Ottawa n’a pas de plan vert, il a un plan pétrole

2019/06/14 | Par Monique Pauzé

Les changements climatiques sont bien réels et les Québécoises et les Québécois le savent. Nous en ressentons les effets dans nos vies quotidiennes. La pression populaire a même poussé le gouvernement de François Legault à se doter d’un plan de transition et de réduction des gaz à effet de serre (GES) plus ambitieux que ce qu’il avait mis de l’avant en campagne électorale. L’environnement est devenu un enjeu incontournable au Québec, que les partis politiques le veuillent ou non.

Le premier ministre Legault disait vrai lorsqu’il affirmait que « le Québec est aujourd’hui l’endroit en Amérique du Nord où on émet le moins de GES par habitant ». Cela ne signifie pas que nous pouvons nous permettre de ne rien faire devant l’urgence climatique. Absolument pas ! Le reste du Canada ne fait strictement rien et c’est un problème pour la planète entière.

S’il y a urgence climatique, c’est parce que lorsque les scientifiques du monde entier sonnaient l’alarme, le Canada roupillait. Remontons un peu dans le temps. Le 19 décembre 2002, le Canada a ratifié le protocole de Kyoto sur les changements climatiques. Il y a presque une génération ! À l’époque, le ministre de l’Environnement de Jean Chrétien s’appelait David Anderson. Il avait pour mandat de développer un plan pour atteindre les cibles de Kyoto. Gros échec ! Au lieu de diminuer de 6 %, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de presque 20 %.

En février 2007, un an après avoir quitté la politique, David Anderson expliquait son échec dans une longue entrevue. Ce qu’il disait alors sonne comme un avertissement aujourd’hui. Pendant qu’il était ministre, tout le monde affirmait être pour la lutte aux changements climatiques. Mais dès qu’il proposait de vraies mesures pour y parvenir, ça se gâtait. Les pressions sur les gouvernements sont immenses au Canada, pays qui est le premier consommateur d’énergie par habitant et le deuxième émetteur de GES par habitant.

Ces pressions s’exercent non seulement sur le gouvernement, mais aussi au sein des partis dits progressistes. Le poids des syndicats des travailleurs du pétrole et de l’automobile a souvent fait plier ces formations politiques. L’ex-ministre Anderson était arrivé à la conclusion que « le seul leader demeuré constant dans son appui à Kyoto était le chef du Bloc Québécois ».

Ce n’est pas surprenant parce que le Québec que représente le Bloc est différent. Le principe de base de la lutte aux changements climatiques est de rendre coûteux de polluer et de rendre payant de faire des efforts. Or, chaque Canadien émet deux fois et demie plus de GES qu’un Québécois. C’est donc dire qu’un gouvernement canadien qui adhérerait au principe de base de Kyoto et de Paris, en faisant en sorte que ça coûte cher de polluer et que ce soit payant de ne pas le faire, offrirait le gros lot aux Québécoises et aux Québécois.

C’est pourquoi les partis qui aspirent au pouvoir doivent faire le grand écart : la lutte au réchauffement planétaire est impossible sans payer un prix politique. Ça implique soit de désavantager le Québec malgré ses efforts, comme c’est actuellement le cas, ou de punir l’Ouest pour sa contribution spectaculaire à la hausse des GES depuis 30 ans. Les partis fédéralistes ont fait leur choix, il y a bien longtemps.

C’est ainsi que nous nous trouvons devant une urgence climatique et qu’Ottawa continue de se mettre la tête dans les sables bitumineux. La stratégie des libéraux passe par l’imposition d’une taxe carbone dans les provinces récalcitrantes. Mais Justin Trudeau s’est engagé à remettre les profits de cette taxe en crédits d’impôt aux citoyens de ces mêmes provinces. Il ne sera donc toujours pas coûteux de polluer ni payant de ne pas le faire. Sans parler des milliards versés par le gouvernement en subventions aux énergies fossiles…

Quant aux conservateurs, leur plan environnemental est d’imposer Énergie Est au Québec contre sa volonté pour exporter davantage le pétrole le plus polluant au monde. Ils ont le mérite de la transparence : ils n’essaient même pas de cacher qu’ils font bien peu de cas des opinions des Québécoises et des Québécois.

Le Canada n’a pas de plan vert, il a un plan pétrole. Certes, l’indépendance du Québec nous permettrait d’éviter qu’Ottawa nous impose de force un pipeline, comme il a le pouvoir de le faire et comme les tribunaux en Colombie-Britannique l’ont récemment réaffirmé. Mais les changements climatiques ne s’arrêtent pas aux frontières pour épargner les bons élèves. Nous sommes tous dans le même bateau.

Les militantes et les militants écologistes mènent une lutte mondiale avec une perspective québécoise en oubliant un peu trop le Canada. Il faut le ramener dans l’équation. Il devrait être choquant de constater que le gouvernement québécois, que certains qualifient de « climatopassif », a un plan de sortie des énergies fossiles plus ambitieux que le Parti vert du Canada.