Vérités et mensonges sur la crise vénézuélienne

2019/06/05 | Par Jacques B. Gélinas

Le pays d’Hugo Chavez et de Nicolas Maduro est en crise. Une profonde crise économique, politique, sociale et humanitaire, provoquée par les sanctions financières assénées par les États-Unis depuis plus de quatre ans. Une crise exacerbée par le sabotage du réseau électrique et par un blocus à l’entrée d’aliments et de médicaments. La violence meurtrière des partis d’opposition attise les tensions.

Les États-Unis et l’oligarchie vénézuélienne veulent le renversement non seulement de Maduro, mais du chavisme. Le chavisme, c’est ce mouvement lancé par le président bolivarien Hugo Chavez – décédé en 2013 – qui a instauré une série de mesures audacieuses visant à conférer pouvoir et dignité aux classes populaires.

Dans le traitement de cette crise, les médias conventionnels mettent systématiquement de l’avant les arguments du gouvernement Trump – secondé par la ministre des Affaires internationales du Canada, Chrystia Freeland –, à savoir que Maduro est un usurpateur, dictateur, populiste, etc.

Cette chronique propose de démêler le vrai du faux en s’appuyant sur des faits concrets et vérifiables.

 

Le premier gros mensonge : Le Venezuela est une menace pour les États-Unis

En mars 2015, Barak Obama signe un décret présidentiel stipulant que le Venezuela constitue « une menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique extérieure des États-Unis ». Cette assertion n’a aucun fondement dans la réalité. Obama obéit aux impératifs de puissants intérêts économiques qui souhaitent mettre la main sur les ressources pétrolières et minérales de l’inoffensive république du Sud. Ce mensonge sert à justifier les sanctions économiques et financières que les États-Unis s’apprêtent à imposer au Venezuela. Des sanctions qui vont se durcir avec Donald Trump. Le but explicite est alors d’affamer la population. Un véritable crime contre l’humanité.

 

Le deuxième mensonge : Le gouvernement de Nicolas Maduro est illégitime

L’opposition qualifie d’illégale et illégitime l’élection du 20 mai 2018, qui a reporté Nicolas Maduro au pourvoir pour un deuxième terme. Les faits : les deux partis d’opposition les plus fanatiques ont refusé de présenter des candidats. Cependant, un autre parti d’opposition a participé normalement au scrutin. Malgré l’appel au boycottage, 46 % des personnes inscrites – soit 9 millions – se sont présentées aux urnes. Maduro a été élu avec 68 % des suffrages exprimés.

           

Un troisième mensonge : Les principaux pays de la planète appuient le président autoproclamé

Les médias conventionnels laissent entendre que Juan Guaido, qui s’est autoproclamé président du Venezuela le 23 janvier dernier, est reconnu par les principaux pays de la planète. Les faits : des 198 pays que comptent les Nations Unies, seulement une cinquantaine l’a reconnu. Des pays très importants comme la Chine, l’Inde, la Russie, le Mexique et l’Afrique du Sud maintiennent leur appui au gouvernement Maduro.

Selon les mêmes médias, la majorité des pays latino-américains appuie Juan Guaido. Les faits : en février, l’Organisation des États américains (OEA) a tenu un vote où, malgré l’insistance des États-Unis, la majorité a refusé de reconnaître la légitimité du président fantoche.

De son côté, l’ONU reconnaît toujours comme seul légitime le gouvernement présidé par Nicolas Maduro.

 

Une demi-vérité : Maduro se maintient au pouvoir grâce à l’appui des Russes et des Cubains

Les faits : le 26 mars dernier, un général russe, accompagné d’une centaine de militaires, a débarqué à Caracas, non pas pour protéger Maduro contre son peuple, mais pour protéger le pays contre une invasion états-unienne annoncée. Façon pour Moscou d’aviser Washington qu’une intervention militaire ne serait pas tolérée.

Et les Cubains ? Les faucons de la Maison-Blanche allèguent que le gouvernement cubain a déployé des milliers de soldats au Venezuela pour protéger Maduro. Les faits : Il y a bel et bien quelques milliers de Cubains en mission au Venezuela; ce sont des médecins et des travailleurs sociaux, qui oeuvrent dans les bidonvilles et les campagnes, là où les médecins vénézuéliens ne veulent pas aller, parce que ce n’est pas payant.

