L’éducation comme priorité nationale… sauf pour l’enseignement supérieur

2019/06/07 | Par Valérie Fontaine

L’auteure est présidente de la Fédération du personnel de soutien de l’enseignement supérieur (FPSES-CSQ)

Se pourrait-il que le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec, Jean-François Roberge, souffre d’un trouble de la vision?

C’est la question qui m’est venue à l’esprit en l’entendant annoncer un investissement de 70 millions de dollars et l’ajout de près de 850 enseignants, professionnels et ressources de soutien professionnelles dans le réseau scolaire pour mieux accompagner les 225 000 élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (HDAA).

 

Un énorme oubli inexplicable

Pour le ministre, cette annonce confirme la volonté et la vision de son gouvernement de faire de l’éducation au Québec la priorité nationale. Pourtant, que penser d’une telle vision où l’on ferme les yeux sur un pan important de notre système public d’éducation, c’est-à-dire l’enseignement supérieur?

Je veux bien que l’on augmente les budgets et les ressources pour soutenir et accompagner les élèves vulnérables dans le réseau scolaire, mais qu’en est-il après? Le ministre doit certainement savoir que la poursuite des études au-delà du secondaire n’est plus exceptionnelle au Québec en 2019.

 

Des questions troublantes

Alors, pourquoi limiter les mesures annoncées au réseau scolaire? Pourquoi ne pas les étendre à l’enseignement supérieur? Comment réagiront ces élèves qu’on aura habitués à être encadrés et accompagnés durant toutes leurs années passées dans le réseau scolaire pour se retrouver pour plusieurs d’entre eux « abandonnés » au niveau collégial?

En limitant au réseau scolaire ses mesures de soutien et d’accompagnement aux élèves HDAA, le ministre ne brime-t-il pas le droit à l’égalité des chances au cégep et à l’université de milliers de jeunes Québécoises et Québécois? A-t-on le droit de faire naître, chez des milliers de jeunes ayant des besoins particuliers, l’espoir de réussir leurs études pour les décevoir une fois arrivés en enseignement supérieur?

Voilà le genre de questions qui se bousculent dans ma tête depuis l’annonce du ministre Jean-François Roberge.

 

Des ressources insuffisantes

Ce dernier devrait savoir que depuis quelques années, nos cégeps et nos universités font face à une arrivée massive d’étudiantes et d’étudiants ayant des besoins particuliers. Malheureusement, les ressources budgétaires et en personnel de soutien, notamment, sont nettement insuffisantes pour répondre aux besoins. Nous n’avons qu’à penser aux techniciennes et techniciens en éducation spécialisée qui accompagnent ces étudiantes et étudiants et qui, en plus d’être présents à géométrie variable dans les différents cégeps, s’arrêtent très peu durant une journée de travail tellement la demande est grande pour ce service.

La situation est même pire dans les régions éloignées. Pourquoi les établissements d’enseignement supérieur n’auraient-ils pas droit à un plancher de services comme celui que le ministre veut instaurer dans les écoles du Québec? Si ce gouvernement, qui dit avoir l’éducation comme priorité nationale, a vraiment à cœur la réussite des jeunes, il doit s’assurer qu’on accompagne les plus vulnérables jusqu’au bout de leur cheminement pédagogique. Il ne peut pas y avoir de demi-mesure. Rappelons au ministre qu’en 2017-2018, on a dénombré plus de 19 399 étudiantes et étudiants avec des besoins particuliers selon les données du ministère.


Des milliers d’étudiantes et d’étudiants abandonnés

Le ministre Jean-François Roberge dit vouloir mettre de nouvelles mesures en place parce qu’il ne peut se résigner à voir des dizaines de milliers de jeunes n’arrivant pas à obtenir leur diplôme d’études secondaires, faute de ressources, de soutien et d’accompagnement. Faut-il lui rappeler que l’éducation, ça se passe de la petite enfance à l’université?

L’exercice est noble. Mais qu’en est-il de ces dizaines de milliers de jeunes qui ont obtenu leur diplôme d’études secondaires et qui sont susceptibles de renoncer à leur espoir d’obtenir un diplôme d’études supérieures parce qu’ils n’ont pas tout le soutien dont ils ont besoin?


Une vision faussée

J’invite Jean-François Roberge à y réfléchir et à se rappeler qu’il est ministre de l’Éducation, mais également de l’Enseignement supérieur. Un gouvernement qui regarde l’éducation comme une priorité nationale, mais qui ferme les yeux sur les besoins criants de l’enseignement supérieur, a un sérieux problème de trouble de la vision… à moins qu’il souffre d’aveuglement volontaire…