Le recours aux mères porteuses étudié à la lumière de la dignité humaine

2019/05/29 | Par Diane Guilbault

L’auteure est présidente de Pour les droits des femmes (PDF)

Bien qu’il existe depuis plusieurs décennies, le recours aux mères porteuses fait souvent les manchettes, mais semble oublié par l’éthique et la sociologie. Maria De Koninck nous offre enfin cette nécessaire analyse des enjeux sous-jacents à cette pratique médiévale remise au goût du jour par l’industrie des biotechnologies.

Dans son essai éclairant intitulé Maternité dérobée – Mère porteuse et enfant sur commande, Maria De Koninck rappelle le contexte dans lequel le recours aux mères porteuses s’est accru au cours des dernières années, sur fond de mondialisation et de développement des technologies biomédicales.

 

Les enjeux pour les femmes et les enfants

Maria De Koninck s’est toujours intéressée aux questions entourant la santé des femmes et en particulier à la maternité. Forte de ses recherches menées tant en Afrique qu’au Québec, la sociologue s’attarde donc tout particulièrement aux enjeux du recours aux mères porteuses pour les femmes et pour les enfants.

Mme De Koninck rappelle une vérité fondamentale qui semble oubliée : la maternité est un état, pas une activité. Or, tout dans le discours occulte ce fait.  L’industrie aime bien parler de « gestation » pour banaliser la grossesse. « Il s’agit plutôt d’une expérience humaine, globale, relationnelle faisant appel au corps, à la tête et à tous les sens, donc d’une expérience significative dans une vie. »

Ce que le recours aux mères porteuses met en cause, c’est l’utilisation des femmes pour se reproduire : « On requiert leur utérus comme espace à emprunter, ce qui a généré l’expression ‘‘location d’utérus’’. D’ailleurs l’expression ‘‘tierce reproductrice’’ utilisée souvent par les promoteurs de pratiques dites altruistes, consacre cette représentation des femmes dont on a besoin pour parvenir à ses fins ». Comme le fait observer Maria De Koninck, « l’entente avec une mère porteuse la force à se mettre au service d’un projet qui n’est pas le sien. Elle est aliénée, une aliénation incompatible avec la dignité humaine ».

Personne ne parle non plus des liens qui se tissent entre la mère et son fœtus pendant la grossesse, que des études scientifiques récentes ont confirmés. Comme le rappelle Maria De Koninck, « La relation mère-enfant n’est pas une invention des psychologues. Elle est documentée par un ensemble de savoirs autant populaires que scientifiques. […] On sait que les échanges se produisent entre celle qui le porte et le fœtus qui croît en elle. On sait aussi que le fœtus est perméable à son environnement, soit le corps de sa mère et à ce que ce corps vit. Enfin, on sait que l’enfant porte, au moment de sa naissance, des marques de celle qui lui a donné la vie… »

Or, les contrats entre les mères porteuses et les commanditaires prévoient des restrictions pour éviter le développement de la relation mère-enfant. Les droits de cet enfant, objet du contrat, personne n’en parle avant sa naissance. On invoque l’intérêt supérieur de l’enfant seulement quand il est né et que le tribunal doit lui reconnaître une filiation. Si l’intérêt de l’enfant était vraiment au cœur de la pratique, ne devrait-on pas y réfléchir avant d’inscrire sa naissance dans le cadre d’une entente contractuelle dont il sera le produit?

 

Altruisme et commercialisation

Au Canada et dans certains autres pays, la pratique « altruiste » a été autorisée. Mais de quoi parle-t-on? Ni les industriels, ni les avocats, ni les intermédiaires, ni les agences ne font cela bénévolement. Ce n’est que pour la mère porteuse qu’on requiert la gratuité, ce « don de soi », ce « don de la vie », expressions qui inondent les sites des agences de recrutement de femmes pour porter des enfants pour d’autres. Or, nous avertit l’auteure, « la crédulité n’a pas sa place. On parle ici de reproduction humaine prise en otage par des commerçants qui se dissimulent derrière les discours sur l’amour et le don. » Bien qu’il y ait des femmes qui le fassent par altruisme, il faut être naïf pour penser que l’industrie peut se baser sur cet altruisme pour prospérer. D’où les pressions de plus en plus fortes pour passer à l’étape suivante, la commercialisation. Le terme altruiste est surtout un cheval de Troie pour légitimer une pratique qui s’apparente à l’esclavage.

L’autre astuce utilisée par l’industrie dans le processus de légalisation de la commercialisation de la pratique, c’est de diriger les commanditaires vers des pays plus laxistes. Lorsqu’ils reviennent avec l’enfant, « ils emploient les tribunaux (qui fonctionnent au cas par cas) pour légaliser leur situation ».  Pour la juriste française Marie-Anne Frison-Roche citée par De Koninck, c’est « une façon d’éviter le pouvoir du législateur pour séduire le pouvoir juridictionnel ».

 

Une pratique illégitime doit-elle être légalisée?

Pour Maria De Koninck, le recours aux mères porteuses « entre en contradiction avec les droits des femmes dont le cœur est leur dignité en tant qu’humaines, et avec le fait qu’un humain ne peut jamais être le moyen d’atteindre une fin. Ce recours n’est pas socialement légitime ».

Un procédé socialement illégitime ne devrait jamais devenir légal et son encadrement ne le rendra pas légitime pour autant.  De plus, dans une économie comme la nôtre, il n’est pas réaliste d’ignorer « qu’un statut de légitimité aura nécessairement comme conséquence à court ou moyen terme sa commercialisation ». Sans parler des abus inhérents au commerce d’êtres humains. Plusieurs pays comme l’Inde, le Cambodge, la Thaïlande et d’autres qui avaient ouvert leurs portes à la pratique les ont fermées devant l’exploitation éhontée des femmes pauvres par une industrie au service des gens plus riches. De Koninck cite le rapport du Conseil des droits de l’homme de l’ONU qui affirme que : « Les pratiques abusives qui ont lieu dans le cadre de la gestation pour autrui sont bien connues. […] Dans l’un de ces cas, 15 Vietnamiennes ont été retrouvées et libérées par les autorités thaïlandaises ce qui a donné lieu à des poursuites pour traite d’êtres humains dans le contexte d’un système ‘‘d’usines à bébés’’ ». Présenté comme une avancée progressiste par l’industrie, le recours aux mères porteuses nous ramène pourtant « à l’époque des femmes et des enfants sans droits ».

L’auteure refuse de baisser les bras. Pour elle, la vraie liberté « repose sur le respect de chaque femme, de chaque homme et de chaque enfant ». À l’instar de plusieurs, comme la Coalition internationale pour l’abolition de la maternité de substitution, Mme De Koninck prend position pour l’abolition de cette pratique, « une pratique qui va à l’encontre des droits humains ». 

 

Maria De Koninck. Maternité dérobée – Mère porteuse et enfant sur commande, Multimondes, 2019, 190 pages