L’industrie de la mode : un désastre environnemental et humain

2019/05/14 | Par Monique Pauzé

L’auteure est députée du Bloc Québécois

Robes de soirée, costards, vêtements griffés, vêtements de sport, jeans ou prêt-à-porter, quel est le véritable prix de ces vêtements ? Le coût réel est bien plus élevé que vous ne pouvez l’imaginer lorsque vous passez à la caisse. Pourquoi? Parce que l’industrie de la mode est la deuxième industrie la plus polluante au monde, qu’elle s’est constituée et évolue sur le dos des travailleuses et des travailleurs, brimant les droits humains au point d’entraîner la mort !

On a souvent beaucoup d’informations qu’on assimile une à la fois, en silo, sans faire de liens. Il en est ainsi du textile. Nous achetons trop souvent nos vêtements sans nous soucier de sa provenance, sans nous questionner sur la composition du tissu, qui provient de la pétrochimie, de plantes, de poils d’animaux ou encore de leur peau.

 

Une industrie polluante

Quels sont les effets de cette industrie sur l’environnement ? Ils sont nombreux et de divers ordres, pollution, épuisement de ressources naturelles, maladies, etc. Le film True Cost nous rappelle que nous oublions trop souvent de prendre en compte toutes les étapes nécessaires à la fabrication de nos vêtements lorsque nous faisons nos choix vestimentaires. Pourtant, l’industrie de la mode est responsable chaque année de l’émission de 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre. Pas très étonnant, la majeure partie de l’électricité utilisée par les plus grands fabricants de vêtements au monde est produite par la combustion du charbon. Une source d’énergie très néfaste pour ses émissions de GES, mais aussi parce que son extraction peut entraîner l’érosion des sols et la pollution des nappes phréatiques.

La consommation d’eau est aussi très importante dans l’industrie de la mode. Par exemple, il faut énormément d’eau pour cultiver les céréales nécessaires à l’élevage du bétail, dont la peau sera appelée à devenir un blouson ou un pantalon. Selon la Fondation MacArthur, 4 % de l’eau potable est utilisée pour produire nos vêtements. L’équivalent de 70 douches est nécessaire à la fabrication d’un chandail et 285 pour un jean. Du champ à l’usine, de la boutique à notre laveuse, les produits toxiques ne cessent de se mélanger à l’eau. Une étude démontre que 70 % des particules de microplastique, qui se retrouvent dans les usines de traitement des eaux usées, proviennent de fibres textiles. À la faveur des courants marins, certaines de ces particules ont même fait leur chemin jusqu’en Arctique.

Je ne m’éterniserai pas ici sur les fibres synthétiques comme le polyamide, le polyester, le spandex, le Lycra, et j’en passe, qui sont toutes des fibres issues du pétrole ou du charbon. Si le coton est considéré comme une fibre naturelle, il faut savoir que, contrairement au lin et au chanvre, la production de coton nécessite de grandes quantités d’eau. Les plantations de coton sont également arrosées de pesticides, d’herbicides et d’engrais qui se diffusent dans l’environnement et empoisonnent les travailleuses et les travailleurs. Une étude sino-américano-suisse, qui s’est étalée sur 30 ans, a clairement établi une relation entre l’exposition aux poussières de coton et aux endotoxines des travailleuses et travailleurs de Shanghaï, et les cancers des poumons et gastro-intestinal. La culture du coton consomme 25 % des pesticides et 10 % des engrais utilisés dans le monde. Ces intrants chimiques peuvent même intoxiquer le consommateur.

La Chine paye un coût environnemental élevé pour être la capitale mondiale de la création de vêtements. Près de 70 % de ses cours d’eau seraient pollués à cause de l’industrie textile. Il n’est pas rare de voir des rivières colorées par les teintures toxiques utilisées pour la mise en marché des vêtements aux couleurs chatoyantes que nous portons.

