Bourdais de la Western Indigenous Pipeline Group, est également sur les rangs. Par contre, la nation Tseil-Waututh de la région de Vancouver exprime toujours une forte opposition au projet.

 

D’autres projets

Il y a des antécédents et d’autres projets en cours de partenariats des nations autochtones avec les pétrolières et les banques de Bay Street. En 2017, les Cris Mikisew et les Premières Nations de Fort McKay ont acquis 49% des actions dans un site d’entreposage des sables bitumineux d’une valeur de 503 millions $ de Suncor Energy.

Au nord de la Colombie-Britannique, le First Nation Leadership Group (FNLG), qui regroupe 20 conseils de bande, a présenté une offre pour l’achat de 22,5% des actions du pipeline de TransCanada Corp’s Coastal GasLink, qui doit acheminer sur une distance de 620 kilomètres du gaz naturel jusqu’à l’usine de liquéfaction du port de Kitimat. Le projet est d’une valeur de 18 milliards $. Selon le Globe and Mail du 9 avril 2019, le montage financier sera structuré de façon à profiter des exemptions prévues pour les Premières Nations dans la Loi canadienne de l’impôt sur le revenu.

Comme dans le cas du projet Trans Mountain, des groupes écologistes et autochtones s’opposent au projet, dont un groupe de huit chefs traditionnels de la nation Wet’suwet’en.

Il serait intéressant de savoir où se situe Mme Wilson-Raybould dans ces projets. Est-elle du côté des écologistes et des chefs traditionnels? Ou bien est-elle du côté des promoteurs autochtones? Dans ce dernier cas, sa démission et ses attaques répétées contre Justin Trudeau ont-elles pour effet de rendre le gouvernement plus conciliant dans ses négociations avec les promoteurs?

En passant, le groupe de la Saskatchewan, qui veut se porter acquéreur de Trans Mountain, s’appelle « Project Reconciliation »…