 

Pourquoi Maduro résiste-t-il malgré une crise si profonde?

Alors que l’oligarchie vénézuélienne et la classe moyenne dite supérieure combattent violemment le gouvernement Maduro, le peuple des bidonvilles qui bordent les grandes villes du pays, les paysans et les classes populaires du monde rural continuent de l’appuyer. Pourquoi ?

Parce que Chavez, prédécesseur et mentor de Maduro, leur a conféré pouvoir et dignité. Comment ? Par une série de transformations sociales, économiques et politiques visant à opérer un transfert de pouvoir vers les classes populaires, améliorant ainsi leurs conditions de vie.

En 2002, après un coup d’État avorté et un lock-out dévastateur de la société pétrolière qui a duré 63 jours, Chavez décide de mettre résolument à exécution son projet bolivarien. Il se donne les moyens de ses ambitions en reprenant le contrôle de la société d’État Petroleos de Venezuela Sociedad Anonima. Paradoxalement, PDVSA ne rendait aucun compte à l’État et ne lui versait aucun dividende. Chavez récupère la rente pétrolière – quelques dizaines de milliards de dollars – pour la remettre à qui elle appartient : au peuple.

Chavez provoque le changement au moyen de trois instruments, dont deux, les missions et les conseils communaux, sont absolument nouveaux. Un troisième, qui existe déjà, sera fortement stimulé : le coopérativisme.

Objectifs : la mise en place de services de santé et d’éducation, la construction de logements à prix modiques et le développement de l’agriculture vivrière.

Pour être efficace, le plan doit contourner l’appareil gouvernemental toujours contrôlé par des fonctionnaires en majorité anti-chavistes. Chavez en confie l’exécution à des structures indépendantes, pilotées par un personnel dévoué, recruté sur place.

La Mission au cœur des bidonvilles – Mision Barrio Adentro –, la plus productive et la plus célèbre, s’est attaquée aux problèmes de santé avec la coopération des médecins cubains. Elle va toucher 20 millions d’habitants. Des comités de santé surgissent dans tous les quartiers et hameaux. On y pratique une médecine autant préventive que curative. On forme sur place un personnel en médecine communautaire intégrale.

La Mission Éducation va alphabétiser près d’un million et demi d’adultes et mettra fin à l’analphabétisme au Venezuela.

La Mission Habitat a créé 2 millions de logements, faisant ainsi reculer les bidonvilles partout au pays.

Les coopératives et des dizaines de milliers de conseils communaux vont mettre l’accent sur la production agroalimentaire.

 

Une explosion d’organisations sociales     

Ces initiatives exigent la participation populaire et donc la création d’organisations sociales. C’est la condition pour que l’État s’implique financièrement. On a assisté dès lors à une véritable explosion d’organisations de base, qui vont participer à un vaste mouvement de solidarité. Les classes populaires se sont senties parties prenantes d’un processus historique de transformation économique et sociale. Ainsi s’est construite une solide loyauté envers le régime qui a permis ce début de pouvoir populaire.

Deux autres facteurs expliquent la stabilité du régime bolivarien. Primo : les classes populaires ne veulent pas perdre les droits acquis advenant l’arrivée au pouvoir des partis de droite. Deuzio : l’opposition viscérale de la population à une intervention militaire des États-Unis.

En ce début de juin 2019, la crise persiste et s’envenime[1]. Personne ne sait sur quoi elle va déboucher. La sagesse chinoise nous enseigne que toute crise est porteuse de deux possibilités opposées. En mandarin, l’idée de crise est représentée par deux idéogrammes : l’un signifie danger, l’autre opportunité.

Ainsi, la crise vénézuélienne peut ou bien aboutir à un désastre ou bien faire surgir des idées et des énergies insoupçonnées, capables de faire basculer la situation vers de nouvelles perspectives et un nouveau modèle d’organisation économique et sociale.

 

[1] Le 2 juin, la ministre Chrystia Freeland annonce que le Canada ferme son ambassade à Caracas.  Le motif : le Venezuela prive les diplomates canadiens de certains privilèges rattachés à leur fonction.  Non sans raison, car le gouvernement canadien est l’acteur le plus actif dans les magouilles pour renverser Maduro et «rétablir la démocratie au Venezuela».