 

De l’esclavagisme moderne

Si, un peu partout en Occident, être bien habillé est synonyme de réussite, ces costumes d’apparats, dont nous nous drapons, sont malheureusement souvent le fruit de l’exploitation d’autres êtres humains. En 2017, l’Unicef affirmait qu’environ 168 millions d’enfants, soit plus de 10 % des enfants dans le monde, sont soumis au travail forcé. Le Global Slavery Index (l’Indice mondial de l’esclavage) rapporte que, de nos jours, 40 millions de personnes vivent comme des esclaves et que bon nombre d’entre elles travaillent dans des usines de textiles à fabriquer les vêtements de grandes marques internationales. L’Overseas Development Institute, quant à lui, estime qu’au Bangladesh, 15 % des enfants, âgés de 6 à 14 ans, des bidonvilles de la capitale ne vont pas à l’école et travaillent à temps plein, souvent jusqu’à 64 heures par semaine. Ce chiffre grimpe à 50 % à l’âge de 14 ans.

Pourquoi une multinationale fabrique-t-elle ses vêtements à des milliers de kilomètres du lieu de vente, bien que leur transport représente un coût considérable ? Pourquoi est-elle prête à engager des enfants, les privant ainsi de leur enfance, de leur potentiel et de leur dignité ? Parce c’est rentable, très rentable. Quand elle peut engager de la main-d’œuvre bon marché et qu’elle n’a pas à se soumettre aux normes de sécurité plus strictes de nos pays industrialisés, elle engrange des profits faramineux. Malheureusement, cette avidité peut être mortelle.

En 2012, un incendie est survenu à l'usine Tazreen Fashion, en périphérie de Dacca, qui est un fournisseur de Walmart. L’incendie a causé la mort de 111 personnes. Les victimes, dont de nombreuses femmes, sont mortes par asphyxie et intoxication ou en sautant dans le vide. Une centaine de personnes ont également été blessées. Selon des ouvriers, les responsables leur avaient demandé de rester à leur poste, en affirmant qu'il ne s'agissait que d'un exercice d'alerte incendie.

L’année suivante, l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh, où on fabriquait notamment les vêtements Joe Fresh, a fait 1 127 morts. Par miracle, 2 500 personnes furent rescapées. Une image valant mille mots, je vous invite à effectuer une recherche pour constater l’horreur de cette scène. Un drame humain qui aurait pu être évité.

Ces enfants, ces travailleuses et ces travailleurs présents dans les plis de nos vêtements vivent dans une pauvreté extrême et sont soumis à des conditions de travail horribles. Ils ont bien peu de chance d’aspirer à une vie meilleure, si collectivement nous ne revoyons pas nos modèles de consommation. Je vous invite donc à lire l’étiquette de vos vêtements la prochaine fois que vous magasinerez. Rappelez-vous qu’après de nombreuses dénonciations, la compagnie Nike est devenue la personnification de ce système d’exploitation partout dans le monde. Aux Jeux olympiques de 1992, une manifestation s’est tenue pour dénoncer les pratiques de l’entreprise. Par la suite, elle a été forcée de revoir ses façons de faire. 

Plusieurs entreprises de chez nous tentent d’offrir des vêtements écoresponsables, mais il n’existe malheureusement pas au Québec et au Canada de contrôle gouvernemental pour l’appellation des tissus dits « biologiques ». Cette certification existe uniquement pour les produits alimentaires. Il y aurait des pressions à faire en ce sens, mais à voir le gouvernement Trudeau financer les pollueurs et refuser d’étiqueter la nourriture génétiquement modifiée, on peut penser que l’environnement et l’exploitation des travailleuses et des travailleurs à l’étranger ne font pas partie de ses priorités. Pour que les choses changent, le Québec doit pouvoir intervenir avec d’autres pays sur la scène internationale. Mais, pour cela, il faut qu’il soit un pays, un État indépendant.