Le porc, la Chine et la fin du modèle productiviste?

2019/06/07 | Par Pierre Dubuc

Après le canola, la Chine pourrait mettre fin aux importations de porcs canadiens. La Chine invoque des raisons sanitaires, mais il s’agit sans doute de représailles pour l’emprisonnement de la dirigeante de Huawei à Vancouver. La Chine a importé l'équivalent de 509 millions de dollars de porc du Canada en 2018, en provenance principalement du Québec.

La décision chinoise s’inscrit dans la guerre commerciale qui l’oppose aux États-Unis. L’imposition de tarifs et de contrôles, sous fonds de nationalisme économique, est la nouvelle donne internationale. La mondialisation, avec sa libéralisation des échanges et sa division internationale de la production, a vécu.

C’est une belle occasion de revoir notre modèle de production agricole. Le porc en est le meilleur exemple.

Dans ses Mémoires parues sous le titre Pour tout vous dire (VLB, 2013), Jean Garon, l’ancien ministre de l’Agriculture sous le gouvernement de René Lévesque, avait bien expliqué comment s’était pris ce tournant néfaste. 

Dans le cas du porc d’engraissement, au début des années 1980, le régime prévoyait un minimum de 50 porcs pour être assuré, permettant ainsi à un nouveau producteur de débuter tranquillement. Le maximum assurable était de 6 600 porcs livrés à l’abattoir par année.

Cela excluait ce qu’on appelle les « intégrateurs ». L’intégrateur fournit porcelets, moulée, médicaments, méthode d’élevage, services vétérinaires, etc. Les agriculteurs, qui les élèvent, sont payés à forfait, tant par porc.

Une fois au pouvoir, les libéraux ont, d'une part, modifié le règlement. Ils ont haussé le plancher à 250 têtes, ce qui eût pour conséquence d’éliminer plusieurs petits producteurs. D’autre part, ils ont fait sauter le plafond en éliminant les maxima fixés par le régime.

« On ouvrait les portes toutes grandes aux ‘‘millionnaires du porc’’, aux intégrateurs, soutient Garon dans ses Mémoires. C’est lui, en tant que propriétaire des animaux, qui est assuré et qui reçoit les paiements de stabilisation quand le prix du marché ne permet pas de couvrir les coûts de production. Il faut comprendre que ces coûts de production sont déterminés en grande partie par l’intégrateur lui-même, puisqu’il fournit tous les intrants. Drôlement pratique, pour un assuré, de pouvoir ainsi influencer le montant de sa perte! Si le prix de la moulée grimpe, la perte augmente et l’assurance paie davantage. Or, c’est le meunier-intégrateur qui se vend à lui-même la moulée, souvent fabriquée avec des grains importés des États-Unis ou de l’Ouest eu Canada! Il me semble qu’il y a là un petit problème… »

Garon évaluait en 2013 à près de 3 milliards de dollars les sommes versées par le gouvernement aux éleveurs de porcs depuis l’an 2000. « C’est peut-être un plus gros scandale encore que celui des grands travaux routiers », soutenait-il.

Selon lui, Lucien Bouchard – « un petit avocat de province qui n’a jamais saisi la complexité de l’agriculture québécoise » – n’a rien fait sinon que d’aggraver le problème en lançant l’objectif national d’exporter pour un milliard de dollars de porcs lors du sommet sur l’agroalimentaire de Saint-Hyacinthe en 1998. « Le feu vert a alors été donné à encore plus d’intégration et à encore plus de mégaporcheries », estime Garon.

Avec la création des mégaporcheries, les producteurs en sont venus à acheter des terres, déboiser des forêts et prélever la couche d’humus dans le seul but de pouvoir étendre leur purin.  

 

L’autosuffisance alimentaire

Jean Garon rappelait alors que, sous le gouvernement de René Lévesque, « l’autosuffisance alimentaire, c’était notre but. C’était être capable de nous nourrir nous-mêmes ou, plus précisément, de produire suffisamment pour que nos exportations compensent nos importations », d’expliquer l’ancien ministre.

« Sous Bourassa, de 1970 à 1976, c’était passé de 60% à 47%. Nous avons atteint 80% au milieu des années 1980. Avec les libéraux de Jean Charest, on a arrêté de chiffrer. Mais on serait aujourd’hui, estime-t-on, à 30-35% d’autosuffisance alimentaire », résumait Jean Garon en 2013. Quelle est la situation aujourd’hui? Fort probablement pire qu’en 2013.

Jean Garon se disait alors toujours convaincu que la ferme familiale indépendante reste la formule la plus efficace tant sur le plan social, économique et environnemental, que du point de vue du consommateur, et qu’une politique agroalimentaire digne de ce nom ne peut que s’appuyer sur elle.

La crise du porc, dans le contexte de la fin de la mondialisation et de la division internationale de la production, est l’occasion de réactualiser les propos de celui qui fut le meilleur ministre de l’Agriculture du Québec et d’amorcer une véritable réflexion critique sur le modèle de l’agriculture productiviste.