Aide fédérale : il est encore minuit moins une pour les médias écrits

2019/05/02 | Par Monique Pauzé

L’auteure est députée du Bloc Québécois

Depuis deux décennies, la presse écrite au Québec et au Canada agonise. Au Québec, 43 % des emplois dans ce secteur ont été perdus entre 2009 et 2015. Pourquoi ? Parce que les géants du web qui n’engagent aucun journaliste et ne produisent aucun contenu s’accaparent l’essentiel des revenus publicitaires. À minuit moins une, Trudeau a décidé de débloquer des fonds, mais il ne fait rien pour s’attaquer à la source du problème. Les géants du web pourront continuer de faire la pluie et le beau temps aux dépens de nos médias.

Si la presse écrite a continué de s’éroder durant le mandat du Parti libéral du Canada (PLC)  tout comme l’accessibilité à une information de qualité, l’énoncé économique fédéral de mars 2019 propose d’instaurer trois nouvelles mesures fiscales pour soutenir le journalisme au Canada. Ces nouveaux crédits d'impôt, d'une valeur de 595 millions $ sur cinq ans, sont généralement bien accueillis, mais quand on est sur le respirateur artificiel, difficile de ne pas apprécier un peu d’oxygène.

Les mesures du budget Morneau permettent dorénavant  aux organisations journalistiques de s’enregistrer en tant que donataires reconnus, de bénéficier d’un crédit d’impôt remboursable pour la main-d’œuvre en plus de créer un crédit d’impôt non remboursable pour encourager les abonnements aux médias d’information numériques canadiens. Évidemment, nul ne peut être contre l’utilisation de fonds publics afin de garantir à la population l’accès à une presse libre et indépendante, mais cette aide omet de mettre des balises pour que les journaux offrent une diversité de points de vue.

 

Statut de donataire reconnu

Si plusieurs ont sursauté en mai 2018 en apprenant que le journal La Presse se séparait de Power Corporation pour devenir un organisme à but non lucratif (OBNL), ils comprennent maintenant que les étoiles se sont alignées pour le journal d'obédience fédéraliste.

Le gouvernement du Canada offrait déjà un soutien à certaines catégories d’organisations, dont les organismes de bienfaisance, qui sont appelés « donataires reconnus » dans la Loi de l’impôt sur le revenu. Le budget de 2019 propose maintenant d’ajouter les organisations journalistiques à la catégorie des donataires exonérés d’impôt.

Cette pratique vient bien sûr remettre en cause l’objectivité des journaux qui pourront recevoir de généreux dons de particuliers ou d’entreprises. Le gouvernement a mis en place quelques mesures afin de veiller à ce que l’on n’ait pas recours aux organisations journalistiques pour la promotion de points de vue ou d’objectifs d’une personne en particulier ou d’un groupe, mais est-ce que ce sera suffisant?  Personnellement, je crois que les grands médias continueront de se distinguer par leur politique éditoriale néolibérale et antisyndicale.

Je vais ici en profiter pour faire une parenthèse sur l’aut’journal qui célèbre cette année ses 35 ans. J’ai rencontré Pierre Dubuc  au milieu des années 90.  Tout de suite j’ai su que c’était un homme de principes. S’il reconnaît l’importance d’une presse libre et indépendante, il connaît aussi la réalité dans laquelle se trouve la presse écrite. En mettant de l’avant la vision des travailleurs, celle des syndicats ainsi que l’indépendance du Québec, l’aut’journal fait office de contre-pouvoir et rétablit un certain équilibre. Quand j’écris à titre de députée du Bloc québécois, un parti indépendantiste, il n’y a pas de doute sur mes intentions. Bon, je retourne au budget.

 

Crédit d’impôt remboursable pour la main-d’œuvre

Il s’agit sans équivoque de  la mesure la plus intéressante de ce budget en vue de soutenir la presse écrite. L’énoncé 2019 propose d’instaurer un nouveau crédit d’impôt remboursable de 25 % sur les salaires et traitements versés aux employés de salle de presse admissibles. Ce crédit sera toutefois assujetti à un plafond des coûts de main-d’oeuvre de 55 000 $ par employé de salle de presse admissible par année. Ainsi, le crédit maximum à l’égard des coûts de main-d’œuvre admissibles, par personne et par année, sera de 13 750 $.

Pour la Fédération nationale des communications (FNC-CSN) qui a accueilli favorablement l’ensemble des mesures de ce budget, il n’y a qu’une seule ombre au tableau. L’organisation, qui représente environ 6 000 salariés du secteur des communications et de la culture au Canada, avait demandé à ce que le crédit d’impôt sur la masse salariale corresponde à 35 % de la masse salariale totale des entreprises de presse, alors que le budget prévoit un crédit de 25 % qui vise spécifiquement les salles de rédaction.

Est-ce que cette mesure permettra aux journaux de survivre un peu plus longtemps ? Sans aucun doute. Est-ce que cette mesure permettra d’embaucher de nouveaux journalistes alors que les salles de nouvelles ont été amputées de moitié depuis 2010 ? Ça reste à voir.

 

Crédit d’impôt non remboursable pour encourager les abonnements aux médias d’information numériques

Le budget de 2019 propose également un crédit d’impôt non remboursable temporaire de 15 % sur les montants que paient les particuliers pour les abonnements aux services d’information numériques admissibles. Cette dernière mesure permettra aux Canadiens de demander jusqu’à 500 $ en frais d’abonnements numériques  au cours d’une année d’imposition, pour un crédit d’impôt d’une valeur maximale de 75 $ par année. Dans le cas d’abonnements combinant des produits numériques et papiers, les particuliers ne pourront demander plus que le coût d’un abonnement numérique.

Cette mesure sera-t-elle efficace étant donné l’immense quantité de contenu gratuit disponible en ligne ?

Il reste que, malgré toutes ces mesures, le gouvernement n’a rien fait pour lutter contre la détérioration de l’environnement dans lequel les médias évoluent.

Le Québec ne peut pas passer son temps à attendre d’être sauvé par des politiques canadiennes qui n’arrivent qu’à l’aube des prochaines élections. Il est plus que temps qu’on prenne notre information en main.